L’essor de l’animation socio-culturelle : une autre éducation ?

L’animation socio-culturelle favorise depuis les années 1960 la vie sociale et culturelle à l’échelle d’un équipement, d’une commune ou d’un projet. Ce domaine d’activité peu reconnu et flou s’est néanmoins institutionnalisé et professionnalisé dans diverses organisations : accueils de loisirs, centres sociaux, colonies de vacances, foyers de jeunes travailleurs, maisons des jeunes et de la culture, services jeunesse, villages vacances, maisons de retraite, etc. Il s’adresse à différentes classes sociales et à des publics variés (enfance, jeunesse, famille, personnes âgées). Il participe depuis les années 1980 à de nombreux dispositifs éducatifs qui visent le développement d’activités culturelles et sportives et/ou la remédiation scolaire. En favorisant le développement de compétences sociales et relationnelles parfois déconnectées des apprentissages scolaires, il interroge, pratiquement et politiquement, les relations et interdépendances entre la forme scolaire et la citoyenneté.

Archives nationales, 20140209/264, Fédération des centres sociaux et socioculturels de France, plaquette de présentation « Le centre social », 1932.
Archives nationales, 20140209/264, Fédération des centres sociaux et socioculturels de France, plaquette de présentation « Le centre social », 1932.
Archives du Val-de-Marne, 501J 355, Fédération régionale des maisons des jeunes et de la culture d’Île-de-France, programme d’activités de la MJC de Combs-la-Ville (Seine-et-Marne), 1989.
Archives du Val-de-Marne, 501J 355, Fédération régionale des maisons des jeunes et de la culture d’Île-de-France, programme d’activités de la MJC de Combs-la-Ville (Seine-et-Marne), 1989.
Sommaire

Issue, en France, de l’éducation populaire, l’animation socio-culturelle vise depuis les années 1960 à favoriser la vie sociale et culturelle à l’échelle d’un équipement, d’une commune ou d’un projet. Elle entretient une forte proximité avec les secteurs professionnels de l’éducation, de la culture, du social, mais aussi de la formation, du sport, de l’insertion, du tourisme ou encore du médico-social. En dépit de cette proximité, sa légitimité professionnelle est loin d’être acquise alors même que l’on définit souvent ses activités comme importantes, voire essentielles, à la cohésion sociale.

Polyvalent et faiblement reconnu, le domaine de l’animation s’est pourtant doté d’une presse spécialisée, d’une convention collective (1988), de statuts dans la fonction publique territoriale (1997) et de diplômes professionnels (rénovés dans les années 2000). Ce domaine flou et changeant s’est donc néanmoins progressivement institutionnalisé et professionnalisé. Il irrigue quotidiennement diverses organisations : accueils de loisirs, colonies de vacances, foyers de jeunes travailleurs, centres sociaux, villages vacances, maisons de retraite, etc. Il s’adresse à différentes classes sociales et à une diversité de publics (enfance, jeunesse, famille, personnes âgées). Si la notion d’animation socioculturelle reste limitée au monde francophone, on n’en trouve pas moins des équivalents dans les autres pays d’Europe de l’Ouest, avec le Youth work, qui s’est globalement développé selon une chronologie parallèle à celle de l’animation en France.

Des animateurs et des animatrices pour favoriser la vie sociale et culturelle

L’éducation populaire, dont l’histoire remonte au xixe siècle (Ligue de l’enseignement), a pour objectif l’accès aux savoirs et l’exercice de la citoyenneté. Les bénévoles, les instituteurs et le personnel religieux jouent alors un rôle de premier plan. Mais les tâches secondaires des instituteurs et des prêtres vont progressivement devenir les fonctions principales du métier d’animateur. L’éducation populaire constitue donc le principal creuset de l’animation socio-culturelle professionnelle.

Les animateurs se constituent en groupe professionnel au cours des années 1960 dans un contexte de forte croissance urbaine et de planification par l’État d’équipements sportifs et socio-éducatifs pour la jeunesse du baby-boom. Ce processus, soutenu par les communes, est largement porté par les associations de jeunesse et d’éducation populaire : Maisons des jeunes et de la culture (MJC), Union française des centres de vacances et de loisirs, etc. Le groupe des animateurs et des animatrices a ainsi hérité d’une responsabilité éducative, sociale et politique.

Le développement professionnel de l’animation repose d’une part sur la généralisation d’équipements socio-culturels du type centres sociaux ou MJC, sous l’autorité du directeur. Il correspond d’autre part à la professionnalisation massive d’un travail féminin longtemps resté dans l’ombre de l’école primaire, avec les animatrices périscolaires dont les effectifs ont fortement augmenté depuis les années 1970, lorsque les garderies périscolaires se sont transformées en centres de loisirs. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’animation forme une profession mixte avec des segments masculins liés à l’encadrement (qui s’est cependant féminisé) quand d’autres apparaissent comme plus féminins et auprès des enfants. On retrouve ici les principes de séparation et de hiérarchisation qui fondent la division sexuelle du travail.

