Symbolisme belge et discours nationaliste

Résumé

Jeune État né en 1830, la Belgique est depuis sa création en quête d’une identité culturelle. Dès lors, les critiques et historiens de l’art mettent en place au tournant du xxe siècle le concept nationaliste de l’art flamand, devant englober toute la production artistique du pays dans le giron du réalisme. Entre ostracisation et assimilation, le symbolisme, dont l’écho est considérable en Belgique, fait également l’objet de cette construction identitaire.

Auguste Levêque, Hymne d’amour, non daté, huile sur toile, H. 1.82,  L. 2.35 m., Musée royal des beaux-arts d’Anvers.

Le symbolisme face à la recherche identitaire

Le « moment » symboliste – courant artistique européen de la fin du xixe siècle dont les représentants revendiquent un art propre à exprimer par la forme une réalité supérieure – trouve en Belgique un écho considérable tant dans les œuvres littéraires que plastiques. Il ne cesse d’épouser les contours des profondes mutations intellectuelles que connaît ce pays à cette période, notamment la quête identitaire à laquelle participe l’ensemble de l’intelligentsia belge. Jeune État né en 1830, la Belgique est depuis sa création à la recherche d’une identité culturelle, recherche qui s’intensifie, dès 1880, lors des célébrations du cinquantenaire du pays et de l’Exposition historique de l’art belge 1830-1880. Les critiques relèvent à cette occasion les nombreux héritages esthétiques imposés au pays par les tutelles étrangères. D’autres désignent, tout en le regrettant, certains artistes français comme initiateurs de l’art moderne belge. En réaction à cet événement, certains intellectuels tentent de délimiter et définir l’atavisme artistique d’un pays traversé par des courants esthétiques aussi divers que contradictoires. Comme le rappelle Sébastien Clerbois, c’est « à cette fin que les critiques d’art conçoivent ce qui est appelé l’art flamand », concept, à l’époque, propre au débat culturel. Ce terme a pour finalité de rassembler les diverses expressions artistiques autour d’un dénominateur commun rattaché à la tradition picturale de ce pays : le réalisme. Au tournant du xxe siècle de nombreux essais témoignent de cette tentative pour écrire une histoire de l’art flamand, parmi lesquels Jules du Jardin, L’art flamand (1896), Gustave Van Zype, Nos peintres (1903), Camille Lemonnier L’école belge de peinture 1830-1905 (1906), Albert Croquez, Les peintres flamands d’aujourd’hui (1910).

Le symbolisme et sa réception n’échappent pas à cette recherche identitaire. Entre rejet total et récupération, la place dédiée au symbolisme belge dans cette histoire est difficile à cerner. Dès les premières manifestations du symbolisme en Belgique, bien que favorablement accueillis quand il s’agit d’artistes français, comme Odilon Redon (1840-1916), certains acteurs rejettent fermement ce mouvement par un discours déjà teinté de nationalisme, comme en témoigne la critique du peintre James Ensor (1860-1949) face à la nomination de Jean Delville (1867-1953) au prix de Rome en 1895. Dénonçant les « contorsions épileptiques » du nouveau prix de Rome, ce dernier signale le changement stylistique brutal de Delville, passant d’une peinture réaliste à une œuvre idéaliste issue du discours du trop français Joséphin Péladan (1858-1918) – initiateur d’un symbolisme ésotérique dans les arts – et d’une italianisation reniant les « qualités flamandes » : « Nous voyons […] le peintre de La Terre et de l’Accouchée baiser la robe des vierges Botticelliennes, s’attacher à la queue des mages […]. Certes, les plaisants symbolistes se gorgent de fiente Botticellienne. […] Personnages boursouflés, négation absolue de coloris, manque complet de qualités flamandes. »

