Les églises au xxe siècle

Résumé

L’architecture religieuse et plus particulièrement les églises catholiques représentent en Europe un corpus considérable. Les possibilités offertes par la construction en béton armé sont mises au service d’une rénovation de l’espace et des formes avec une grande variété d’approches. La modernisation de la nef passe ainsi par sa simplification, mais également par la recherche de plans compacts destinés à unifier l’espace liturgique et à rapprocher les fidèles de l’officiant. L’appel à des architectes et des artistes de renom a par ailleurs pour effet d’élargir le champ des sensibilités. Le rôle monumental de l’église dans l’espace urbain est quant à lui contesté durant les années 1970 avant d’être réévalué à la fin du xxe siècle.

Peder Jensen-Klint (1953-1930), église dédiée à Nikolai Grundtvig, Copenhague, 1921-1927. Élevée à la périphérie de Copenhague, cette église s’inscrit dans un ensemble urbain conçu par le même architecte. Photo Simon Texier, 2018.

Le xxe siècle aurait pu sonner le glas d’une architecture religieuse longtemps assimilée à l’ordre monarchique. Or l’Église et les églises européennes ont survécu à la vague anticléricale, tout comme au développement du matérialisme et de l’individualisme qui, dans les années 1930, faisait douter les plus croyants de la nécessité de construire encore des lieux de culte. Ces derniers ont, de fait, accompagné la croissance démographique et l’urbanisation de l’Europe, tout en participant pleinement à la diffusion d’une nouvelle culture architecturale.

Est-il encore opportun de construire des églises ? Les rédacteurs de la revue L’Architecture d’aujourd’hui, fondée en 1930 et très attentive à l’évolution de ce programme, ont plusieurs fois exprimé leur doute à ce sujet. Il est pourtant un chantier qui, à lui seul, exprime un mouvement de ferveur continue : le Temple expiatoire de la Sagrada Familia à Barcelone. Le projet échoit en 1884 à Antoni Gaudí (1852-1926), catholique fervent, qui consacre les quinze dernières années de sa vie à ce chantier pharaonique, laissé inachevé à sa mort et poursuivi pendant un siècle avant d’être consacré en 2010. Il n’aura fallu en revanche que quelques mois à Auguste Perret (1874-1954) pour réaliser, en 1922, l’église Notre-Dame-de-la-Consolation au Raincy, en banlieue parisienne. Une église entièrement construite en béton armé brut de décoffrage : quatre rangées de poteaux soutiennent des voûtes surbaissées, renforcées par des nervures qui évitent le recours à tout système de contrefort ; les façades, qui ne jouent aucun rôle porteur, sont constituées de claustras moulés, sertis de verre coloré ou de vitraux.

La recherche de la nef moderne

Publiée dans le monde entier, saluée comme un jalon décisif dans l’histoire de l’architecture religieuse, l’église du Raincy aura cependant un impact limité sur la production de l’entre-deux-guerres. Dans beaucoup de pays, la modernisation de l’architecture religieuse est en effet à l’œuvre depuis plusieurs années : l’Allemagne et la Suisse incarnent ce renouveau, qui gagne également la Tchécoslovaquie ou l’Italie. Celui-ci se caractérise en premier lieu par une simplification des formes, Alberto Sartoris (1901-1998) ayant donné, avec l’église de Lourtier (1932), l’un des exemples les plus radicaux et l’un des seuls édifices religieux assimilables au Style international. Otto Bartning (1909-1983) innove lui aussi avec l’église évangélique ou Pressa-Kirche à Cologne (1928, remontée en 1931 à Essen), dont la sévère ossature métallique libère des murs entièrement dédiés au vitrail. À Prague, la nef parallélépipédique éclairée par des sheds et le clocher ajouré de l’église hussite (1933), signée Pavel Janák (1882-1956), exprime avec austérité la recherche d’un espace religieux réduit à sa plus simple expression.

En France, le débat est en grande partie centré sur la question des modèles. En 1913, l’architecte Alphonse Gosset (1835-1914), concepteur de l’église Sainte-Clotilde à Reims (1896-1905), publie dans la revue La Construction moderne l’étude intitulée « De l'esthétique des églises », qui vise à confronter plan basilical et église à coupole. L’auteur ne cache pas sa nette préférence pour le deuxième type, celui de Sainte-Sophie ou des églises grecques, notamment parce qu’il rend selon lui « la célébration des offices plus grandiose ». Le béton armé participera à ce renouveau du modèle byzantin, en France et dans tous les pays d’Europe culturellement marqués par l’héritage byzantin.

