Lorsque l’on cède un territoire, on cède aussi généralement les ressortissants de l’État qui en sont originaires, c’est-à-dire ceux qui en ont la nationalité. En Europe, depuis le début du xixe siècle, les traités consacrant des changements de frontière incluent fréquemment une clause d’option conventionnelle de nationalité. Cette disposition permet aux ressortissants des territoires cédés de conserver leur nationalité, le plus souvent à la condition expresse d’émigrer. Ainsi, à la faveur de l’annexion de 1871, les Alsaciens-Lorrains deviennent Allemands. La clause d’option incluse dans le traité de Francfort les autorise néanmoins à conserver la nationalité française s’ils quittent l’Alsace-Lorraine. L’application concrète de l’option engendre de nombreuses complications au regard de la nationalité.
Genèse de l’option de nationalité
En Europe, à l’époque moderne, les habitants changent de sujétion lors d’une conquête territoriale ; cependant, à partir du xviie siècle, se dessine un droit à l’émigration après une cession. Ainsi, les Alsaciens, qui deviennent sujets du roi de France par le traité de Ryswick de 1697, sont-ils autorisés à quitter le royaume avec leurs biens, à défaut de quoi ils doivent loyauté à leur nouveau souverain. L’option est mentionnée pour la première fois en tant que telle au traité de limites d’Elissonde, qui fixe la frontière franco-espagnole dans la vallée des Aldudes, en 1785.
Le traité frontalier entre l’Autriche et la Russie du 3 mai 1815, joint à l’acte final du congrès de Vienne, va servir de canevas à l’option pour toute l’époque contemporaine. Il est accordé aux populations domiciliées ou originaires du territoire cédé à l’Autriche de conserver la qualité de sujet du souverain russe, « au moyen d’une déclaration et d’une émigration » effectuées dans un délai donné. Si l’une des deux conditions n’est pas remplie, la qualité de sujet du souverain autrichien est acquise sans possibilité de recouvrir un jour sa sujétion d’origine. L’option concerne autant les ressortissants russes domiciliés sur le territoire passant sous souveraineté autrichienne que ceux qui y sont nés. En revanche, la nationalité des étrangers n’est en rien affectée.
Les traités internationaux et la jurisprudence permettent de dégager trois sortes d’options : l’option positive, qui accorde à un optant la nationalité de l’État où il est né ; l’option négative, qui enjoint un optant se retrouvant avec deux nationalités (cas d’une nationalité obtenue par l’effet du jus sanguinis et d’une autre du jus soli) à répudier sa nationalité par effet du jus soli ; enfin, l’option confirmative – cas le plus courant – où l’optant confirme sa nationalité, la plupart du temps en quittant le territoire passé sous une autre souveraineté.
À chaque modification de frontière son option
Lors de la création d’un nouvel État se pose la question du périmètre de ses ressortissants. L’option est l’outil qui permet de répondre à cette situation. Ainsi, en 1839, le traité des XXIV articles reprend-il les dispositions du congrès de Vienne afin de doter de nationaux la Belgique, nouvellement indépendante des Pays-Bas. Tout ressortissant néerlandais né sur le territoire belge obtient la nationalité du nouvel État, à moins qu’il ne déclare opter pour la nationalité néerlandaise et qu’il ne quitte le pays. C’est le même principe qui est appliqué en 1992 pour créer la nationalité slovaque, lors de la scission de la Tchécoslovaquie.
Lors d’une modification de frontière, une option accompagne souvent le traité qui la sanctionne. Après la cession de la Savoie et de Nice par le Piémont-Sardaigne à la France en 1860, ou celle du Schleswig par le Danemark à la Prusse en 1864, les populations domiciliées ou originaires ont ainsi eu la possibilité d’opter pour leur nationalité d’origine, à condition d’en avoir fait la déclaration et d’avoir émigré dans un délai respectif d’un an et de six ans. Certaines options sont plus libérales et s’accompagnent d’une consultation des populations. Par exemple, lors du rattachement de Menton et Roquebrune à la France en 1861, les habitants sont non seulement consultés par plébiscite, mais peuvent aussi opter pour la nationalité monégasque sans avoir à quitter leur ville.
Après la Première Guerre mondiale, les différents traités de paix présentent des clauses d’option destinées à établir la nationalité des habitants des États nouvellement indépendants et à déterminer celle des populations originaires de territoires changeant de souveraineté. La complexité de leur mise en œuvre a été à l’origine de bien des problèmes au regard de la nationalité et source de tensions diplomatiques, ce qui explique peut-être pourquoi l’option a en définitive été peu employée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
L’option des Alsaciens-Lorrains (1871-1873)
Jusqu’en 1914, les optants sont finalement assez peu nombreux. Ce sont principalement des fonctionnaires et des militaires qui font ce choix. L’option figurant dans le traité de Francfort de 1871 fait à ce titre exception : elle est à l’origine directe du départ de plus de 130 000 personnes d’Alsace-Lorraine, territoires cédés par la France à l’Allemagne à l’issue de la guerre de 1870.
Un million six cent mille ressortissants français nés et domiciliés en Alsace-Lorraine peuvent conserver la nationalité française, à condition de déclarer une option et de « transporter leur domicile » en France avant le 1er octobre 1872 ; ils disposent d’une option confirmative. Ceux résidant en dehors d’Alsace-Lorraine au moment de l’annexion, au nombre de 250 000 environ, peuvent quant à eux choisir de conserver la nationalité française ou de prendre la nationalité allemande, et jouissent d’un délai étendu au 1er octobre 1873 s’ils résident en dehors d’Europe ; ils disposent d’une option à la fois positive et confirmative. La déclaration d’option est à effectuer devant le Kreisdirektor dont dépend le domicile en Alsace-Lorraine, devant le maire en France, et devant une chancellerie diplomatique dans les autres cas. Mais, dans la réalité, les déclarations ne sont pas aussi compartimentées que les gouvernements ne l’auraient voulu.
Les différences d’application en France et en Allemagne génèrent de nombreux problèmes au regard de la nationalité, en particulier pour les femmes et les mineurs ayant fait une déclaration d’option. Entre 1871 et 1914, cette question mine les relations diplomatiques entre les deux pays. Les Alsaciens-Lorrains optent dans des proportions inédites : près de 508 000 personnes déclarent une option pour la nationalité française entre 1871 et 1873. Ils ne sont que 130 000 à quitter les territoires cédés. Quant à ceux vivant hors d’Alsace-Lorraine, ils optent massivement pour la nationalité française. Près de 3 000 optent pour la nationalité allemande ; ce sont principalement des détenus et des soldats, qui sont ipso facto libérés du service militaire. La plupart des optants s’installent à la frontière et en région parisienne, et 5 000 environ en Algérie. Toutes les catégories sociales sont concernées, mais les élites urbaines sont surreprésentées. Près d’un tiers des émigrants ont entre 17 et 21 ans et fuient le service militaire universel en vigueur en Allemagne, une motivation majeure au départ que l’on retrouve dans bien des options.
On le voit, l’option de nationalité offre aux habitants d’un territoire changeant de souveraineté la possibilité de conserver leur nationalité, souvent à la condition de le quitter. Ce droit est aussi un outil permettant aux États de se débarrasser des individus les plus hostiles à leur souveraineté en ne leur accordant pas le statut de ressortissant.
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