Une période d’effacement (1815-1864)
Les royaumes nordiques ont eu chacun leur heure de gloire dans l’histoire mais, dès le xviiie siècle, ils ne jouent plus qu’un rôle marginal dans la vie du continent. Les guerres révolutionnaires et napoléoniennes aggravent leur situation : en 1809, la Russie acquiert le Grand-Duché de Finlande auquel elle accorde le statut d’État autonome au sein de son empire ; et si en 1814, Bernadotte (1763-1844), alors régent de Suède, force le Danemark à lui céder la Norvège, celle-ci entre en rébellion. Copenhague perd en outre sa dernière colonie en 1845, et Stockholm en 1878. Sur le plan économique, les États du Nord ont des difficultés depuis 1800, en raison des guerres incessantes et de la volonté de Londres de diminuer drastiquement ses importations de bois. Ajoutons que leurs structures sociales et politiques sont encore marquées par l’Ancien Régime et que leurs campagnes connaissent une véritable crise sociale.
Conscients de leurs faiblesses, ils adoptent une politique étrangère réaliste. Ils cessent après 1814 de se faire la guerre et évitent de céder aux chimères du mouvement scandinaviste, d’inspiration libérale et romantique. Ils s’orientent aussi vers la neutralité pour éviter d’être pris dans les querelles des grandes puissances. Cela les mène parfois à d’humiliantes concessions : ainsi, en 1838, Bernadotte abandonne le projet d’un port de transit à Slite, sur l’île de Gotland, suite à la pression du tsar. Le Danemark pour sa part, traumatisé par les interventions britanniques de 1801 et 1807 et la guerre perdue de 1814, veut se replier sur son pré carré. Mais la révolution allemande de 1848 entraîne la montée d’un puissant mouvement nationaliste dans les duchés germanophones du Schleswig et du Holstein. La Prusse en profite pour envahir la région et ne retire ses troupes qu’après l’intervention diplomatique des Anglais et des Russes, sans que la Suède ait esquissé le moindre geste en faveur de Copenhague. Le traité de Londres en 1852 est un compromis boiteux, remis en cause en 1864 lorsque les troupes de Berlin et de Vienne bousculent l’armée danoise puis se partagent les duchés – récupérés en totalité par la Prusse dès 1866.
Les nouvelles opportunités et leurs limites (1864-1918)
La croissance économique de la fin du xixe siècle améliore le statut des pays du Nord. Ils s’industrialisent à grands pas et exportent vers la Grande-Bretagne et l’Allemagne leurs produits laitiers, leur bois et quelques fabrications industrielles haut de gamme (aciers suédois, papier, etc.). Les grandes compagnies maritimes danoises, norvégiennes et suédoises acquièrent une stature internationale. Le niveau de vie global rattrape en partie celui des grands pays occidentaux qui n’hésitent plus à y investir. Les voyageurs étrangers sont frappés par cette évolution.
Toutefois, si la neutralité scandinave est mieux reconnue par les grandes puissances, elle ne fait pas l’unanimité quant à son contenu : des conflits éclatent entre, d’une part, les conservateurs partisans de forts crédits militaires, et d’autre part, les libéraux et les sociaux-démocrates qui refusent cette orientation. De plus, les systèmes politiques et les sociétés nordiques restent inégalitaires, créant du mécontentement et une émigration massive entre 1880 et 1914. La montée des nationalismes est aussi un facteur de déstabilisation : en 1905, les Norvégiens se prononcent en faveur de l’indépendance et il s’en faut de peu que l’armée suédoise n’intervienne ; en Finlande, la politique dite de « russification » provoque de fortes tensions, notamment en 1905-1906. Cela dit, ces événements font progresser les aspirations démocratiques.
La Première Guerre mondiale est un épisode dramatique pour la région. Bien que neutre, elle est soumise à l’impitoyable blocus de la Navy et sa situation alimentaire devient préoccupante. Le mouvement ouvrier se radicalise, des gardes rouges apparaissent, notamment en Finlande où le soulèvement social-démocrate de 1918 fait l’objet d’une terrible répression menée par les autorités du nouvel État indépendant depuis décembre 1917.
