Regards européens sur une catastrophe minière : Courrières (1906)

Résumé

Les catastrophes ont un écho international et révèlent les caractéristiques des nations. L’accident des mines de Courrières, qui fut le plus grand désastre industriel connu par la France à l’époque contemporaine (1906, plus de mille morts), a ému toute l’Europe. Si les réactions de solidarité d’abord sont unanimes, la crainte des troubles sociaux vient briser l’harmonie initiale. Mais, dans le cas de Courrières, des sauveteurs allemands sont venus au secours des mineurs français : cet épisode a provisoirement transformé la tragédie en espoir de paix entre les hommes.

Arrivée des sauveteurs allemands après la catastrophe de Courrières

Les grandes catastrophes naturelles ou technologiques ont la plupart du temps un impact qui dépasse les frontières. Elles s’avèrent ainsi révélatrices des angoisses profondes, des peurs inavouées mais également des stéréotypes entre peuples voisins. Elles peuvent même dans certains cas déboucher sur des mouvements humanitaires et pacifistes. On retrouve l’ensemble de ces caractéristiques dans les discours autour de la catastrophe de Courrières en 1906 : un kaléidoscope de réactions reflétant un effort inusité pour dépasser les antagonismes ancestraux.

En fait, un regard autocentré

Le 10 mars 1906, la France connaît sa pire catastrophe industrielle de l’époque contemporaine : 1099 mineurs sont tués dans une mine du Pas-de-Calais appartenant à la Compagnie des mines de Courrières, pourtant réputée pour la sécurité de ses installations. Les secours, même venus d’Allemagne, ne peuvent ramener de survivants. Le choc est immense : jamais une région, une profession n’avaient vécu un tel traumatisme. Deux événements majeurs suivent les événements du 10 mars : d’une part, la remontée miraculeuse de « rescapés » (le mot date de cette catastrophe) plusieurs jours après le drame et, d’autre part, des mouvements sociaux très durs dans les semaines qui suivent.

Le lendemain de la catastrophe, les journaux européens font tous leur première page sur Courrières. Mais on constate que la place donnée à l’événement dans la presse européenne décroît assez rapidement car les événements extérieurs sont nombreux et souvent spectaculaires, comme la conférence d’Algésiras ou le tremblement de terre de San Francisco. Malgré tout, pendant plusieurs jours, les appels aux dons en faveur des victimes de Courrières sont nombreux. La Belgique voisine met en avant le nombre des victimes nationales : 43 des 44 étrangers disparus sont de nationalité belge. Il est donc assez normal que les journaux d’outre-Quiévrain s’inquiètent de l’indemnisation par la compagnie de Courrières. Quand la situation se tend, une certaine attention aux grèves souligne l’inquiétude de la presse belge. Le 3 avril 1906, il y a même une tentative des mineurs en grève de faire sauter le pont entre la Belgique et la France, à Quiévrain, afin d’empêcher les travailleurs belges de venir dans les mines françaises. À plusieurs reprises, des Belges sont pris à partie par les grévistes, y compris sur le territoire belge, comme le 15 avril 1906.

