Travail forcé dans les colonies européennes

xvie-xxe siècles

Résumé

Il existe des formes de travail forcé au xvie siècle, dans l’Amérique espagnole. Mais c’est à l’époque contemporaine, après l’abolition de l’esclavage, et après ou parallèlement à l’engagisme, que le travail forcé est utilisé systématiquement dans les colonies européennes : soit au bénéfice des colons (à Java dès 1830), soit au bénéfice de grandes compagnies concessionnaires (Congo belge et Congo français), soit au bénéfice de la « mise en valeur » des colonies par l’État colonial (AOF en particulier).

Construction d'une voie ferrée au Dahomey vers 1900. Photo : Roger Viollet

Peuvent être ainsi qualifiées des formes de travail imposées qui, contrairement à l’esclavage, sont temporaires et rémunérées, mais à des conditions inférieures à celles du marché. Cinq formes en ont été décrites dans la Conférence générale de 1930 du Bureau international du travail : les réquisitions de main-d’œuvre, les prestations, le travail des conscrits, le travail pénal, les cultures obligatoires.

Le travail forcé à l’époque moderne

Dans l’Amérique espagnole, le travail forcé est mis en place, notamment dans les mines comme au Potosí, en 1545. Il est en continuité avec les corvées personnelles exigées de leurs tributaires par les Mexicas (Aztèques) et les Incas. Sous l’autorité du chef indien, le cacique, reconnu par les autorités espagnoles, un pourcentage de la population est contraint de travailler plusieurs semaines voire une année, par roulement, dans les exploitations agricoles (estancias, haciendas), dans les moulins à sucre (trapiches) ou dans les ateliers de tissage (obrajes). Au Cap, dès leur arrivée au xviie siècle, les Boers utilisent les services forcés d’une partie des populations locales à côté de ceux d’esclaves importés.

L’engagisme

Nous évoquons ici l’engagisme, car les conditions du recrutement (en général pour trois à cinq ans) et la dureté du sort des travailleurs rendent légitime son rapprochement en fait, sinon en droit, avec le travail forcé.

Au xixe siècle, les abolitions interviennent à un moment où les plantations coloniales de type ancien ont un besoin croissant de main-d’œuvre, tandis que la nouvelle colonisation européenne demande de plus en plus de bras. Si l’appel à une main-d’œuvre africaine recrutée sur contrat cesse dès 1859 dans les colonies françaises, les Britanniques (à Maurice, en Afrique du Sud) et à un moindre degré les Français (de Pondichéry vers la Réunion) recourent à la main-d’œuvre indienne des coolies et à celle des Chinois. Ainsi « la Malaisie avait enregistré à elle seule 7 millions d’entrées [de migrants chinois] entre 1840 et 1940 » – et « près  de 15 millions de coolies chinois quittèrent leur pays pour travailler dans le monde entier », chiffre à comparer à celui des 1 à 2 millions d’Indiens employés dans le seul empire britannique.

Le travail forcé à l’époque contemporaine

À Java, le gouverneur Van den Bosch instaure dès 1830 un système de cultures  obligatoires contraignant le paysan à consacrer 1/5e de sa terre et de son travail aux cultures d’exportation au bénéfice de l’État.

Mais les zones qui ont le plus à souffrir sont celles livrées aux compagnies concessionnaires en Afrique centrale : les colonisés sont contraints à une épuisante collecte du caoutchouc naturel, imposée au prix des pires sévices, dénoncés par Edmund Morel (Red Rubber…, 1907) pour l’État libre du Congo, ou, en AEF, par André Gide (Voyage au Congo, 1927).

Dans les colonies de peuplement britanniques en Afrique (xixe-xxe siècles) existent diverses formes de travail forcé, alors que dans la British West Africa, il disparaît vers 1920, sauf lorsqu’il est déguisé en political labour.

En Afrique française subsaharienne, au xxe siècle, si les diverses formes de travail forcé sont détournées à maintes reprises au bénéfice des colons – en particulier à Madagascar – elles sont avant tout exercées au bénéfice de l’État colonial. Le colonisateur a besoin de main-d’œuvre pour ses plantations et chantiers et ne trouve pas d’autre moyen d’y faire travailler une population qui, ayant gardé la maîtrise de la terre, est en mesure de trouver sa subsistance dans les cultures vivrières sans aller travailler pour lui (d’où le thème de la « paresse invétérée de l’indigène »). 

Il y avait eu déjà des réquisitions de porteurs – dans toutes les colonies – lors de la pénétration coloniale. La durée annuelle des prestations en travail est limitée en théorie à deux semaines en AOF. Il s’agit d’employer la population adulte et masculine à des travaux d’intérêt local : entretien des routes, constructions d’édifices. Le procédé rappelle la corvée d’Ancien Régime, mais le colonisateur s’inspire aussi de certaines prestations exigées dans l’Afrique d’autrefois : ainsi à Madagascar, le fokonolona. Il existe également des réquisitions de main-d’œuvre utilisée plus longtemps, loin du village, pour des grands travaux : routes, barrages, chemins de fer (en AEF, la construction du Congo-Océan, réputée avoir coûté autant de morts que de traverses et dénoncée par Albert Londres dans Terre d’ébène, 1929).

Les chefs indigènes doivent fournir un quota de travailleurs, surveillés par les gardes de cercle : dans un manuscrit peul de Guinée, l’un de ces derniers est ainsi traité : « Un seul gros chimpanzé nous tombe dessus, pousse devant lui un troupeau de porteurs ; sur leurs têtes sont des fardeaux trop lourds pour leurs forces // La cravache ne le quitte pas, la grosse bête accomplit sans faute les ordres des négateurs de Dieu. » Certaines réquisitions se font pour des chantiers lointains : Voltaïques dans les chantiers forestiers de la Côte d’Ivoire, travaux et cultures de l’Office du Niger, etc.

On peut évoquer également l’effort de guerre fourni par la population en 1939-1945 et en 14-18 par l’envoi de produits stratégiques (caoutchouc de cueillette en Guinée, etc.). Dans certains cas sont réquisitionnés la deuxième portion du contingent recruté pour le service militaire et, moins systématiquement, les prisonniers de droit commun.

Enfin, on évoquera les cultures obligatoires, liées à la volonté de développer des cultures d’exportation. Ainsi, des prestations de travail sont exigées dans les champs du commandant. Dans certains cas, cela n’excède pas un jour de travail par semaine. Dans d’autres, cela donne lieu à des abus criants dénoncés à plusieurs reprises, sans grand résultat, par les inspecteurs des colonies : ainsi lorsque, en Haute-Volta, le gouverneur Hessling (1919-1927) veut développer la culture du coton.

L’abrogation du travail forcé (loi Houphouët-Boigny, 1946) met fin à ce que l’on appelle encore aujourd’hui dans certaines anciennes colonies le temps de la force.

Bibliographie

Chaillou, Virginie, De l’Afrique orientale à l’Océan indien occidental. Histoire des engagés africains à la Réunion, thèse de l’université de Nantes, dir. J. Weber, 2010.

Coquery-Vidrovitch, Catherine, Le Congo au temps des compagnies concessionnaires (1898-1930), Paris, Mouton, 1972.

Fall, Babacar, Le travail forcé en Afrique occidentale française, 1900-1946, Paris, Karthala, 1993.

Vieillard, Gilbert, « Poèmes peuls du Fouta Djalon », Bulletin du Comité d’études historiques et scientifiques de l’AOF, 1937.


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