Neuvième congrès mondial de la route, Lisbonne, 1951

Résumé

L’Association internationale permanente des congrès de la route (AIPCR), fondée à Paris en 1909, joue un rôle déterminant dans la production et la mise en circulation des connaissances relatives à l’ingénierie et à la gestion des routes, ainsi qu’à la régulation du trafic. Le neuvième congrès mondial de la route, se déroulant à Lisbonne en 1951 évalue les progrès accomplis depuis la tenue du congrès de La Haye en 1938. Il comporte également un enjeu propre au pays hôte qui cherche à affirmer en même temps le bien-fondé politique de la dictature de l’Estado Novo et la compétence technique des ingénieurs autoroutiers portugais.

Logo du congrès mondial de la route, Lisbonne, 1951.

Le premier congrès mondial de la route a lieu en 1908, à l’initiative du ministre français des Travaux publics, pour traiter les problèmes inhérents à la route, des défauts de l’asphalte des trottoirs au poids et à la vitesse des nouveaux véhicules motorisés. Il s’agit également d’une réponse au mouvement mené par des acteurs européens, comme les Automobile et Touring clubs, concernant les voyages transfrontaliers et l’uniformisation des panneaux de signalisation de danger. L’Association internationale permanente des congrès de la route (AIPCR) est créée à Paris l’année suivante comme forum de discussion sur les questions liées à ces nouvelles routes. Elle se divise en deux sections dédiées respectivement à la construction et à l’entretien des routes, ainsi qu’à leur usage et à la régulation de la circulation. Bien que les délégués et les journalistes originaires d’Europe soient les plus nombreux, l’AIPCR devient une plateforme mondiale de production et de circulation de connaissances sur les techniques relatives aux routes, notamment lors des congrès tenus lors des trois premières décennies, successivement à Paris (1908), Bruxelles (1910), Londres (1913), Séville (1923), Milan (1926), Washington (1930), Munich (1934) et La Haye en 1938. Durant cette dernière réunion, la création de comités techniques confère à l’AIPCR un rôle encore plus important. La tendance à la multiplication de ces comités après la Seconde Guerre mondiale constitue aussi une réponse à la concurrence que représente la Fédération routière internationale (International Road Federation), créée aux États-Unis en 1948. Les comptes rendus de ces congrès et les publications des comités techniques reflètent l’évolution des préoccupations des experts, à la fois sur des problèmes techniques comme l’étude du sous-sol et des trottoirs, la mécanisation et la direction des travaux, la planification routière, et sur des questions d’ordre plus général comme le financement, la régulation de la circulation, la signalisation routière et l’urbanisme. La devise latine de l'AIPCR, « Via Vita » (ou « la route est la vie »), exprime le parti pris optimiste de cet organisme quant au rôle des routes dans le développement et l’accroissement de la richesse.

Les congrès proposent en général un programme technique, une exposition sur les matériaux et des voyages de terrain, ainsi que des événements spéciaux. Généralement organisés au niveau local par les bureaux ou offices nationaux routiers, ils sont souvent utilisés de manière rhétorique par les régimes politiques des pays hôtes pour affirmer leur supériorité technique, comme pendant les congrès de la période de l’entre-deux-guerres, où l’importance des routes destinées uniquement aux automobilistes est soulignée. Dans les années 1920, s’inspirant du Road Board (Conseil routier) anglais, des conseils routiers nationaux sont créés dans plusieurs pays européens pour promouvoir une approche plus scientifique des travaux de rénovation des routes. En parallèle, des comités nationaux de l'AIPCR sont également établis. On en compte 13 à la fin des années 1930. Le Portugal fonde son propre comité en 1951.

Le neuvième congrès mondial de la route, le premier depuis la Seconde Guerre mondiale, se déroule à Lisbonne, du 24 au 29 septembre 1951, année marquant aussi la reparution du Bulletin de l’AIPCR. Comme pour le congrès de Séville en 1923, le choix de Lisbonne est à nouveau celui d’un pays qui est resté prétendument neutre pendant la guerre. Les questions alors abordées sont d’ordre technique. En effet, les organisateurs du congrès de Lisbonne aspirent à l’universalité et à l’harmonie entre les pays, sur la base d’une neutralité technique présumée. Cet objectif se matérialise symboliquement dans la sculpture placée dans le hall d’entrée de la salle d’exposition du congrès : un globe, entouré d’un ruban métallique en spirale suggérant une route, où figurent les drapeaux de tous les pays participants. Le congrès de Lisbonne est présidé et organisé par la Junta Autónoma de Estradas (JAE), le Conseil routier portugais. Il traite les six thèmes suivants soumis par les deux sections statutaires :

1) et 2) progrès réalisés depuis le congrès de La Haye en 1938 en ce qui concerne les routes et trottoirs ainsi que leurs matériaux, et l’étude des sous-sols ;
3) facteurs essentiels dans la conception des routes et l’étude de la circulation ;
4) justification économique des travaux routiers ;
5) construction et entretien des routes en général, et des routes urbaines en particulier ;
6) construction, entretien et allocation de fonds pour les routes dans les pays à faible densité de population ou sous-développés.

