La conviction que le sort d’une confession ou d’un conflit national se joue à l’échelle de la chrétienté est générale aux xvie et xviie siècles. Le souhait de favoriser un camp, la crainte d’une contagion, l’exemple néfaste de la contestation de l’autorité ou la volonté de trouver un refuge favorisent l’intervention plus ou moins directe dans les affaires des États voisins. Les écrits de Luther, qui ont eu un succès immense jusqu’en Castille, les jésuites anglais formés sur le continent pour regagner leur patrie au catholicisme, le prince d’Orange et les calvinistes flamands, qui ont mené leurs premiers combats d’Allemagne et d’Angleterre, franchissent les frontières et les utilisent à leur profit. De véritables réseaux et des stratégies globales ont même émergé. La papauté et les ordres religieux, Calvin à Genève ou les Électeurs palatins ont été les plus impliqués dans la construction de fronts confessionnels opposés. A-t-on assisté à leur avènement ?
Causes communes
L’internationalisation des conflits touche d’abord le Saint-Empire. Dès les deux guerres qui opposent les cantons suisses catholiques et protestants entre 1529 et 1531, les belligérants cherchent des alliés au-delà des frontières. Plus encore, en Allemagne, la ligue luthérienne de Smalkalde, formée en 1531, a noué des liens durables avec les rois de France, d’Angleterre et de Danemark. Ce recours à l’étranger s’inscrit largement dans le cadre traditionnel et se traduit par un soutien diplomatique, une aide financière et parfois des opérations coordonnées. Au cours de l’hiver 1551-1552, Charles Quint s’est trouvé confronté aux attaques des princes protestants allemands et d’Henri II, alliés contre lui, et a failli être enlevé.
À partir de la fin des années 1550, les troubles s’apaisent dans l’Empire et c’est le dynamisme du calvinisme qui divise profondément l’Europe occidentale. Les interventions étrangères dans les conflits confessionnels en Angleterre, en Écosse, en France et aux Pays-Bas prennent des formes nouvelles : le jeu intérieur des États est profondément déstabilisé. L’assistance militaire, diplomatique et financière est directe et bénéficie autant à des souverains qu’à des partis politico-religieux. En Écosse, les nobles calvinistes, grâce à un soutien anglais, triomphent ainsi en 1559-1560 de la couronne catholique, que son allié français, trop affaibli, doit abandonner. La reine d’Angleterre Élisabeth Ire résiste à l’excommunication pontificale, à des tentatives d’attentat soutenues par Rome ou Madrid et à plusieurs tentatives de débarquement espagnoles entre 1588 et 1602.
Les combats en France et aux Pays-Bas sont les plus directement liés encore du fait de la coopération entre huguenots français et « gueux » flamands et de la rivalité entre Habsbourg et Valois. Les deux espaces deviennent des champs d’affrontements confessionnels et diplomatiques à l’échelle de l’Europe. En France, en pleine crise de succession à partir de 1584, le pouvoir royal noue des liens avec l’Angleterre et les révoltés des Pays-Bas, alors que Ligue catholique reçoit le soutien de plusieurs souverains catholiques, Philippe II en tête.
De nouveaux conflits, caractérisés par le poids des oppositions confessionnelles, éclatent au xviie siècle. L’assistance et les attaques étrangères s’apparentent alors plus à des relations d’État à État qu’à un interventionnisme déstabilisateur. Une nouvelle fois, c’est dans l’Empire qu’a lieu la principale guerre de religion : la guerre de Trente Ans. Le camp catholique, mené par les Habsbourg d’Autriche et d’Espagne, y affronte l’Union évangélique, fermement soutenue par le Danemark, la Suède et la France. Les conflits en Europe septentrionale et orientale ou dans les trois royaumes britanniques ne suscitent pas une mobilisation confessionnelle semblable à l’étranger.
Des paix pour l’Europe
L’intensité des conflits ne fait jamais totalement disparaître le rêve d’un retour à l’unité de la chrétienté. L’espoir d’un concile œcuménique ne se brise qu’après le refus des protestants de participer à la réunion tridentine (1545-1563). Des solutions politiques sont aussi envisagées, comme l’hégémonie pacificatrice du roi de France ou des Habsbourg, voire des deux dynasties unies. Quant au rêve d’unité chrétienne dans la croisade, sa portée est limitée. Sur le front austro-hongrois, catholiques et protestants de l’Empire combattent ensemble le Turc, mais les ligues européennes sont épisodiques et toujours partielles : elles voient le jour en 1538, entre 1571 et 1574, permettant la victoire de Lépante puis, à la suite du siège de Vienne, de 1683 à 1699.
Avec l’échec des colloques de conciliation entre théologiens et des compromis dogmatiques, des paix de religion sont élaborées à l’échelle nationale ou plurinationale pour tenter de rétablir la concorde civile. Leur négociation, leurs dispositions comme leur application occasionnent des débats et des pressions multiples. Les traités de Westphalie (1648) présentent un cas original : deux accords bilatéraux, entre l’Empire d’une part, et les rois de France et de Suède d’autre part, règlent les rapports politiques et confessionnels en Allemagne.
Les mesures de pacification construisent par ailleurs une tradition à l’échelle de l’Europe. Elles se servent de modèle ou de contre-modèle les unes aux autres. La paix suisse de Kappel (1531) est évoquée lors des discussions de la paix allemande d’Augsbourg (1555) ; elle-même sert de référence aux édits de pacification français ; l’efficacité de chacune d’entre elles est évaluée par le théologien hollandais Thierry Coornhaert, défenseur de l’éphémère Religonsfrid tentée aux Pays-Bas en 1578-1579. Malgré ces influences mutuelles et les contacts entre les partisans du compromis religieux, on n’assiste pourtant pas à l’avènement d’une Europe de la concorde.
Solidarités confessionnelles et jeu politique
D’une manière générale, les acteurs des guerres de religion ne présentent pas durablement de front uni sur la scène internationale. Il n’y a de leadership clair dans aucun camp. Ni le pape ni le roi d’Espagne ne sont des chefs de file incontestés dans le camp catholique : les autres États sont soucieux de tempérer leurs ambitions. Les luthériens et les calvinistes se témoignent plus de méfiance que de volonté d’entraide. Les souverains anglais, qui pourraient prétendre coordonner les entreprises protestantes, n’ont jamais voulu s’enfermer dans une diplomatie confessionnelle. Le sultan ottoman, enfin, soutient certes les morisques de Grenade, lors de leur révolte en 1568-1571, sans intervenir directement.
La collaboration et les liens de solidarité sont bien réels mais se traduisent d’abord par des actions ponctuelles et bilatérales. Elles ne font disparaître ni les rivalités traditionnelles ni la défense d’intérêts propres. C’est avec beaucoup d’opportunisme qu’est exploité l’affaiblissement de l’autorité souveraine. Ainsi l’intervention espagnole aux côtés de la Ligue entre 1589 et 1598 vise-t-elle autant à défendre la cause catholique qu’à protéger les Pays-Bas, à avancer des prétentions dynastiques en France qu’à affirmer la prééminence de Philippe II en Europe. La constitution de grands blocs confessionnels opposés est une menace parfois réelle, plus souvent fantasmée.
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