Les organisations étudiantes en Europe au xxe siècle

Résumé

Les organisations étudiantes à vocation représentative se structurent localement sur le modèle corporatif et associatif au tournant des xixe et xxe siècles, puis à l’échelle étatique, avant d’évoluer vers le syndicalisme après 1945, selon des modalités et des temporalités variables, mais qui témoignent de la circulation de pratiques et modèles. La sortie des deux conflits mondiaux est marquée par la constitution d’unions internationales, tandis que la fin de la guerre froide permet de fédérer la plupart des organisations étudiantes du continent européen. Ce second xxe siècle est jalonné par d’intenses mobilisations autour des questions internationales et universitaires, la crise estudiantine des années 1968 représentant à la fois un révélateur et un accélérateur de transformations profondes.

Carte postale du souvenir du consulat de Rome de la Corda Fratres, à l’occasion du premier congrès de la section italienne de cette fédération internationale étudiante, tenu à Rome en 1902 (auteur inconnu, 1902).

Création des organisations étudiantes

Les trois dernières décennies du xixe siècle marquent un changement majeur dans l’histoire des organisations étudiantes en Europe. Les fondations sont nombreuses à partir des années 1870-1880. Par exemple, en France, l’Association générale des étudiants (AGE) de Nancy est créée en 1877, suivie par celles de Lille (1881), Bordeaux (1882) et Paris (1883), tandis qu’en Belgique, les étudiants de Louvain s’organisent en régionales. Aussi, la tendance est alors à l’autorisation et l’acceptation de celles-ci par les pouvoirs publics, universitaires comme politiques – dont elles sont plus ou moins indépendantes. Le Student’s Representative Council (SRC) de l’université d’Édimbourg, créé en 1884, est ainsi rapidement reconnu comme un interlocuteur de premier plan par les autorités académiques. Au tournant des xixe et xxe siècles, l’existence d’organisations étudiantes est un phénomène plus ou moins généralisé, mais multiforme, dans un système universitaire, qui s’est modernisé au cours du xixe siècle. Certaines organisations conservent des traces de l’universitas médiévale (qui signifie corporation), à l’image des Korps de Leipzig, organisation étudiante élitiste, conservatrice et nationaliste. Si elle puise également dans la tradition corporatiste, l’organisation internationale étudiante Corda Fratres, fondée à Turin en 1898 par Efisio Giglio-Tos, emprunte par ailleurs aux pratiques du secret et de la clandestinité forgées par les carbonari durant la première moitié du xixe siècle. Ces associations sont généralement festives, fraternelles et folkloriques (drapeau, rituels de réunions, port d’un uniforme). Elles cherchent à défendre leurs intérêts (gestions des bibliothèques, sociétés de secours par exemple) et ne sont pas fédérées en unions nationales (en dehors des organisations de type confessionnel), à l’exception de la France, où l’Union nationale des étudiants de France (UNEF), créée à Lille en 1907, est considérée comme une première. Des regroupements nationaux préexistent pourtant mais sont désunis, à l’image de la Belgique, où la question communautaire divise les organisations étudiantes, qui se structurent à l’échelle du pays en 1900 et 1902 : la Fédération wallonne des régionales de l’Université catholique de Louvain et le Katholiek Vlaamse Hoogstundeten Verbond (KVHV).

Le tournant revendicatif de l’entre-deux-guerres

La fondation de la Confédération internationale des étudiants (CIE) en 1919 incite cependant aux regroupements nationaux. Ainsi, est créée à Londres, en 1921, la National Union of Students (NUS), afin de permettre la représentation officielle et la participation des étudiants britanniques à la CIE. L’entre-deux-guerres est également marqué par un « tournant revendicatif » selon Robi Morder : les problèmes de la paix mondiale, la réforme de l’université ainsi que « la crise économique et l’augmentation des effectifs universitaires amènent les associations étudiantes à sortir de leur activité strictement coopérative ». Si l’apolitisme est revendiqué par la plupart des organisations étudiantes européennes, cela ne signifie pas un désintérêt pour les questions politiques. L’engagement des étudiants sur la scène politique est ancien : il caractérise la « naissance de l’étudiant moderne » au début du xixe siècle et s’exprime à travers une presse spécifique (Pierre Moulinier). Des années 1880 aux années 1930, le poids de certains courants militants pèse ainsi fortement sur l’activité des organisations étudiantes. Par exemple, à Paris, divers mouvements socialistes révolutionnaires et anarchistes fleurissent dans le Quartier latin dans les années 1890 ; en Italie, la section napolitaine de la Corda Fratres s’engage dans le combat antifasciste après 1922 ; en Grande-Bretagne, l’influence de la gauche marxiste se traduit par la diffusion du journal Student Vanguard et l’accès du communiste Brian Simon à la présidence de la NUS en 1938.