Vers la nature

Parallèlement au discours de certains artistes, l’histoire de l’art établie au tournant du xxe siècle tente elle aussi de légitimer le rejet du symbolisme en invoquant le nationalisme. L’ouvrage de Camille Lemonnier (1844-1913) intitulé L’école belge de peinture 1830-1905, paru en 1906, en est l’exemple le plus probant et peut se lire comme le manifeste d’un réalisme comme identité nationale dans les arts. De nombreux ouvrages ultérieurs ne font que suivre la voie déjà tracée par Lemonnier en opposant un art réaliste et flamand, donc national, à un art symboliste, français et latin, donc étranger au berceau culturel de la Belgique. Pourtant, le succès du symbolisme chez les artistes belges a très certainement permis de résister à cette ostracisation systématique. De l’ésotérisme prôné par Jean Delville ou Émile Fabry (1865-1966), aux ambigüités d’artistes aussi réceptifs aux valeurs réalistes que symbolistes, comme Léon Frederic (1856-1940) ou Auguste Levêque (1866-1921), la diversité des productions picturales continue de surprendre. Dès lors, comment forger un art national tenant compte de ces artistes belges reconnus qui se référent au symbolisme ? Certains minimisent l’impact de cette mouvance dans leur art, en parlant volontiers d’errance momentanée, c’est le cas par exemple de Gustave Vanzype (1869-1955) qui, pour parler de l’art de Frederic, parle de « défaites – ces demi-défaites » ou « d’œuvres confuses » quand « il lui arriva […] de trop s’éloigner de la réalité ». Quant aux peintres indissociables du symbolisme français, ils sont balayés d’un revers de main comme les tenants d’un art « accessible seulement à quelques-uns » et qui n’a aucun lien avec la tradition nationale. Parallèlement, une histoire de l’art plus ouverte aux différents mouvements se développe et se fonde sur la réception de certaines œuvres littéraires belges, notamment celles de Camille Lemonnier. Il s’agit de la pensée naturiste. Ce néologisme artistique fut initié en France par les écrivains Georges de Bouhélier (1876-1947) et Maurice Le Blond (1877-1944). Ce dernier résume parfaitement cette philosophie dans l’introduction de son ouvrage Essai sur le naturisme : « Nos aînés ont préconisé le culte de l’irréel […]. Pour nous l’au-delà ne nous émeut pas, nous croyons en un panthéisme gigantesque et radieux. […] Nous revenons vers la Nature. » Le rejet du symbolisme ésotérique par le culte du réel et de la nature revendiqué par le naturisme rencontre un écho considérable en Belgique, probablement parce qu’il répond en partie aux interrogations identitaires qui agitent le débat national. C’est Jules Du Jardin (1863- circa 1940) qui, dans son ouvrage L’art flamand, paru en 1896, évoque la possible symbiose du symbolisme avec l’identité artistique nationale. L’auteur tente de penser le symbolisme en rapport avec la tradition des primitifs flamands. Il fonde cette interprétation sur plusieurs travaux, notamment ceux d’Edgar Baes (1837-1909), L’Allégorie et le Symbole (1898), lauréat d’un concours à l’Académie royale en 1899. Baes glorifie l’allégorie comme origine de l’harmonie entre symbolisme et réalisme, le rendant ainsi plus sensible et moins hermétique. De nombreux artistes comme Léon Frederic et Auguste Levêque s’inscrivent pleinement dans ce sillage. Maurice Le Blond atteste dans son ouvrage de la portée qu’eut cette pensée dans le discours artistique en Belgique : « […] un jeune penseur de Flandre, M. Edgar Baes ne s’écriait-il pas : “ Notre art atavique, illuminé d’un simple rayon de cette vivace et pure lumière, reviendrait [sic] soudain, entre tous, une force et retrouverait ce que nous aspirons à voir éclater de nouveau au grand jour, la sublime inspiration de la réalité transfigurée ”. »

Tantôt honni, tantôt détourné, tantôt assimilé, le moment symboliste s’implante profondément en Belgique et y trouve une terre de prédilection. Le discours s’y rapportant semble le reflet de la quête d’identité inhérente au jeune État belge soucieux de se protéger de toutes tutelles étrangères et de fonder un art national.

Bibliographie

Clerbois, Sébastien, L’ésotérisme et le symbolisme belge, Wijnegem, Pandora Publishers, 2012.

Draguet, Michel, Le symbolisme en Belgique, Bruxelles, Fonds Mercator, 2010.


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