Les chasses princières au Moyen Âge

Résumé

Les chasses princières sont les plus connues, bien que l’activité soit largement partagée par toutes les catégories de la société médiévale. La chasse conduit donc à intervenir largement dans la nature sauvage au point de modifier le milieu. Dès le haut Moyen Âge, des breuils sont aménagés à proximité des résidences princières. Ils peuvent contenir des espaces laissés sauvages et des zones de pâtures, voire des cultures. Comptés par milliers dans l’Angleterre médiévale, nombreux aussi sur le continent, ils représentent sur des territoires plus ou moins grands des efforts d’aménagement qui bouleversent nécessairement les écologies. Hors de ces enclos privés, la chasse a également des effets sur les peuplements sauvages. Certaines espèces victimes de surchasse disparaissent des forêts d’Occident. À la suite des grands défrichements, tous les espaces forestiers sont menacés par l’épuisement des peuplements faunistiques, la surexploitation de la biomasse et le surpâturage. La préservation de ces milieux est une préoccupation d’ordre privé dont la motivation première est la défense du gibier, signe de plus en plus fort du droit et de la puissance publique.

Enluminure du livre de chasse de Gaston Fébus (Phébus), vers 1407 « Ci devise comment on peut tirer les lièvres », France, Paris, XVe siècle. Paris, BnF, Département des manuscrits, Français 616 fol. 118.
Enluminure du livre de chasse de Gaston Fébus (Phébus), vers 1407 « Ci devise comment on peut tirer les lièvres », France, Paris, xve siècle. Paris, BnF, Département des manuscrits, Français 616 fol. 118.
Très Riches Heures du duc de Berry, (vers 1440), Musée de Condé, Chantilly, ms. 65 fol. 12v (décembre).
Très Riches Heures du duc de Berry, (vers 1440), Musée de Condé, Chantilly, ms. 65 fol. 12v (décembre).
Horae ad usum romanum (1401-1500). Paris, BnF, Département des manuscrits, Latin 1156B.
Horae ad usum romanum (1401-1500). Paris, BnF, Département des manuscrits, Latin 1156B.

Parmi les activités cynégétiques du Moyen Âge, les chasses princières sont évidemment les plus connues. Mais contrairement à l’image que l’on se fait du monde d’Ancien Régime, la période ne distingue pas une catégorie de chasseurs privilégiés, les nobles, dont l’exercice de la chasse serait en temps de paix le signe extérieur de la caste des guerriers, excluant par conséquent les femmes, les paysans et le clergé. La chasse est accessible à tous, selon des modalités qui diffèrent. Les clercs de haute naissance ont bien du mal encore sous les Carolingiens à se passer de cette activité, malgré les interdits et les condamnations. Les femmes s’y adonnent également, des filles de Charlemagne aux princesses de Bourgogne au xve siècle, sans aller jusqu’à l’extrémité la plus violente, l’hallali qui est réservée aux hommes. Les paysans chassent aussi, l’ostentation de l’équipage et des meutes de chiens en moins. La chasse permet donc une large intervention dans la nature sauvage, ce qui n’est pas sans effet sur l’environnement. Aux abords des palais, l’espace est privatisé pour la chasse des grands. Le peuplement sauvage est fortement modifié. Des politiques de gestion se mettent en place défendant le couvert forestier ou bien le gibier.

Un espace réaménagé

Dès le haut Moyen Âge, des espaces clos (breuils) sont aménagés, à proximité des résidences princières. Solidement défendus par des clôtures ou un bras de rivière, comme celui du palais d’Ingelheim entretenu sur une île du Rhin par Louis le Pieux (814-840), ces parcs sont alimentés par le gibier pris aux alentours puis relâché pour une chasse mise en scène à l’occasion d’un événement de cour particulier. Mais ils fonctionnent surtout comme des garde-manger à proximité des résidences. Les animaux sauvages y côtoient souvent les animaux d’élevage ; ces parcs peuvent contenir des espaces laissés sauvages et des zones de pâtures, voire des vignes et des champs enclos.

Lhistoire des parcs de chasse participe de lhistoire de lenvironnement, laissant une empreinte durable jusque dans la toponymie. Des milliers de parcs sont comptés dans l’Angleterre médiévale et moderne, on en connaît beaucoup moins en France à la même période. Si les plus petits comprennent une surface close de moins de 100 ha, comme par exemple dans les duchés de Bourgogne et de Bretagne, dans le comté dArtois et dans le royaume dAngleterre, ceux du domaine ducal bourguignon dHesdin et du site royal de Vincennes contiennent entre 700 et 1 000 ha de surface fermée. Les plus grands parcs varient entre 1 500 et 5 500 ha (Clarendon, Rhuys et Châteaulin dans le royaume dAngleterre ou le duché de Bretagne).

Sur un territoire plus ou moins grand, l’aménagement de ces espaces bouleverse nécessairement les écologies. Les seigneurs se soucient de préserver la qualité du couvert végétal, maintiennent une imbrication de terrains ouverts et fermés et labondance de leau afin de fixer la faune. Conscients de la diversité du gibier dans un milieu favorable, les propriétaires « jardinent » les bois : des campagnes de reboisement sont parfois menées afin de préserver lespace couvert. Cette mise en œuvre suppose des moyens conséquents. Les livres de compte témoignent des investissements lourds daménagement (clôture, maçonnerie, point deau, etc.) et dentretien. La comptabilité des ducs de Bourgogne des xive-xve siècles révèlent tout un personnel dédié, les frais de nourrissage de la faune, et l’entretien des meutes de chasse.

