Logement des migrants et des étrangers, depuis 1945

Résumé

Les migrants se logent de manière générale moins bien que la population majoritaire. L’Europe, dans la seconde moitié du xxe siècle, n’échappe pas à la règle. En France, on assiste à une intervention précoce des pouvoirs publics dans les hôtels meublés et bidonvilles algériens qui vise à contrôler le mouvement nationaliste, dans le contexte de la guerre d’indépendance. C’est la naissance de la Sonacotral, mais aussi le début de l’accès au logement social. À la même époque, en Grande-Bretagne et en RFA, les migrants achètent des taudis pour contourner les discriminations. C’est à partir des années 1980 qu’on assiste à une convergence des situations au niveau européen, avec des crises, et parfois des révoltes urbaines, qui concernent les quartiers de logements sociaux dévalorisés où les migrants et leurs descendants sont nombreux. Désormais, une grande partie des migrants qui tentent de se réfugier en Europe sont réduits à construire des camps et des bidonvilles pour s’abriter.

Une famille du bidonville de la Folie à Nanterre au début des années 1960. © Monique Hervo, La Contemporaine.
La cité de transit du port de Gennevilliers au début des années 1970. © Monique Hervo, La Contemporaine.

Le logement des étrangers et plus largement des migrants peut se caractériser de manière ancienne et persistante par l’insalubrité et les concentrations. Cette situation tient à leur position de derniers arrivés et aux discriminations qu’ils rencontrent dans l’accès au logement. Depuis la Seconde Guerre mondiale, l’intervention de l’État sur le logement des étrangers dans différents pays européens varie en fonction de la disponibilité des logements, mais aussi des politiques migratoires et de la place accordée aux étrangers dans la société. Elle ne concerne d’ailleurs généralement qu’un fragment de la population étrangère, ciblée pour une raison politique ou sociale.

De 1945 à la fin des années 1960 : le temps de l’habitat insalubre

Avant 1939, lla France est le principal pays d’immigration en Europe. Dans la continuité des migrations provinciales du xixe siècle, les Belges, Italiens ou Polonais qui s’installent dans les zones industrielles connaissent des formes de logement inconfortables et précaires, mais celles-ci sont le lot de la plupart des ouvriers français, dont ils partagent à la fois les pratiques sociales et les quartiers. L’État ne s’en préoccupe nullement et du point de vue de l’accès au séjour seul compte un contrat de travail.

C’est après la Seconde Guerre mondiale que le logement des étrangers et des migrants coloniaux devient un enjeu politique. En France, dans les années 1950, la crise du logement d’une part, et la guerre d’Algérie d’autre part, entraînent une séparation spatiale et dans les formes d’habitat d’une partie des migrants. Peu qualifiés, derniers arrivés, les Algériens trouvent à se loger dans les hôtels meublés des grands centres urbains (la Goutte-d’Or à Paris), et constituent une proportion notable des sans-abris. Dans certaines banlieues industrielles encore peu urbanisées (Nanterre, Villeurbanne), des baraquements sont construits sur des terrains vagues. Cet habitat de fortune, qui n’a rien de neuf et n’est pas spécifique aux migrants algériens, est désigné comme « bidonville », un terme importé d’Afrique du Nord, quand ses habitants viennent d’Algérie. Dans le contexte de la guerre d’indépendance algérienne, ils font l’objet d’une politique de relogement, conçue comme un moyen de lutter contre l’emprise du Front de libération nationale et de montrer les efforts de l’État français en faveur des « Français musulmans d’Algérie ». La Société nationale de construction pour les travailleurs algériens et leur famille (Sonacotral) développe des foyers de travailleurs pour les « isolés » et des cités de transit pour les familles – qui sont essentiellement des espaces de relégation – mais leur réserve néanmoins des places dans le parc social classique, ce qui constitue alors une véritable promotion résidentielle. Antillais et surtout rapatriés d’Algérie, qui sont issus des colonies mais possèdent la nationalité française, et Portugais sont davantage privilégiés par l’État.

La situation est différente en Allemagne où l’État n’intervient guère. La RFA commence à faire appel à des travailleurs étrangers à partir des années 1950 : des accords de main-d’œuvre sont passés avec l’Italie, l’Espagne, puis la Turquie en 1961. Ces travailleurs ont le statut de Gastarbeiter, travailleurs invités, c’est-à-dire que du point de vue de l’État ils n’ont pas vocation à rester dans le pays. Ils sont nombreux à être logés dans des foyers de travailleurs par leurs employeurs. Les couples turcs qui se sont formés dès cette époque à Berlin trouvent à se loger dans de vieux immeubles insalubres sur le point d’être détruits, dans les quartiers de Kreutzberg et Wedding. En 1973, lorsque l’immigration de travail est arrêtée, 56 % des Turcs de Berlin y habitent et on parle de quartiers « ghettos ». Face au refus des propriétaires de louer à des Turcs, beaucoup achètent leur logement quand ils décident de s’établir durablement. On retrouve le même phénomène en Grande-Bretagne, où la discrimination raciale dans l’accès au logement social a conduit les migrants antillais à acheter des logements vétustes dans quelques quartiers de Londres et Birmingham.