L’emploi généralisé du béton armé s’accompagne par ailleurs, dans les pays nordiques, d’un travail d’une grande inventivité sur les qualités plastiques de la brique. L’un de ses plus grands interprètes est Dom Paul Bellot (1876-1944) : des Pays-Bas au Portugal en passant par la France et l’Angleterre, ce moine architecte construit églises, abbayes et monastères en mettant l’accent sur l’expression des arcs et des voûtes (en brique ou en béton), qu’il associe à un graphisme polychrome parfois proche des avant-gardes. En Scandinavie, les arts décoratifs nordiques font l’objet de réinterprétations dans des édifices comme l’Engelbrektskyrkan de Stockholm (1914), par Lars Israel Wahlman (1870-1952) et, à Copenhague, l’église dédiée au pasteur Nikolai Grundtvig, conçue par Peder Jensen-Klint (1953-1930) et élevée entre 1921 et 1927.

Nouveaux plans, nouvelles formes

Après 1945, le renouveau formel, constructif et liturgique des églises est plus sensible encore, tandis que la reconstruction puis la croissance urbaine de l’Europe imposent la construction de milliers d’édifices nouveaux. Amorcé dans les décennies précédentes avec de nombreux projets théoriques, le mouvement s’intensifie pour aboutir à la réforme liturgique issue du concile de Vatican II (1962-1965). Ce dernier marque certes une rupture puisqu’il entraîne d’importants réaménagements des chœurs et une disparition massive d’éléments de décor ; il ne fait toutefois que confirmer une longue évolution des plans vers des figures plus ramassées. Dès 1957, la revue L’Art sacré faisait l’inventaire de ces nouvelles formules (plan ovale, plan circulaire, plan carré, en amphithéâtre, en trapèze, enfin triangulaire) et insistait sur la nécessité d’une convergence de tous les regards vers l’autel.

Même réduite à sa partie occidentale, l’Allemagne continue d’être l’un des plus importants territoires d’innovation. Si un courant d’inspiration expressionniste perdure avec l’œuvre de Dominikus Bœhm (1883-1955) et ses successeurs, la majorité des églises se distinguent dans les années 1950-1960 par une grande retenue et une recherche centrée sur la lumière. Figure centrale dans ce domaine, Rudolf Schwarz (1897-1961) conçoit entre autres les églises Sainte-Anne à Düren, Saint-André à Essen, Saint-Michel de Francfort, ou encore Sainte-Thérèse à Linz.

En France, c’est le père Couturier (1897-1954) qui, décidé à pallier la médiocrité de l’art sacré, choisit d’en appeler aux créateurs vivants les meilleurs, quelles que soient leurs convictions. Naîtront ainsi l’église Notre-Dame-de-Toute-Grâce du plateau d’Assy (1944-1950), conçue par Maurice Novarina (1907-2002) et décorée entre autres par Fernand Léger, Marc Chagall, Henri Matisse et Georges Rouault. Les réalisations de Le Corbusier (1887-1965) seront plus marquantes encore : avec la chapelle Notre-Dame-du-Haut à Ronchamp (1950-1955) et le couvent de la Tourette près de Lyon (1953-1960), l’architecte donne la mesure de son sens du sacré en même temps qu’il innove par ses choix plastiques : formes courbes, béton brut, jeux de couleur et de lumière. Phénomène international, le brutalisme trouve dans l’église un terrain d’expression particulièrement fécond et profite de l’expertise de nombreux ingénieurs.

Une discrétion provisoire

Un mouvement de retrait s’opère dans les années 1970-1980, beaucoup d’églises n’étant plus conçues que comme des équipements de quartier. Hans-Walter Müller (1935-) conçoit même, en 1969 à Montigny-les-Cormeilles, une église gonflable qui accueille deux cents fidèles le temps d’un week-end. Pour ouvrir davantage l’église sur la société, on s’oriente alors vers des bâtiments polyvalents, voire œcuméniques. À partir des années 1980, une tendance au retour de l’église dans la cité est nettement perceptible. La cathédrale d’Évry, livrée en 1995 par le Suisse Mario Botta (1943-) au terme d’un long débat – portant notamment sur la légitimité de son financement partiel par les pouvoirs publics –, symbolise ce renouveau monumental, sensible à l’échelle de toute l’Europe.

Bibliographie

Stock, Wolfgang Jean (dir.), Europäischer Kirchenbau 1950-2000 European Church Architecture, Munich/Berlin/Londres/New York, Prestel, 2003.

Frémaux, Céline (dir.), Architecture religieuse au xxe siècle. Quel patrimoine ?, actes du colloque de Lille, 25-26 mars 2004, Rennes, PUR, 2007.


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