Traité de Tordesillas, 7 juin 1494

Espagne et Portugal se partagent le monde

Résumé

Le 7 juin 1494, l’Espagne et le Portugal s’accordent pour fixer la limite entre leurs domaines respectifs au méridien passant à 370 lieues à l’ouest des îles du Cap-Vert. Ils déterminent ainsi deux zones au sein desquelles ils auront le monopole de la découverte, de la navigation et du commerce. Mais rapidement, les prétentions des Ibériques à la fréquentation exclusive de certains espaces soulèvent une série de difficultés et de contestations qui caractérisent le temps de l’adaptation des Européens à un espace mondial de mieux en mieux connu.

Lignes de partage entre le Royaume de Castille et le Portugal aux 15e et 16e siècles.

Dans la seconde moitié du milieu du xve siècle, une série de bulles pontificales accorde aux Portugais le monopole sur les terres conquises ou à conquérir au détriment des Sarrazins et des païens. Mais ils doivent compter sur les prétentions rivales des Castillans qui ambitionnent également de s’étendre vers le sud. Le traité d’Alcaçovas (4 septembre 1479) permet à la Castille de conserver les Canaries, alors que le Portugal se voit reconnaître les archipels des Açores, du Cap-Vert et surtout le droit exclusif de navigation, de découverte et de commerce au-delà de la Guinée. Ce traité, confirmé par une bulle papale en 1481, établit le principe d’une zone dévolue à un seul pays européen en dehors de l’Europe. De ce fait, la seule voie de navigation possible directe vers l’Asie pour les Espagnols est celle de l’ouest qu’emprunte Christophe Colomb. En mars 1493, avant de rentrer en Espagne, le navigateur touche terre à Lisbonne où il est reçu par Jean II, roi du Portugal. Celui-ci fait clairement savoir qu’il revendique la souveraineté des terres qui viennent d’être découvertes sur la foi des bulles papales antérieures. Entre droit de la découverte pour les Espagnols et engagement pontifical pour les Portugais, les puissances ibériques s’opposent sur la légitime propriété des nouvelles terres. L’importance de cette question pousse le pape Alexandre VI à fulminer la bulle Inter caetera (4 mai 1493). Elle accorde aux Rois catholiques, Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon, « libre et entière puissance, autorité et juridiction » sur les terres découvertes ou à découvrir situées à 100 lieues « à l’ouest et au midi » des archipels des Açores et du Cap-Vert. Cette concession s’accompagne d’une interdiction « rigoureuse » « sous peine d’excommunication majeure » pour tout étranger qui tentera de se rendre en ces lieux sans autorisation. La ligne de démarcation est plutôt indicative et correspond à deux jours de navigation depuis les possessions portugaises.

Jean II du Portugal demande alors aux Rois catholiques de traiter directement de la délimitation de leurs domaines atlantiques. Les discussions aboutissent à la signature du traité de Tordesillas le 7 juin 1494. L’objet de l’accord est de résoudre le « différend sur ce qui appartient à chacune des deux parties de l’espace qui reste à découvrir ». À cette fin, il est décidé d’établir une ligne « de pôle à pôle » située à 370 lieues des îles du Cap-Vert. La partie orientale formera le domaine portugais et la partie occidentale le domaine espagnol. Chacun s’engage à ne pas envoyer de vaisseaux naviguer dans la zone du partenaire avec, néanmoins, une dérogation pour les bâtiments espagnols qui pourront traverser le domaine portugais en « chemin droit » vers l’ouest. Les signataires s’engagent également à ne pas en appeler à l’autorité du pape contre les dispositions du traité, mais seulement à en demander la reconnaissance, ce qui se produit en 1506. Il s’agit bien d’un accord diplomatique portant sur un partage territorial qui, d’ailleurs, n’évoque pas les questions d’évangélisation.