Depuis les années 1980, l’animation participe à de nombreux dispositifs éducatifs (et d’insertion) qui visent le développement d’activités culturelles et sportives (aménagement des rythmes de l’enfant, éducation artistique et culturelle) et/ou la remédiation scolaire (accompagnement à la scolarité, ateliers relais, réussite éducative). Si l’animation socio-culturelle s’adresse en principe à tous, en particulier à tous les enfants, elle cible aussi les personnes qui connaissent un certain mal-être ou rencontrent des difficultés : handicap, vieillesse, maladie, placement, précarité, etc.

De nombreuses politiques locales d’éducation s’appuient sur différents métiers socio-éducatifs invités à se coordonner. Mais les différentes histoires, légitimités, etc., des groupes professionnels mobilisés se traduisent par des différends, en particulier avec les enseignant.es. Une nouvelle division du travail éducatif existe dorénavant entre les personnels scolaires et périscolaires, là où les porosités existaient davantage jusque dans les années 1980. Deux catégories d’enjeux éducatifs (mais aussi politiques, professionnels et scientifiques) sont discutées : la lutte contre l’échec scolaire et la réforme des pratiques pédagogiques de l’école (des activités culturelles contre les inégalités scolaires) ; la reconnaissance des loisirs et de la citoyenneté des publics encadrés (divertissement, détente et plaisir en dehors de la contrainte scolaire).

Des pratiques éducatives originales ?

Dans le cadre de groupes restreints, les animateurs et les animatrices proposent des activités collectives variées inscrites dans un dessein plus vaste (vacances, loisirs, accompagnement scolaire) qui a trait à l’insertion et à la socialisation des publics concernés. Opposés à la compétition, ils proposent des jeux collectifs, des méthodes actives et s’appuient sur l’humour pour favoriser le « vivre ensemble ».

Ils accordent de l’importance aux ressources de leur public en faisant confiance à leur capacité d’agir et en impulsant des logiques participatives. Ils initient à des pratiques (activités manuelles et d’expression artistique, activités physiques et sportives) et à des expériences nouvelles. Ils tendent à valoriser une mise en forme éducative des pratiques ludiques (les « activités »), à côté de formes récréatives, de temps libres, laissés à l’initiative des publics. Adossé à une certaine polyvalence, le travail des animatrices et des animateurs encourage l’expression de soi et la découverte. Il implique néanmoins une normalisation des conduites corporelles enfantines qui passe par un certain calme et une maîtrise de soi pendant l’activité.

Les animateurs et les animatrices favorisent ainsi le développement de compétences sociales (prendre des responsabilités, travailler en équipe, savoir s’adapter, etc.) et de compétences spécifiques qui ne sont généralement pas enseignées à l’école (capacité à bricoler, à pratiquer tel ou tel jeu, etc.). Les savoirs professionnels des animateurs et animatrices ne sont pas des savoirs à enseigner, des savoirs disciplinaires à transmettre. Il s’agit davantage de savoirs pédagogiques, relationnels, organisationnels, de compétences non académiques qui s’éloignent de la forme scolaire.

À l’instar de l’éducation nouvelle, de l’éducation interculturelle et des éducations à (dont les contenus et statuts sont régulièrement discutés), l’animation et l’éducation populaire questionnent la diversité des espaces éducatifs dans et hors l’école. Elles permettent d’interroger les relations et interdépendances entre la forme scolaire et la citoyenneté. L’école influence la fréquentation de certains équipements culturels comme la bibliothèque et on connaît l’effet du diplôme sur les pratiques culturelles. La question de l’influence des loisirs sur la réussite scolaire reste en revanche posée. Dans l’ensemble, les loisirs ont peu d’effets sur les performances scolaires et cognitives. Cependant, les activités encadrées proches de la forme scolaire semblent favoriser les apprentissages scolaires alors que les activités plus « libres » permettraient de favoriser le bien-être des enfants dont on peut supposer néanmoins qu’il contribuera, à son tour, à la réussite scolaire. Les activités d’animation et d’éducation populaire favorisent donc un ensemble diffus de compétences sociales et relationnelles plutôt que des compétences immédiatement transposables dans les exercices scolaires.

Citer cet article

Francis Lebon , « L’essor de l’animation socio-culturelle : une autre éducation ? », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 13/04/21 , consulté le 19/04/2024. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/21536

Bibliographie

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Lebon, Francis, Entre travail éducatif et citoyenneté : l’animation et l’éducation populaire, Nîmes, Champ social, 2020.

Martin, Jean-Paul (avec la collaboration de Frédéric Chateigner & Joël Roman), La Ligue de l’enseignement. Une histoire politique (1866-2016), Rennes, PUR, 2016.