La Commission économique des Nations unies pour l’Europe (UNECE), une agence paneuropéenne méconnue

Résumé

La Commission économique des Nations unies pour l’Europe (UNECE) est l’une des cinq commissions régionales de l’ONU (Organisation des Nations unies). Créée en 1947, elle vise à promouvoir l’intégration économique paneuropéenne. Rassemblant 56 pays, essentiellement d’Europe de l’Ouest et de l’Est, elle a constitué pendant la guerre froide l’un des rares lieux où pouvaient dialoguer des économistes et des scientifiques des deux blocs, à travers le rideau de fer. Elle a, durant ses plus de 70 ans d’existence, contribué à harmoniser les règles en matière de transport, d’énergie, d’économie, de transport, de gestion des fleuves et de l’environnement, etc., à travers toute l’Europe continentale.

Commission économique des Nations unies pour l’Europe (UNECE).
Commission économique des Nations unies pour l’Europe (UNECE).

Le lendemain de la Seconde Guerre mondiale est une période propice à la création d’organisations internationales. L’Europe est détruite et ruinée, les peuples et nations s’unissent à la conférence de San Francisco (avril-juin 1945) qui crée l’ONU, avec 51 États fondateurs. Au niveau de l’Europe, qui est le continent le plus dévasté par la guerre, il s’agit aussi d’unir les États pour reconstruire.

L’objectif de reconstruire l’Europe dévastée

C’est l’Assemblée générale de l’ONU, le 11 décembre 1946, qui recommande l’établissement de cette Commission, pour apporter une aide efficace aux pays dévastés par la guerre. Elle charge le Conseil économique et social de l’ONU (ECOSOC) de la créer, ce qui est fait en mars 1947. La même année est créée une commission analogue pour l’Asie et l’Extrême-Orient, puis en 1948 la commission pour l’Amérique latine (CEPAL), en 1958 celle pour l’Afrique, et en 1973 celle pour l’Asie occidentale.

L’objectif premier de la Commission est de prendre des mesures pour faciliter la reconstruction de l’Europe (en lien avec l’UNRRA, agence temporaire de l’ONU consacrée à la reconstruction post-guerre), élever le niveau de l’activité économique, et renforcer les relations économiques des pays européens. Elle doit aussi étudier les problèmes économiques et technologiques et diffuser de l’information économique, technique et statistique. Son siège est basé à Genève.

Une institution paneuropéenne, qui fait exception pendant la guerre froide

Cependant, dès 1946, Churchill, dans son discours à Fulton, parle d’un « rideau de fer » qui s’abat sur l’Europe. Effectivement, en 1948-1949, le blocus de Berlin, puis la création en 1949 de deux Allemagnes séparées, actent la séparation de l’Europe en deux blocs idéologiques rivaux.

Néanmoins la Commission UNECE entame son travail et devient un des seuls canaux par lequel économistes, techniciens et scientifiques des deux blocs peuvent échanger. Elle devient un instrument de dialogue économique. Elle montre son utilité, contribuant à l’harmonisation des routes, des panneaux signalétiques, des standards contre la pollution, de la gestion des fleuves, des règles de transport, des standards agricoles, électroniques, des statistiques, et des questions industrielles et énergétiques.

Le Suédois Gunnar Myrdal, premier Secrétaire exécutif de la Commission (1947-1957)

En avril 1947, l’économiste suédois Gunnar Myrdal est nommé premier Secrétaire exécutif de la Commission. Celle-ci est alors initialement établie de manière temporaire, afin de poursuivre l’action de l’UNRRA, mais en 1951 elle devient permanente, grâce aux efforts de Myrdal. Au début des années 1950, elle dispose d’un personnel de 150 personnes (surtout des Britanniques et des Français, comme l’économiste britannique Nicholas Kaldor), et compte 16 États membres européens et 6 non européens. Myrdal s’efforce de faire de la Commission un organe indépendant et scientifique. Pendant la guerre froide, la Commission devient l’une des rares institutions à permettre une coopération technique entre scientifiques, techniciens et économistes de l’Est et de l’Ouest. Pour gagner la confiance des Soviétiques, Myrdal nomme un Soviétique comme adjoint et ajoute le russe comme langue officielle de la Commission, aux côtés du français et de l’anglais. Il est à noter que les États-Unis, en tant que puissance occupante de l’Allemagne, ont été membres de la Commission dès le début.

Sous la direction de Myrdal, la Commission se concentre sur la recherche et la publication d’études sur la situation économique de l’Europe, notamment avec le rapport annuel Economic Survey of Europe, paru pour la première fois en 1948, qui, tout en étant indépendant des gouvernements nationaux, fournit des statistiques sur la situation économique de l’Europe. Ce travail de la Commission permet d’harmoniser les statistiques en Europe. En 1954 la Commission publie un autre rapport important : Growth and Stagnation in the European Economy, préparé par Ingvar Svennilson de l’université de Stockholm. Ce rapport de référence affirme que les restrictions au commerce ont été responsables de la stagnation économique en Europe pendant l’entre-deux-guerres.