De l’autre côté de la Manche, on reste fermement britannique : le Pall Mall Gazette explique que le masque utilisé par les secouristes allemands est de conception britannique. Les manifestations violentes inquiètent ici aussi et la presse anglaise souhaite le retour au calme même si la répression doit être « difficile et douloureuse », d’autant que les journaux conservateurs constatent avec effroi que trois leaders syndicaux britanniques sont reçus à Lens. Un risque de contagion est toujours possible. La description de Paris à l’approche du 1er mai montre une ville en état de siège, désertée par ses habitants, où les seules personnes imperturbables sont… les touristes britanniques qui font du lèche-vitrine ! À l’inverse, la presse espagnole met en avant la solidarité entre Français, le sérieux des installations industrielles qui contraste avec le retard espagnol. Toutefois, si le voisin français pourtant réputé pour son sérieux a connu un tel désastre, Madrid en tire des leçons sur les questions de sécurité, les nouvelles méthodes de secours et la nécessité de l’information en période de crise. De plus, Courrières vient révéler les divisions entre Castillans et Catalans, socialistes et modérés : par exemple, le journal El Socialista lance sa propre souscription, différente de celle de la mairie madrilène. La presse helvétique se distingue par ses réflexions sur la catastrophe en tant que telle : peut-elle ouvrir le chemin d’un avenir meilleur ? Faut-il être fataliste en se disant que les désastres sont inévitables mais qu’il faudra toujours des mineurs ? Le risque technologique, déclarent de nombreux journaux, va de pair avec le progrès : il y aura encore des victimes mais ce qu’une faille technologique a créé, un autre progrès technologique permettra de l’éviter. De plus, les Suisses rappellent que le lien social doit se réaffirmer, se renforcer en période de deuil car, sinon, la catastrophe peut tout ruiner. En conséquence, si la presse helvète montre au début quelque sympathie pour les mouvements de grévistes, quand ces derniers deviennent violents, les journaux conservateurs demandent de la fermeté aux troupes françaises d’autant que la Suisse connaît de forts mouvements sociaux au même moment.

Un chemin vers la paix en Europe ?

Si les discours relayés par la presse européenne sont souvent au final assez « internes », il y a un point sur lequel les commentaires des journaux ont essayé de s’élever au-delà des égoïsmes de chacun. La catastrophe à peine connue, les Allemands ont vite réagi et envoyé à Courrières 25 hommes des mines de Westphalie, parfaitement équipés. Cet événement exceptionnel dans un contexte extrêmement tendu entre la France et l’Allemagne a particulièrement retenu l’intérêt des Suisses qui craignent un conflit à leur porte : « Ce que les diplomates ne peuvent réaliser, le malheur en est capable : rapprocher les nations », écrit le journal suisse germanophone Nebelspalter, le 24 mars 1906. Outre-Rhin, des cartes postales évoquant les mineurs westphaliens venus en France ont été aussi éditées : si certaines montrent Guillaume II en grand uniforme passant en revue les héros du jour, d’autres cartes sont accompagnées de formules aux accents chrétiens (« Aime ton prochain comme toi-même »). Mais cet accès de solidarité se heurte à des sentiments moins chaleureux. Une déclaration des sauveteurs allemands à la Gazette de Bruxelles met l’accent sur les « soixante ans de retard » des ingénieurs français, ce qui est mal pris évidemment par la presse française.

Quelques années plus tard, l’Europe se déchire pendant quatre ans. Mais au-delà des circonstances politiques des années 1920, un film va reprendre la leçon d’humanisme issue de Courrières et proclamer que les frontières n’ont plus de sens quand son voisin souffre. C’est le film de Georg Pabst intitulé en français La tragédie de la mine (1931) et beaucoup plus symptomatiquement Kamaradschaft (Camaraderie) en allemand. Dès le banc-titre initial, le film rappelle la catastrophe de Courrières et le geste allemand envers les mineurs français. Le long métrage décrit d’abord les tensions persistantes entre Français et Allemands dans une région minière frontière (les traumatismes de la guerre ne sont pas loin). Puis, quand arrive la catastrophe dans une mine française, on voit l’élan de solidarité des Allemands envers leurs camarades français, là-bas, au fond de la mine. Le film fait jouer Français et Allemands dans leur langue, il est d’une véracité impressionnante. Pabst croit à l’abolition des frontières, à la solidarité de classe. Courrières devient une relecture du présent destinée à conjurer les angoisses à venir. Il reste que la dernière image n’est guère optimiste : alors que les travailleurs français et allemands avaient fait sauter les grilles qui marquaient la frontière entre les deux pays pour faciliter les secours, à la fin du film, militaires français et allemands constatent très officiellement que les grilles ont été reposées et qu’elles sont solides…

Bibliographie

Varaschin, Denis, Laloux, Ludovic (dir.), 10 mars 1906. Courrières, aux risques de l’histoire, Paris, GRHEN, 2006.


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