La « guerre de Continuation » soviéto-finlandaise (25 juin 1941-19 septembre 1944)

Résumé

La guerre de Continuation entre la Finlande et l’URSS se déroule entre le 25 juin 1941 et le 5 septembre 1944. Longue et sanglante, elle place Helsinki dans une position inconfortable entre son allié de circonstance, le Reich hitlérien, et son puissant ennemi. Officiellement, il s’agit de profiter de l’opération Barbarossa déclenchée par Hitler contre l’URSS pour récupérer les terres perdues à l’occasion de la guerre d’Hiver, qui avait opposé Finlandais et Soviétiques (décembre 1939-mars 1940). Mais les victoires du début font évoluer le scénario vers une tentative inavouée de bâtir la Grande Finlande dont rêvent les nationalistes ultras. Cependant, les victoires soviétiques de 1943 poussent les dirigeants finlandais à rechercher à nouveau le compromis, ce qui déclenche l’ire des nazis et les entraîne vers une dérive dangereuse. Les sacrifices inouïs des soldats finlandais en août 1944 ainsi que la volonté de Staline d’aller le plus vite possible à Berlin sauvent le pays d’une invasion. Mais le prix à payer est très élevé.

Avance finlandaise ultime en 1942.
Avance finlandaise ultime en 1942. Source : Wikimedia Commons.
Visite d’Hitler à Mannerheim 4 juin 1942, photo du journal illustré Suomen Kuvalehti.
Visite d’Hitler à Mannerheim 4 juin 1942, photo du journal illustré Suomen Kuvalehti.
Les territoires cédés par la Finlande en septembre 1944.
Les territoires cédés par la Finlande en septembre 1944. Source : Wikimedia Commons.

Si la guerre d’Hiver russo-finlandaise de 1939-1940 jouit d’une relative notoriété en Occident, la guerre de Continuation (1941-1944) entre les deux pays est peu connue bien qu’elle ait été beaucoup plus longue et tout aussi cruciale pour l’avenir du pays.

Un consensus moins fort qu’en 1939

En 1939, la guerre d’Hiver avait provoqué un élan de ferveur patriotique ; quand les troupes finlandaises attaquent l’URSS en 1941, une majorité considère encore qu’il s’agit d’une démarche légitime. Mais déjà des inquiétudes se font jour : des organisations sociales-démocrates expriment l’espoir que le pays ne mènera pas une guerre de conquête et des personnalités font connaître leurs doutes en privé. Le gouvernement, pour éviter une fracture de l’opinion, met donc en avant l’idée de « guerre défensive » et entretient le flou sur ses buts de guerre. La direction politique du pays et l’état-major minimisent aussi les effets de leur alliance avec le Reich car ils craignent les réactions négatives des Anglo-Saxons et de la Suède. Cela n’empêche pas les Britanniques de bombarder la bande de Petsamo début août et de rompre leurs relations diplomatiques avec Helsinki. En décembre 1941, ils lui déclarent la guerre.

Les victoires initiales

L’armée finlandaise, bien préparée, n’a pas à couvrir la frontière nord du pays puisque l’allié nazi s’en charge. En outre, le gros des troupes soviétiques fait face à l’opération Barbarossa. L’armée dite de Carélie reconquiert courant juillet 1941 les rives septentrionales du lac Ladoga et poursuit sa marche jusqu’à la rivière Tuloksa. Sur le flanc nord, la 14e division est en septembre à mi-chemin entre la frontière finlandaise et la mer Blanche. Dans l’isthme de Carélie, l’attaque démarre fin juillet. Vyborg est reprise après de durs combats et l’ancienne frontière est atteinte début septembre. Le haut commandement décide de continuer l’offensive en direction de la rive sud du Ladoga avant de tourner ses forces vers Petrozavodsk, sur les rives de l’Onega, conquise début octobre. On y crée le premier camp de prisonniers, bientôt suivi de sept autres. La population d’origine russe qui n’a pas pu fuir est regroupée dans des camps spéciaux, soumise au travail forcé ou expulsée sans ménagements. Un fort contingent de propagandistes et d’auxiliaires féminines (Lotat) tente en revanche de convaincre les Caréliens des bienfaits de la « Grande Finlande ».

L’accumulation des difficultés (1942-1943)

En décembre 1941, commence une guerre de position, entrecoupée de raids menés par des commandos de part et d’autre du front. L’armée finlandaise ne parvient pas à profiter des offensives de l’armée allemande durant l’été 1942. En face, les Soviétiques montrent une farouche détermination, épaulés par les unités de partisans de la zone occupée qui agissent sur les arrières de l’ennemi avec l’aval de la Stavka. Comme le front de Leningrad tient bon, Hitler souhaiterait y faire participer directement ses alliés, mais le maréchal finlandais Mannerheim ne veut pas s’engager dans l’opération.

