Depuis la déclaration alliée de Moscou d’octobre 1943, le châtiment des criminels de guerre allemands est défini comme un but de guerre par les puissances alliées. Par la suite, avec la cessation des hostilités en Europe, celles-ci décident de créer le Tribunal militaire international (TMI) afin de juger les dirigeants de l’Allemagne nazie. Le statut du TMI, signé le 8 août 1945 à Londres, règle les compétences et la composition de cette institution novatrice dans l’histoire des relations internationales et du droit de la guerre : formé conjointement par les États-Unis, l’Union soviétique, la Grande-Bretagne et la France, le tribunal a pour mission de statuer sur le sort des « grands criminels de guerre » (en anglais major war criminals), c’est-à-dire les plus hauts gradés et décideurs du système nazi dont les crimes se sont déroulés dans plusieurs États et concernent donc la communauté internationale dans son ensemble.
Instruction judiciaire et espace d’échanges
En raison des tensions politiques entre les puissances alliées et du début de la guerre froide, il ne se tient finalement qu’un seul procès devant le TMI, mais celui-ci devient un événement majeur sur la scène internationale et sert d’exemple pour les États européens dans la poursuite des crimes de guerre : le procès de Nuremberg. Le procès s’ouvre le 20 novembre 1945 dans la ville bavaroise, choisie pour des raisons pragmatiques : Nuremberg dispose d’un palais de justice toujours intact et d’une prison adjacente. Au total, 21 accusés, parmi lesquels tous les dirigeants de l’Allemagne nazie les plus connus et toujours en vie, comme Hermann Göring (1893-1946), commandant en chef de l’aviation de guerre allemande et successeur désigné de Hitler, Rudolf Heß (1894-1987), chef de la chancellerie du parti nazi, et Joachim von Ribbentrop (1893-1946), ministre des Affaires étrangères du Troisième Reich, comparaissent devant le TMI. Ils doivent faire face à quatre chefs d’accusation qui sont le produit de longues négociations entre les délégations alliées : complot, crimes contre la paix, crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Parmi ces quatre chefs d’accusation, c’est sans doute le deuxième qui constitue la plus grande nouveauté dans l’histoire du droit international. La notion de crime contre la paix, défini comme « la direction, la préparation, le déclenchement ou la poursuite d’une guerre d’agression » par le statut de Londres, permet d’accuser les dirigeants allemands pour leur rôle dans la préparation de la Seconde Guerre mondiale et met un terme à l’idée que la guerre est la prérogative d’un État souverain. En outre, l‘accusation est répartie entre les quatre délégations alliées : les Américains s’occupent du chef d’accusation de complot et les Britanniques des crimes contre la paix. Les Français, en revanche, sont chargés des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité perpétrés en Europe de l’Ouest et du Nord tandis que les Soviétiques traitent les mêmes crimes perpétrés en Europe de l’Est.
Grâce à un système de microphones et de casques installé dans la salle d’audience, tous les débats sont traduits par des interprètes en temps réel en anglais, allemand, russe et français et le procès marque ainsi la naissance de l’interprétariat simultané. Tour à tour, pendant plusieurs mois, les procureurs alliés présentent et précisent, au nom de leurs gouvernements, les accusations avant que les avocats allemands des accusés aient la possibilité de répondre dans la deuxième phase du procès. Ainsi, le procès excède vite le cadre d’une simple instruction judiciaire et prend la forme d’un espace d’échange pour les participants venus de différents pays et soucieux de débattre sur des questions fondamentales comme l’interprétation du nazisme en Allemagne et l’avenir du droit pénal international. La délégation française, par exemple, se démarque sans équivoque de ses alliés en défendant la thèse d’une culpabilité collective allemande et en déclarant la nation allemande dans sa totalité coupable des crimes en question tandis que les procureurs américains, anglais et, pour des motifs différents, soviétiques, s’opposent à cette approche. Pour eux, les coupables se limitent à un petit groupe de comploteurs, incluant tous ceux qui se trouvent sur le banc des accusés.
Le procès s’achève le 1er octobre 1946. Après 216 journées d’audiences et quatre semaines de délibérations, les juges du TMI prononcent le verdict de Nuremberg. 12 accusés sont condamnés à mort (dont un par contumace), 7 à des peines de prison allant de 10 ans à la perpétuité et 3 sont acquittés. Au-delà des condamnations individuelles, le tribunal déclare quatre organisations nazies criminelles : la Gestapo, la SS, le SD et le corps des chefs politiques du parti nazi. À travers le monde, les réactions publiques au jugement ne se font pas attendre et témoignent d’un large éventail d’opinions allant de la satisfaction et de la reconnaissance pour le tribunal à la déception et à la colère. Tandis que dans les journaux allemands
De Nuremberg à La Haye
À l’échelle européenne, le procès de Nuremberg sert vite de modèle à la poursuite et à la condamnation des auteurs de crimes de guerre, bien que celles-ci retombent dans un cadre national au cours des années suivantes. Entre 1946 et 1949 de nombreux autres procès suivent dans les quatre zones d’occupation d’Allemagne où sont mis en place des tribunaux militaires compétents, respectivement américains, britanniques, soviétiques ou français. Parmi ces procès figurent notamment les douze procès « successeurs » qui sont tenus à Nuremberg devant des tribunaux militaires américains. Avec la loi n° 10 du Conseil de contrôle allié, donc du gouvernement militaire pour l’Allemagne occupée, les tribunaux alliés disposent pour leur travail d’une base commune qui est fortement inspirée par les considérations juridiques sous-tendant le TMI, mais ils mettent de côté le principe d’une justice internationale puisque les instructions sont dirigées par une seule puissance. La même observation s’applique aux procès qui ont lieu par la suite devant des cours nationales dans les pays auparavant occupés par les forces allemandes et aussi à ceux qui se tiennent sous l’égide de la justice allemande, notamment après la fondation de la République fédérale d’Allemagne (RFA) et de la République démocratique allemande (RDA) en 1949.
C’est en revanche loin de l’Europe qu’une deuxième juridiction internationale est effectivement mise en place par les puissances alliées victorieuses : en janvier 1946 est constitué à Tokyo le Tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient (TMIEO) dans lequel siègent des juges venant de onze pays différents (Australie, Canada, Chine, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Inde, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Philippines et Union soviétique). Néanmoins, le procès des grands criminels de guerre japonais à Tokyo, qui dure deux ans, est moins suivi à l’échelle mondiale et laisse à long terme moins de traces que son célèbre précurseur nurembergeois.
Pour les deux juridictions internationales qui voient le jour des décennies plus tard, après la fin de la guerre froide, à savoir le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), institué par le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU) en 1993, ainsi que le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), institué en 1994, c’est surtout le tribunal de Nuremberg qui sert de précédent exemplaire et de point de référence historique. Il en va de même pour la Cour pénale internationale (CPI) qui est une institution permanente créée en 2002 en application du Statut de Rome, signé quatre ans plus tôt par 139 États du monde entier, et dont le siège est fixé à La Haye.
Gemählich, Matthias, « “Notre combat pour la paix” : la France et le procès de Nuremberg (1945-1946) », Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande, 2/2019, n° 51, p. 507-525.
Priemel, Kim, The Betrayal. The Nuremberg Trials and German Divergence, Oxford, Oxford University Press, 2016.
Tisseron, Antonin, La France et le procès de Nuremberg. Inventer le droit international, Paris, Les prairies ordinaires, 2014.
Wieviorka, Annette, Le procès de Nuremberg, Rennes, Liana Levi, 1995.