Le temps des mobilisations

Ces tendances s’accentuent dans les décennies suivant la Seconde Guerre mondiale, qui voient par ailleurs la fondation ou la refondation d’organisations étudiantes, dans un monde redessiné par la guerre froide. Ainsi, l’Union internationale des étudiants (UIE), créée à Prague et succédant à la CIE, se range dans le camp soviétique. La mutation de l’associationnisme et du corporatisme étudiant vers un syndicalisme étudiant est une évolution marquante de l’après-1945, dont le symbole est la charte adoptée par l’UNEF en 1946, lors de son congrès réuni à Grenoble. Ce texte – qui définit l’étudiant comme un travailleur intellectuel – devient une référence pour des organisations étudiantes européennes telles que le Mouvement des étudiants universitaires belges d’expression française (MUBEF, fondé en 1961) et le Studenten Vakbeweging (SVB) créé en 1963 aux Pays-Bas. Dans les années 1960, le rejet du colonialisme et la lutte contre la guerre du Vietnam mobilisent les organisations étudiantes en Europe, comme à Lisbonne (mais ces manifestations, lancées par l’Esquerda Democratica Estudantil (EDE), sont durement réprimées par la dictature salazariste) et à Berlin-ouest par exemple, où la Sozialistischer Deutscher Studentenbund (SDS) de Rudi Dutschke orchestre les contestations de la politique occidentale dans le tiers monde. Cependant, les organisations étudiantes se montrent aussi toujours soucieuses des problèmes universitaires et de la condition étudiante. Les mobilisations de la seconde moitié des années 1960 illustrent cet enchevêtrement des revendications. Ainsi, en 1967, une vague d’occupation des locaux universitaires gagne les villes italiennes contre le projet de réforme de l’université : Pise en mars, Milan et Turin en novembre, Naples, Pavie, Salerne et Gênes en décembre. La politisation des unions nationales étudiantes se renforce dans les années 1968, au point d’engendrer de profondes divisions des unions nationales et la création de nouveaux groupes étudiants radicaux. En France, de 1971 à 2001, la « grande UNEF » connaît une scission entre l’UNEF-Renouveau et l’UNEF-Unité syndicale (US) puis Indépendance et démocratie (ID) à partir de 1980. Dans un contexte de croissance des effectifs (massification de l’accès à l’université), d’ouverture à un public plus large sociologiquement (démocratisation) et de globalisation de l’enseignement supérieur, de nouvelles générations investissent ces syndicats étudiants en quête de représentativité dans un système universitaire en transformation. Les organisations étudiantes se sont notamment mobilisées contre des projets de réforme des gouvernements, en Italie en 1989-1990, en Belgique en 1994, en Grèce en 2006 ou encore en France en 2007.

Des fédérations à l’échelle européenne

Avec la construction européenne et ses élargissements successifs, des organisations étudiantes se structurent aussi à l’échelle continentale afin de défendre les intérêts des étudiants, avec la création en 1982 du Western European Student Information Bureau (WESIB) par sept syndicats nationaux, dont la NUS, l’UNEF-ID, le Danske Studerendes Fællesråd (DSF, Danemark), les Sveriges Förenade Studentkårer (SFS, Suède) et l’Österreichische HochschülerInnenschaft (Öh, Autriche). Après la chute du mur de Berlin et la dislocation de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), le WESIB intègre les anciens pays du bloc de l’Est et devient l’European Student Information Bureau (ESIB) puis l’European Students Union (ESU), qui fédère, en 2019, 47 organisations issus de 39 pays (y compris hors Union européenne donc), dont l’Union des étudiants de Suisse (UNES) et l’Ukrainian Association of Students Self-Governments (UASS, Ukraine) par exemple.

Bibliographie

Hiraux, Françoise (dir), Les engagements étudiants. Des pratiques et des horizons dans un monde globalisé, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant, 2008.

Morder, Robi, Rolland-Diamond, Caroline (coord.), Étudiant(e)s du monde en mouvement. Migrations, cosmopolitisme et internationales étudiantes, Paris, Éditions Syllepse, 2012.

Bergan, Sjur, Klemencic, Manja, Primozic, Rok (dir), Student Engagement in Europe : Society, Higher Education and Student Governance, Strasbourg, Conseil de l’Europe, 2015.


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