Crises et réformes (1919-1949)
Les années 1920 sont également difficiles. La Russie bolchévique et la Finlande ont des rapports exécrables jusqu’en 1922. La volonté suédoise de reprendre à cette dernière les îles Åland provoque deux ans de vaines chicanes auprès de la SDN, qui tranche fin 1921 en faveur d’Helsinki. Les Norvégiens réclament par ailleurs des droits de pêche sur la côte orientale du Groenland et sur le Spitzberg, ce qui cause des problèmes avec le Danemark et l’URSS jusqu’en 1925. Les nationalistes islandais ne se contentent pas de leur statut d’autonomie à l’égard du Danemark. Enfin, sur le plan intérieur, le chômage alimente le mécontentement dans les pays scandinaves, et la Finlande connaît, malgré sa croissance, d’importants conflits sociaux.
La crise des années 1930 est courte mais violente dans le Nord, avec des affrontements de classe marqués. Elle provoque une débâcle politique qui dure presque jusqu’au milieu de la décennie, avec un paroxysme en Finlande où le mouvement de Lapua met en danger la démocratie. Néanmoins, dans les pays scandinaves, les compromis entre sociaux-démocrates et partis paysans permettent d’amorcer des réformes sociales qui contribuent, de même que leur neutralité et leur action au sein de la SDN, à rehausser leur prestige à l’étranger, ainsi qu’en témoigne l’ouvrage de Marquis Schildts vantant la « middle way » suédoise (1936).
Mais la Deuxième Guerre mondiale ralentit ces avancées. Le Danemark et la Norvège sont occupés par les nazis, l’Islande par les Anglais puis les Américains. La Finlande est à deux reprises en guerre contre l’URSS et perd des territoires ainsi que de nombreux soldats. Au sortir du conflit, Danemark et Norvège finissent par rejoindre l’OTAN et l’OECE, tandis que Suède et Finlande restent neutres. Cette dernière est cependant un pays vaincu qui doit régler une indemnité de guerre très élevée et signer en 1948 un traité de coopération avec son puissant voisin soviétique.
Modèles nordiques, libéralisation et adhésion à l’Union européenne (des années 1950 aux années 1990)
Entre 1950 et les années 1980, se mettent en place des États-providence qui suscitent l’intérêt de nombreux observateurs, d’autant qu’ils s’appuient sur une efficacité économique reconnue. Les neutralités suédoise et finlandaise n’empêchent pas ces pays d’améliorer leur statut international : Helsinki obtient des concessions de la part de l’URSS, où ses entreprises trouvent un juteux marché, et la diplomatie de Stockholm est appréciée dans le tiers monde.
Dès les années 1960, l’intérêt des pays nordiques pour des accords économiques avec la Communauté économique européenne augmente en dépit de leur participation à l’AELE (Association européenne de libre-échange). Mais, en 1972, seul le Danemark franchit le pas et entre dans la CEE. La crise économique des années 1980 et un retour conjoncturel de la droite au pouvoir amène les Suédois et les Norvégiens à envisager de nouveau une adhésion ; de même la chute de l’URSS pour la Finlande. Les référendums de 1995 font entrer officiellement la Suède et la Finlande dans l’UE, mais les Norvégiens préfèrent en rester au stade d’un accord commercial privilégié. Cette évolution met sur le tapis la question d’une adhésion des neutres à l’OTAN, mais celle-ci n’est pas tranchée, les opinions publiques restant très partagées.
Carrez, Maurice, « La neutralité scandinave durant la Première Guerre mondiale : un parti plutôt risqué ? », Relations internationales, no 160, février 2015, p. 71-93.
Derry, Thomas K., The History of Scandinavia, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1979.
Kouri, Erkki, Olesen, Jens E., The Cambridge History of Scandinavia, Cambridge, Cambridge University Press, 2016, vol. 2.