La bataille de Stalingrad provoque en Finlande un électrochoc. Le 3 février 1943, on décide de proposer au Kremlin une paix séparée par l’intermédiaire des États-Unis : la Finlande conserverait ses frontières de 1939, avec quelques concessions dans l’isthme de Carélie ; la République socialiste soviétique de Carélie serait démilitarisée en attendant une conférence générale de paix où son sort serait définitivement fixé. Mais Moscou veut maintenir les frontières de 1940 tout en exigeant un paiement pour moitié des dommages de guerre causés par l’armée finlandaise. Le dialogue est rompu. En mars 1943 a lieu un changement de gouvernement : le parti d’extrême droite IKL est renvoyé dans l’opposition et le ministère des Affaires étrangères échoit à une personnalité ayant de nombreux contacts dans le monde anglo-saxon, ce qui déclenche la colère de Berlin. Beaucoup de citoyens s’interrogent sur la capacité du pays à résister à la double pression d’un ennemi rasséréné et d’un partenaire en difficulté. Malgré la censure et la propagande, le mécontentement augmente dans le pays car la crise de l’approvisionnement et les pénuries industrielles ne font que s’aggraver.

C’est alors que naît l’« opposition pour la paix ». En août 1943, 33 députés, issus du Parti social-démocrate (SDP) et du Parti populaire suédois, envoient une lettre au président de la République, pour réactiver le dialogue avec Moscou. En décembre 1943, en voyage à Stockholm, le futur président Urho Kekkonen prononce une conférence sur la Finlande d’après-guerre qui devra s’appuyer, selon lui, sur la coopération nordique, la neutralité et un bon voisinage avec l’Union soviétique. Entre-temps, le ton du Kremlin s’est radouci : il fait savoir que son pays n’exigera de capitulation que de l’Allemagne nazie et de ses satellites directs. Lors de la conférence de Téhéran, Staline souligne en privé le courage des Finlandais, bien qu’il propose des conditions de paix plus dures qu’auparavant : lourdes indemnités de guerre, location d’une base à Porkkala et obligation d’expulser seuls les Allemands du pays.

Au bord du gouffre (janvier-septembre 1944)

En janvier 1944, quand la Wehrmacht abandonne le siège de Leningrad, plus rien ne s’oppose à une offensive soviétique sur l’isthme de Carélie. L’aviation russe fait des ravages sur les villes finlandaises et le moral des troupes baisse. Pressé par Washington de reprendre contact avec Moscou, le gouvernement finlandais y envoie en mars une délégation. Mais Molotov reste intraitable, et Berlin, furieux, interrompt ses livraisons de blé et d’armes. Helsinki redoute alors un scénario à la hongroise où les nazis prendraient directement en main la direction des combats contre les Soviétiques. En avril, le gouvernement Linkomies refuse donc les conditions soviétiques. Staline, décidé à passer en force, refuse désormais de considérer le président Ryti comme un interlocuteur. Berlin pousse son avantage, décidé à conserver son seul allié fiable dans le Nord. L’Armée rouge se rue dès lors sur l’isthme de Carélie (9 juin 1944). La première ligne de défense cède. Les Finlandais reculent sur la deuxième, située derrière le canal de Suvanto, mais ne peuvent empêcher l’Armée rouge d’arriver devant Vyborg. Mannerheim fait alors venir en toute hâte des troupes depuis le nord du Ladoga et demande de l’aide aux Allemands (avions et canons antichars). D’âpres combats ont lieu autour de Vyborg pendant près d’un mois pour empêcher les Russes de percer en direction d’Helsinki. Au prix d’énormes pertes, ils évitent le pire. Sur le front de Carélie du Nord, les combats sont aussi très durs. Cette résistance héroïque n’empêche pas le gouvernement d’Helsinki de se retrouver à la merci des nazis. En contrepartie de l’aide demandée, Berlin veut obtenir l’assurance qu’il n’y aura pas de paix séparée. Ribbentrop fait pression en ce sens le 22 juin 1944 sur Ryti. On trouve alors une astuce évitant la signature d’un traité d’État à État : le président signe en son nom une lettre au Führer dans laquelle il s’engage à titre personnel à ne plus négocier de paix.

Le salut vient d’une évolution de la conjoncture. Staline, qui veut être à Berlin avant les Alliés, décide de renoncer à l’invasion de la Finlande. Il exige en revanche un changement de gouvernement et de président. Ryti laisse place le 31 juillet à Mannerheim auquel Hitler dépêche en vain le maréchal Keitel. En effet, sans atouts dans sa manche, il doit accepter les conditions de Staline, approuvées par les Alliés. Les combats entre Russes et Finlandais cessent en septembre 1944. « La guerre de Laponie » contre les Allemands éclate un mois plus tard.

Bibliographie

Vehviläinen, Olli, Finland in the Second World War : between Germany and Russia, New York, Palgrave Macmillan, 2002.

Kinnunen, Tiina, Kivimäki, Ville, Finland in World War II : History, Memory, Interpretations, Leyde, Brill, 2011.

Nenye, Vesa, Munter, Peter, Virtanen, Toni, Birks, Chris, Finland at War : the Continuation and Lapland Wars 1941-45, Oxford, Osprey Publishing, 2016.


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