L’autre mission importante de la Commission est de conclure des accords et d’adopter des standards sur des questions techniques : plusieurs comités techniques sont créés, sur les transports terrestres, le logement, le bâtiment, l’industrie, le charbon, le bois, l’acier, l’électricité, l’agriculture, le commerce, etc.

Lors de sa création en 1947, la Commission est envisagée pour devenir le canal par lequel l’argent du plan Marshall serait distribué. Myrdal y est favorable. Mais finalement c’est l’Organisation européenne pour la coopération économique (OECE) – créée en 1948 – qui assurera ce rôle, marginalisant et affaiblissant l’UNECE.

Pourtant, l’UNECE, et notamment son Comité de l’acier, qui s’efforce de résoudre le problème du manque d’acier à l’époque, reste influente. Ce Comité conseille même Jean Monnet, un des pères de l’Europe. Économiquement, sous la direction de Myrdal, l’UNECE adopte une voie moyenne entre l’approche libérale, néoclassique, et l’approche communiste : elle prône un État social et des réformes sociales. Elle réfléchit aux moyens d’augmenter la productivité et la croissance économique en Europe. Afin de maintenir la cohésion de la Commission malgré le clivage Est-Ouest, Myrdal choisit de centrer l’action de celle-ci sur des questions pratiques, comme la fourniture de céréales et de charbon. Par exemple, cela aboutit à l’organisation d’une Convention européenne sur les céréales en 1950. Et le Comité du charbon de l’UNECE réussit à déjouer une crise due au manque de charbon en distribuant 60 millions de tonnes de charbon aux pays dans le besoin entre 1948 et 1950.

Après la mort de Staline en 1953, la coopération Est-Ouest en Europe est facilitée, ce qui donne une impulsion aux travaux de l’UNECE. L’UNECE est pionnière en Europe pour la coopération sur l’environnement, abordant la question de la pollution des fleuves et rivières dès 1955.

Les travaux de l’UNECE ont pu aussi susciter la polémique, comme par exemple une étude sur le prix du pétrole en Europe, initiée dans les années 1950, qui a provoqué l’opposition des grandes compagnies pétrolières, qui ont fait pression pour empêcher la publication du rapport.

Des actions de coopération et de standardisation utiles et tangibles et jusqu’à nos jours

Avec la fin de la guerre froide en 1989-1990, la transition des pays d’Europe de l’Est vers l’économie de marché donne un regain d’activité à la Commission. L’UNECE mène alors des études sur le sujet, afin d’aider ces pays. Le nombre de membres de l’UNECE augmente, de 24 à 55 en l’espace de quatre ans. L’UNECE développe des activités d’assistance et de conseil pour aider ces pays à atteindre les standards économiques de l’Europe de l’Ouest.

L’UNECE a obtenu des résultats concrets dans plusieurs domaines techniques. Dans le domaine de l’énergie, le Comité de l’énergie durable a élaboré des accords internationaux (classifications, codifications) concernant le charbon et le gaz. La classification cadre des Nations unies pour l’énergie fossile et les réserves et ressources minérales de 2009 (CCNU-2009) permet de stabiliser, de sécuriser et de contrôler les ressources énergétiques fossiles (charbon, gaz, pétrole, uranium), et s’élargit aujourd’hui aux ressources en énergies renouvelables.

Dans le domaine de l’environnement, l’UNECE a fait adopter, depuis 1979, 16 instruments internationaux juridiquement contraignants, notamment sur la pollution de l’air, les accidents industriels, les eaux transfrontières.  

En matière de transports, l’UNECE a élaboré 57 accords et conventions, pour harmoniser les réglementations nationales, simplifier le passage des frontières et améliorer les infrastructures de transports, par route, rail et voie navigable.

Depuis 2017, c’est pour la première fois une femme, la Slovaque Olga Algayerova, qui dirige la Commission. À présent, l’UNECE compte 56 États membres, et reste l’unique forum pan-européen pour la coopération économique.

Bibliographie

Berthelot, Yves (dir.), Unity and Diversity in Development Ideas : Perspectives from the UN Regional Commissions, Bloomington, Indiana University Press, 2004.

Berthelot, Yves, Rayment, Paul, Looking Back and Peering Forward : A Short History of the United Nations Economic Commission for Europe, 1947-2007, New York/Genève, Bibliothèque numérique des Nations unies, 2007.

Maurel, Chloé, « Myrdal, Gunnar », dans Bob Reinalda, Kent J. Kille, Jaci Eisenberg (dir.), IO BIO, Biographical Dictionary of Secretaries-General of International Organizations, Nimègue, Radboud Universiteit, 2014, www.ru.nl/fm/iobio (consulté le 12-06-2020).


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