Les tentatives de concorde religieuse
Dans la première moitié du xvie siècle, l’idéal d’un retour à l’unité confessionnelle repose sur l’idée humaniste de concordia. Les tenants de l’humanisme chrétien – dont Érasme – proposent de rapprocher les positions adverses autour de concessions religieuses. Inspiré par une sagesse évangélique, Érasme estime pouvoir trouver un compromis, intransigeant sur les préceptes fondamentaux de la foi mais omettant les adiaphora, ces « choses indifférentes » au salut.
C’est dans le Saint-Empire qu’ont lieu les premières tentatives d’application de ces idées. En 1530, à la diète d’Augsbourg, Melanchthon, porte-parole des luthériens, présente à Charles Quint la Confessio Augustana. D’essence plus évangélique que protestante, cette confession de foi est un texte de réconciliation, finalement rejeté par les plus radicaux des deux camps, qui rappelle le principe de la justification par la foi mais épargne le pouvoir pontifical. En 1548, l’empereur impose l’Interim d’Augsbourg qui, tout en rétablissant l’Église romaine, propose de passer sous silence un certain nombre de points problématiques. Son application est cependant limitée ou empêchée par les princes protestants comme catholiques.
Stimulées par les défaillances du concile de Trente ouvert en 1545 par Paul III, les tentatives nationales de concorde se multiplient malgré les échecs. Jusqu’à la fin des années 1550, plusieurs colloques réunissant théologiens catholiques et protestants s’organisent en terre d’Empire. En France, le chancelier « moyenneur » Michel de l’Hospital et la régente Catherine de Médicis convoquent en 1561 le colloque de Poissy qui échoue également devant l’intransigeance des deux camps.
Parmi ces tentatives, la via media anglaise d’Élisabeth Ire peut sembler la plus aboutie. Reposant sur la synthèse entre un dogme calviniste et une liturgie d’inspiration catholique, le settlement élisabéthain propose une voie moyenne susceptible de s’imposer à une majorité modérée. C’est toutefois sans mentionner la persistance de poches de catholicité et l’influence radicale des calvinistes issus du refuge ou des presbytériens écossais. La via media élisabéthaine est alors plutôt le signe d’une conviction caractéristique de la seconde moitié du xvie siècle, celle d’un retour à l’unité religieuse qui doit avoir comme préalable la paix civile et l’obéissance au prince.
L’unité tôt ou tard : uniformisation religieuse ou tolérance civile ?
Face au raidissement des positions antagonistes, le choix est fait dans le Saint-Empire d’un retour à la paix et à l’unité sur une base territoriale. La paix d’Augsbourg de 1555 reprend en partie la paix de Kappel à l’origine de la fixation confessionnelle dans les cantons suisses (1531). Selon le principe du cujus regio, ejus religio, l’identité religieuse de chaque État et ville libre dépendra du bon vouloir du prince. Le Saint-Empire devient alors une mosaïque de principautés catholiques et protestantes.
Dans les États centralisés et certaines villes germaniques, les autorités initient l’expérience d’une coexistence religieuse. Malgré des tentatives comme celle de la confédération de Varsovie (1573) qui semblent poser les fondements d’une première forme de liberté religieuse, c’est une vision plus pragmatique de la tolérance civile qui est majoritairement envisagée. Cette conception prend acte de l’impossibilité momentanée de restaurer l’unité religieuse sans mettre l’État en péril. Pour préserver la cohésion civile, l’autorité politique reconnaît donc provisoirement aux principales confessions de son territoire une liberté de conscience et de culte, partielle ou totale. En France, cette ligne est pensée dès 1560 par des catholiques modérés regroupés sous la désignation de Politiques. Ils inspirent la politique royale d’abord portée par Michel de l’Hospital, qui a fait évoluer ses idées « moyenneuses ». La tolérance civile se construit, non sans difficultés, au fil des guerres et des édits de pacification, depuis celui de Saint-Germain (1562) jusqu’à l’édit de Nantes (1598). Ces idées inspirent aussi les calvinistes hollandais qui font face à l’intransigeance catholique espagnole. Après la partition des Pays-Bas (1581), les Provinces-Unies, officiellement pluriconfessionnelles, commencent à envisager une tolérance civile.
Ces politiques n’ont toutefois qu’un caractère temporaire puisque, à terme, est attendu le retour à l’unification religieuse. Les minorités confessionnelles, catholiques ou protestantes, auxquelles elles sont imposées imaginent d’ailleurs que l’unité pourrait se reconstruire en leur faveur. C’est cette obsession qui explique les impasses et échecs des paix de religion.
Heurs et malheurs des paix de religion
Dans les États n’autorisant qu’une seule confession, le processus de confessionnalisation, parfois perturbé par la succession des princes, entraîne des tensions liées aux interprétations divergentes des règlements religieux. Bien que plus ponctuels, des affrontements multiformes subsistent, témoignant aussi du ressentiment des communautés exclues des pacifications. Si la paix d’Augsbourg reconnaît officiellement le luthéranisme, elle exclut en effet les calvinistes ainsi que certains courants radicaux.
Dans les espaces pluriconfessionnels, la coexistence pacifique instituée reste fragile. Les tensions entre communautés portent le plus souvent sur le contrôle du temps et de l’espace, notamment à l’occasion des cérémonies et des fêtes religieuses. En France, malgré les conditions définies par les édits, le simple passage des processions catholiques devient souvent l’élément déclencheur d’un nouvel affrontement. L’envoi de commissaires de la paix dans les provinces du royaume constitue la preuve de ces difficultés d’application des édits.
Si les guerres de religion du début du xviie siècle ont leur propre dynamique, elles héritent des tensions du siècle précédent. La paix de Westphalie qui, en 1648, met fin à la guerre de Trente Ans les révèle en intégrant finalement les calvinistes du Saint-Empire. Elle limite aussi les changements confessionnels trop brutaux en réduisant le « droit de réforme » qui permet au prince d’imposer son culte à ses sujets. Elle autorise enfin l’exercice des confessions pratiquées publiquement en 1624. Il s’agit là d’un des premiers essais de tolérance d’État garantie par la loi.
En initiant des expériences inédites, les politiques de conciliation et pacification des xvie et xviie siècles ont des conséquences qui dépassent la dimension religieuse. Ces expériences redéfinissent le rapport du prince à la religion ainsi que les missions des gouvernants. En préférant, tout du moins temporairement, la cohésion civile à l’unité religieuse, elles hiérarchisent les devoirs de l’État, faisant du maintien de la paix une priorité face à la défense de la religion établie. Si l’heure de la raison d’État n’a pas encore sonné, les expériences des troubles religieux créent aussi les conditions d’avènement d’une autonomisation du politique, associée à une sacralisation renouvelée du prince et de son pouvoir.
Christin, Olivier, La paix de religion. L'autonomisation de la raison politique au xvie siècle, Paris, Seuil, 1997.
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