L’essentiel des chasses à courre se déroule toutefois dans les grands massifs, à l’extérieur des enclos inappropriés pour les chevauchées. Les modifications de l’environnement débordent donc du cadre des breuils.

Des changements de peuplement faunistique

La chasse princière au Moyen Âge n’a qu’une vocation alimentaire secondaire. Elle ne représente que 5 à 10 % de la viande consommée par les aristocrates, soit un peu plus que dans les autres catégories sociales. La distinction est surtout qualitative : les sangliers et les cerfs nourrissent davantage les nobles ; les oiseaux et les lièvres les établissements ecclésiastiques et les familles paysannes, sans que cela soit d’ailleurs exclusif. Il est raisonnable de penser que l’activité cynégétique a eu des effets sur les peuplements sauvages. Certaines espèces victimes de surchasse disparaissent des forêts dOccident, comme c’est le cas de l’aurochs, le bœuf sauvage, ou du bison dès la fin du viiie siècle. En Angleterre, la destruction du loup au xiiiesiècle est le fait des princes anglo-normands qui ont le souci de préserver d’abord leurs clos de cervidés. En Bourgogne aux xive-xve siècles, le duc dépense sans compter pour préserver sa sauvagine. C’est la principale motivation des battues au loup. Toutefois les prélèvements n’entament probablement guère les effectifs de la population lupine, très mobile et capable de se renouveler sur une génération. Inversement, la chasse à lours a dépeuplé certains massifs, lespèce étant peu prolifique.

Dans les parcs, on observe des concentrations d’espèces prisées pour la table. À partir du xiie siècle, le daim, espèce sauvage captive connue à l’époque romaine, peuple à nouveau les parcs en Europe du Nord. La déforestation et le développement des garennes favorisent les espèces plus faciles à contenir (lapin, daim). Les comptes du bailliage dHesdin du xive siècle montrent la variété des animaux sauvages introduits ou non qui sont chassés : des cerfs, des daims, des chevreuils, des sangliers, un ours, des loups, des chats sauvages, un castor, des blaireaux, des renards, des loutres, des fouines, des belettes, des lièvres et des lapins pour les mammifères ; et pour la faune aviaire, des balbuzards, des buses, des hérons et des perdrix. Autant d’indicateurs d’une biodiversité sous surveillance.

Le bétail, la faune domestique cohabitant dans les parcs ou divaguant en forêt, perturbe les peuplements sauvages (compétition pour la nourriture, déplacement des refuges naturels, etc.). La gestion des populations encloses révèle aussi le gâchis démographique engendré par les transferts d’animaux qui périssent dans le transport ou ne s’acclimatent pas à leur nouvel environnement.

Une éco-gestion toute politique

Au début de la période, les espaces boisés sont libres d’accès. Toutefois, dès le haut Moyen Âge, les aristocrates, et les princes d’abord, se réservent la plus grosse part de lincultum, en la transformant en forestis (à lorigine du mot forêt) où la chasse à la grande faune est sévèrement contrôlée. Progressivement les restrictions au libre usage de la forêt se multiplient. À la fin du ixe siècle, en Francie orientale, l’autorisation de chasser concédée par le roi avec la forestis relève d’un ban de la forêt, le Wildbann.

Après les grands défrichements liés à l’expansion démographique et à la recherche de terres, les espaces forestiers sont menacés par la surexploitation, le surpâturage, l’essartage pratiqués tant par les seigneurs laïcs que les établissements religieux. Les non-nobles se voient alors interdire la chasse de la plupart des bêtes sauvages dans les forêts. Mais la protection forestière n’est pas tout, ce sont d’abord des motivations d’ordre socio-politique qui accentuent ce processus de privatisation par la création de garenne. La préservation est une préoccupation d’ordre privé dont la motivation essentielle est la défense du gibier (signe de plus en plus fort du pouvoir).

C’est dans cette optique que pèse de plus en plus lourdement le poids du contrôle royal. En France, dès le début du xive siècle, les rois qui cherchent à conforter leur suprématie sur le domaine royal, tentent de restreindre la chasse à leur seul profit ou à en limiter strictement l’exercice. Pour des raisons politiques, les autorisations pour établir une garenne se raréfient assez vite. Et les droits de garenne qui se sont conservés portent désormais sur de petites réserves ne contenant que du menu gibier.

Bibliographie

Beck, Corinne, Les eaux et forêts en Bourgogne ducale (vers 1350-vers 1480). Société et biodiversité, Paris, L’Harmattan, 2008.

Duceppe-Lamarre, François, Chasse et pâturage dans les forêts du nord de la France : pour une archéologie du paysage sylvestre (xie-xvie siècles), Paris L’Harmattan, 2006.

Guizard, Fabrice, « Les parcs à gibier carolingiens d’après les sources narratives », dans Andrée Corvol (dir.), Forêt et chasse (xe-xxe siècles), Paris, L’Harmattan, 2004, p. 17-27.


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