La créolisation du culte chrétien

Résumé

Les Européens s’attachent à évangéliser les populations indigènes d’Amérique et les esclaves noirs qu’ils ont fait venir d’Afrique. Les uns et les autres participent activement à l’initiative des religieux aux fêtes de l’Église et introduisent de nombreux éléments de leur culture. Cela conduit à des expressions originales du christianisme. On parle alors de créolisation du culte chrétien.

Vírgen de Guadalupe (La Vierge de Guadeloupe), copie originale, gravure du XVIe siècle.
Vírgen de Guadalupe (La Vierge de Guadeloupe), copie originale, gravure du XVIe siècle.

Dans son mouvement d’expansion à travers le monde, le christianisme a rencontré de nombreuses cultures et civilisations qui lui ont apporté des couleurs particulières. L’Église a su longtemps accepter ces « emprunts » afin de faciliter l’implantation du christianisme.

Aux Amériques au xvie siècle, le culte chrétien se pare de nouveaux atours au contact des populations nouvellement converties. Ainsi, les formes du christianisme se créolisent.

La participation des indigènes à la vie religieuse

En Nouvelle-Espagne, les Indiens participent activement à l’initiative des religieux aux fêtes de l’Église et introduisent de nombreux éléments de leur culture. Ainsi, le 20 juin 1538, ils accompagnent la procession du Saint-Sacrement dans les rues de la ville de Tlaxcala par des danses et des chants traditionnels. Les religieux regardent avec bienveillance ces comportements festifs qui sont pour eux autant de promesses de conversions de cœur. Les Indiens jouent aussi sur les places et devant les églises des saynètes de la vie quotidienne indigène lors des haltes des processions. Les franciscains favorisent la formation de chœurs, notamment d’enfants, et soutiennent les Indiens qui s’essaient à la composition d’airs religieux, en prenant soin qu’ils respectent les canons de la musique d’Église qu’ils enrichissent de nouvelles sonorités avec des instruments traditionnels. Les Indiens fabriquent des objets de dévotions (croix, rosaires). Les plumes, très en usage chez les peuples amérindiens, ornent les manches des croix et les parures des palanquins. L’art plumassier des Aztèques était réputé à l’époque précolombienne. Ils réalisent aussi des peintures sur l’histoire de l’Église et ses saints, en particulier dans les chapelles des couvents. On parle ainsi d’un art indo-chrétien. L’introduction d’éléments indigènes dans les cérémonies chrétiennes témoigne aussi dans l’esprit des religieux, notamment des franciscains, d’un autre dessein, celui d’établir une Église d’Amérique.

Les langues indigènes sont privilégiées par les évangélisateurs pour d’enseigner la doctrine chrétienne afin d’être compris. Les pièces du théâtre édifiant qu’ils font jouer aux Indiens sont données en langue indigène. Les religieux traduisent ou font ainsi traduire les prières (Ave Maria, Notre Père) et les déclarations de foi (Credo) et certains chants. Ils prêchent dans leur langue. Les langues indigènes les plus répandues (nahuatl, quechua, etc.) sont favorisées.

La formation de sanctuaires en l’honneur de la Vierge ou du Christ renforce encore le caractère particulier du christianisme américain en lui donnant ses propres repères. Ils deviennent des lieux de pèlerinage et de piété. Le sanctuaire de Notre-Dame de Guadalupe se développe dans les années 1550 au Mexique. La légende veut que la Vierge soit apparue à un Indien, Juan Diego, en 1531 sur le mont Tepeyac, près de Mexico, où était adorée auparavant une divinité aztèque associée au dieu civilisateur Quetzalcóatl, et qu’une rose se soit miraculeusement dessinée sur son manteau. La Vierge de Copacabana sur le lac Titicaca au Pérou offre un autre exemple de sanctuaire développé par les religieux à l’intention des Indiens.

Cependant cet ancrage culturel du christianisme n’est pas du goût de tous. Certains acteurs de la vie coloniale redoutent que, étant peu au fait de la doctrine, les Indiens ne poursuivent en fait leurs pratiques idolâtres dans un cadre chrétien. Il est vrai que les religieux qui s’appuient sur les rituels et les pratiques indigènes pour favoriser l’adhésion au christianisme, ne lèvent pas toutes les ambigüités. La Contre-Réforme initiée à Trente prône l’orthodoxie catholique et s’accommode mal de ces éléments réputés étrangers à la tradition catholique romaine, c’est-à-dire occidentale. Les conciles provinciaux mexicains de 1555 et 1565 tentent de mieux contrôler les productions indigènes et en particulier les traduction des textes sacrés en langue indigène qu’ils suspectent d’avoir été mal traduits et de contenir des erreurs théologiques voire des éléments contraires au christianisme. Les danses et les chants en langues indigènes sont sévèrement encadrés. Il est vrai que, dans leur souci de convaincre les Indiens, les religieux ont introduit dans leurs traductions des textes et des prières, et dans leurs catéchismes mêmes, des concepts précolombiens qui peuvent prêter à confusion. Ils parlent ainsi des prêtres en reprenant le mot qui désignaient les anciens dépositaires du sacré précolombiens. Le grand dieu civilisateur aztèque Quetzalcóatl « le serpent à plumes » s’apparente sous la plume de certains à une forme christique primitive… ; à l’inverse, le diable se pare des couleurs des dieux précolombiens les plus violents ou sanguinaires. Les dieux guerriers et tutélaires des Aztèques sont notamment dénoncés. Tezcatlipoca apparaît comme la figure par excellence du diable.

Les esclaves noirs et le christianisme

La créolisation du culte chrétien n’est pas seulement le fait des seuls Indiens. Les autres composantes de la société coloniale y participent. Les populations noires réduites en esclavage qui arrivent sur les littoraux dans les navires négriers quoique évangélisées apportent avec elles leur culture qu’elles mêlent au christianisme. Elles suivent leurs rythmes. Les Espagnols nés aux Amériques, les créoles, développent une sensibilité religieuse particulière. Ils ont leurs propres sanctuaires comme celui de la Vierge des remèdes à Mexico.

En un sens, le christianisme américain se forge une identité au contact des réalités des peuples rencontrés et des contextes. Il en est de même dans les autres espaces touchés par les Européens au xvie siècle, et notamment en Inde, et même plus loin en Chine et au Japon.

La créolisation du culte chrétien ne signifie pas un syncrétisme religieux. En effet, si les Indiens convertis, profondément attachés à leurs traditions, continuent à pratiquer leurs cultes anciens, les deux religiosités ne se mêlent pas et, avec le temps, les pratiques précolombiennes perdent leur signification religieuse pour devenir des traditions culturelles permettant de revendiquer et d’affirmer son identité face à l’hispanisation de la société. La porosité entre les deux religions existe mais elle n’est pas évidente en termes de croyances. Il est bien entendu des cas plus complexes. Les rites vaudou et candomblé figurent de vrais cas de syncrétisme ou les univers chrétien et africain, en grand partie yoruba, se mêlent pour produire une nouvelle religion avec ses prêtres.

Bibliographie

Roulet, Éric, L’évangélisation des Indiens du Mexique. Impact et réalité de la conquête spirituelle au xvie siècle, Rennes, PUR, 2008.

Benavente Motolinía, Fray Toribio de, Historia de los Indios de la Nueva España, éd., introduction et notes de G. Baudot, Madrid, Castalia, 1985.


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