Les rapports généraux synthétisent les 64 rapports nationaux présentés sur ces thèmes. Le congrès compte environ 1 200 délégués, dont à peu près 200 délégués officiels des gouvernements, 200 représentants d’organismes publics, 330 membres d’autres organismes, ainsi que des membres individuels. Les ingénieurs et fonctionnaires occupant des postes clés au sein des institutions techniques portugaises concernées y sont évidemment présents en nombre. C’est le cas notamment du directeur des services de la construction des routes de la JAE, du directeur du laboratoire de génie civil, d’un professeur de l’École d’ingénieur de Porto, du directeur du département central des services de la Circulation, du directeur général des services de l’Urbanisation (ancien ingénieur de la JAE), et de l’ingénieur en chef du département des Travaux public du bureau colonial. Les grands absents de ce congrès sont les États-Unis qui ne mandatent aucun délégué officiel.

Le congrès de Lisbonne représente également un moyen de véhiculer une certaine image du Portugal, légitimant la dictature portugaise de droite, Estado Novo (État nouveau), et les ingénieurs autoroutiers portugais, tant au niveau national qu’international. Sur le plan politique, le congrès est reçu par l’Estado Novo au plus haut niveau. Les sessions d’ouverture et de clôture se déroulent à l’Assemblée nationale, et le congrès se tient sous le haut patronage du président de la République portugaise ; de plus, quatre ministres président le comité d’honneur (les ministres des Travaux publics, des Affaires étrangères, des Colonies, et des Communications). Les discours mettent l’accent sur l’heureuse association des valeurs traditionnelles et modernes, et tendent à promouvoir le régime en place, son caractère impérial et ses compétences techniques. Il s’agit aussi de faire montre des succès de la JAE. Les ingénieurs portugais sont représentés à chaque congrès mondial de la route, notamment par les directeurs des services de la Construction et de l’Entretien des routes de la JAE, depuis la création de cette dernière en 1927. Le secrétaire général du congrès de Lisbonne n’est autre que le directeur des services de l’Entretien des routes de la JAE, responsable de l’élaboration des documents de référence concernant la politique routière du Portugal dans les années 1940 (à savoir le plan des routes nationales et le statut des routes nationales en 1945). Dans un article publié dans le bulletin de l’AIPCR en 1951, il présente ces documents comme preuve de la modernité de l’ingénierie autoroutière portugaise. Par ailleurs, les sessions techniques du congrès se déroulent à l’Institut supérieur technique, l’une des écoles d’ingénieur les plus prestigieuses du Portugal. Une exposition documentaire sur les routes y est organisée, vantant les mérites du travail accompli par la JAE depuis sa création. Au niveau national, le congrès de Lisbonne permet donc aussi de célébrer le Conseil routier portugais (JAE). L’Automobile club du Portugal, organisme élitiste dont le président est membre du comité d’honneur du congrès, consacre un numéro de son journal à cet événement. Il y voit la reconnaissance du travail éminemment « national et patriotique » de la JAE et de ses techniciens.

Le logo du congrès symbolise parfaitement les prétentions nationales et internationales de la JAE, ainsi que sa volonté d’associer modernité et tradition, en utilisant un échangeur autoroutier en forme de diamant et les cinq écussons (quinas), symbole ancien de la nation portugaise présent sur le drapeau national.

Par la représentation de cet échangeur, intersection de routes créée afin d’éviter tout embouteillage, alors très rare au Portugal, ce logo propose une image moderne des autoroutes portugaises, assez éloignée de la réalité.

Le congrès mondial de la route à Lisbonne en 1951 reflète à la fois les idéologies du nationalisme et de l’internationalisme techniques, au cœur d’une histoire transnationale des techniques où les acteurs européens jouent un rôle majeur.

Bibliographie

Berthier, Jean, Corté, Jean-François, Flonneau, Mathieu et alii, Un siècle de congrès mondiaux de la route. De Paris à Rome, t. 1 (1908-1964), Association mondiale de la route, 2011.

Glasson, Denis, « Après le xviiie congrès mondial de la route à Paris : un siècle de congrès mondiaux de la route », Pour mémoire, 3, 2007, p. 7-58.

Naud, Eugène, « Soixante ans de l’AIPCR », dans AIPCR-PIARC, 1909-1969, Paris, Association internationale permanente des congrès de la route, 1971, p. 15-28.

Sousa, Maria Luísa, A mobilidade automóvel em Portugal. A construção do sistema socio-técnico, 1920-1950 / La mobilité automobile au Portugal. La construction du système socio-technique, 1920-1950, thèse, Lisbonne/Paris, Universidade Nova de Lisboa, Université Sorbonne nouvelle, 2013.


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