« Crise urbaine » et politique de la ville dans les années 1980

En France, à la fin des années 1960, les bidonvilles et plus largement l’habitat insalubre des quartiers populaires où logent plus d’un million d’étrangers font l’objet de véritables politiques de résorption (loi Vivien du 10 juillet 1970) dans un objectif social et d’aménagement urbain. Les familles sont de plus en plus nombreuses à résider dans des logements équipés du confort moderne (salle d’eau, WC), dans le parc privé comme social, grâce au 1 % patronal (cotisation patronale qui permet de réserver des logements pour leurs employés). Seuls les travailleurs bien logés reçoivent d’ailleurs l’autorisation de faire venir leur famille en France.

À partir du milieu des années 1970, dans certains programmes, les concentrations d’étrangers sont croissantes (autour de 30 % aux Mureaux, à Aulnay-sous-Bois). Or cette entrée massive dans le parc social se produit alors que la crise industrielle et économique fragilise les ouvriers, en particulier étrangers, qui se retrouvent massivement au chômage, et que leurs enfants ne parviennent pas à entrer sur le marché du travail, tandis que les offices HLM ont plus de mal à entretenir leur parc. C’est dans ce contexte social tendu, sur fond de discriminations judiciaires et policières, qu’ont lieu plusieurs séries de révoltes urbaines à l’été 1981, qui mettent au premier plan les enfants de migrants issus du Maghreb (qui ne sont pas les seuls à prendre part aux révoltes). Dès lors, une « politique de la ville » est mise en place dans les quartiers de grands ensembles avec une importante population étrangère.

Des émeutes se sont également produites en avril 1981 en Grande-Bretagne, à Brixton, un quartier défavorisé avec une forte minorité antillaise, dans le sud de Londres. On retrouve les mêmes ingrédients de crise urbaine, de chômage et de violences policières. De fait, les Antillais, en particulier Jamaïcains, sont particulièrement concentrés dans des quartiers de taudis. Si la RFA n’a pas connu de telles émeutes, les étrangers connaissent la même situation de concentration dans les quartiers de premières arrivées. En 1989, 38 % des Turcs de Berlin habitent toujours les mêmes quartiers de Kreutzberg et Wedding, mais des mobilisations ont permis des opérations de réhabilitation.

Une crise de l’accueil depuis les années 2000

On assiste depuis les années 2000 à une véritable crise de l’accueil des étrangers, qu’il s’agisse des populations roms d’Europe de l’Est, ou de réfugiés issus d’Afrique ou du Moyen-Orient qui ne bénéficient pas de réseaux de parenté pour les accueillir. Bidonvilles, camps, jungle de Calais sont aujourd’hui le principal visage de l’habitat des migrants qui arrivent en France. Mais contrairement aux années 1960 et 1970 où ces espaces étaient tolérés en raison des besoins de main-d’œuvre, et où une politique de résorption avait été mise en place pour faire disparaître les bidonvilles, c’est aujourd’hui l’approche sécuritaire et répressive qui prime de la part de l’État français afin d’empêcher que les bidonvilles redeviennent des « sas d’entrée dans la ville », conformément à la fonction qu’ils occupaient dans les années 1960. En Allemagne, malgré l’accueil massif de réfugiés en 2015, ceux-ci ont été répartis par quotas dans les différents Länder pour éviter les regroupements et une partie d’entre eux ont été hébergés dans des « camps » très périphériques. Des « villes solidaires » cherchent néanmoins à mener une politique alternative.

Bibliographie

Blanc-Chaléard, Marie-Claude, « Les immigrés et le logement en France depuis le xixe siècle. Une histoire paradoxale », Hommes et Migrations, no 1264, novembre-décembre 2006, p. 20-34.

Cordon, Stéphanie, « L’’accès au logement :  le cas des Antillais en France et en Grande-Bretagne », Population, 49ᵉ année, no 2, 1994, p. 522-530.

Steinhilper, Elias, Hinger, Sophie, « L’accueil allemand, un modèle pour la France ? », Plein droit, no 115, décembre 2017.


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