La principale disposition du traité est la détermination de la limite entre les zones espagnole et portugaise à 270 lieues plus à l’ouest que celle fixée par la bulle Inter caetera de 1493. Le déplacement occidental de la démarcation permet aux Espagnols d’exercer leur domination sur une partie plus importante de ce qu’ils croient être l’Asie. Quant aux Portugais, la localisation à 370 lieues à ouest des îles du Cap-Vert leur permet de contrôler la route des Indes passant par le cap de Bonne-Espérance. Par ailleurs, même s’il n’y a pas de preuve formelle, plusieurs indices laissent penser qu’il est possible que les Portugais aient eu connaissance de l’existence d’une terre dans l’Atlantique Sud dès 1493. Le nouvel accord leur permet de s’assurer de la souveraineté de ce qui deviendra le Brésil, officiellement découvert en 1500.

Si les dispositions du traité de Tordesillas règlent bien les différends atlantiques, elles nourrissent d’autres difficultés. Au début des années 1510, les Portugais prennent pied dans l’archipel des Moluques, qui est la zone de production des clous de girofle. Les Espagnols leur contestent le droit de s’établir sur place, estimant que le traité de Tordesillas a divisé la terre en deux hémisphères et que l’archipel se trouve dans leur partie. Dans les années suivantes, des escarmouches opposent Portugais et Espagnols au sujet de la possession des Moluques, en raison de l’impossibilité de déterminer l’antiméridien correspondant à celui de Tordesillas. Finalement, le contentieux des Moluques est réglé par le traité de Saragosse (22 avril 1529) signé entre Jean III du Portugal et Charles Quint. Il prévoit la détermination d’une ligne de partage qui passe à 297,5 lieues à l’est des Moluques qui sont reconnues aux Portugais. Au final, l’hémisphère portugais fait environ 187 degrés et celui des Espagnols 173 degrés, soit un partage pratiquement égal entre deux demi-sphères.

Le monopole sur les découvertes, la navigation et le commerce établi au profit des puissances ibériques est contesté par la France, l’Angleterre et plus tard les Provinces-Unies. Elles considèrent que les décisions pontificales n’ont pas de caractère contraignant et que le traité est un engagement bilatéral n’engageant que les signataires. François Ier s’offusque du monopole ibérique sur les terres encore inconnues et aurait demandé « à voir la clause du testament d’Adam qui m’exclut du partage du monde ». Dans les années 1520, il finance les expéditions commandées par Giovanni da Verrazzano qui doivent, elles aussi, trouver un passage vers l’Asie. Au cours du xvie siècle, les Ibériques rappellent l’interdiction faite aux étrangers de naviguer dans leurs domaines respectifs. Cependant, au même moment, les Espagnols sont installés aux Philippines, en territoire portugais si l’on se réfère aux dispositions du traité de Saragosse. La rivalité entre États pour les découvertes, la navigation et le commerce en Amérique, comme en Asie, débouche sur une controverse entre les partisans de l’exclusivité des domaines maritimes, mare clausum, et ceux de la liberté des mers, mare liberum. En 1609, dans son Mare liberum (La liberté de la mer), le Hollandais Hugo Grotius défend l’idée que le droit de la nature et des gens interdit toute appropriation de la haute mer qui est considérée comme une propriété commune à tous les pays. Ce n’est qu’à partir des années 1640 que l’Espagne et le Portugal admettent le droit des étrangers à naviguer dans ce qu’ils ont, un temps, considéré comme leur partie du monde.

Bibliographie

Chandeigne, Michel, Duviols, Jean-Paul, Idées reçues sur les grandes découvertes, xve-xvie siècles, Paris, Le Cavalier bleu, 2015.

Congreso internacional de historia, el Tratado de Tordesillas y su epoca, Valladolid, Sociedad V centenario del tratado de Tordesillas, 1995.

Grewe, Wilhelm Georg, The Epochs of International Law, Berlin, De Gruyter, 2000.

Spate, Oskar Hermann Khristian, The Pacific since Magellan, Canberra, Australian National University Press, 1979, vol. 1.


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