Souvent identifiés par la catégorie unique de « Nord-Africains » dans les archives administratives, les Algériens, Marocains et Tunisiens qui vivent en métropole ont pourtant des statuts différents : « protégés français » dans le cas des individus originaires du Maroc et de Tunisie, « sujets français » pour ceux qui viennent d'Algérie. Ils ont en commun d’être les sujets d’un empire colonial alors à son apogée ainsi que d’être exclus des droits de la citoyenneté politique et d’une partie de la citoyenneté sociale. Ces hommes – et une infime minorité de femmes – voient leurs vies bouleversées par la guerre et l’instauration du régime de Vichy.
Des « Nord-Africains » en métropole pendant la Seconde Guerre mondiale
Les premiers temps de guerre sont marqués par d’importantes vagues migratoires de part et d’autre de la Méditerranée. Le nombre des « Nord-Africains » présents en métropole diminue d’abord de manière significative du fait d’une vague de retours motivés par le contexte géopolitique. Dans un deuxième temps, les départs civils vers l’hexagone sont essentiellement le fait des « travailleurs encadrés », tels que sont désignés les volontaires recrutés en Afrique du Nord sous l’égide du Service de la main-d’œuvre indigène nord-africaine et coloniale (SMOINAC), mis sur pied à l'automne 1939. En juin 1940, près de 15 800 Marocains et 6 200 Algériens ont ainsi traversé la Méditerranée. Il faut y ajouter la présence d’environ 70 000 combattants originaires d'Afrique du Nord en métropole en mars 1940. Parmi eux, 5 400 sont tués pendant la bataille de France. En avril 1941, on compte encore près de 45 000 prisonniers « nord-africains ».
L’invasion allemande du printemps 1940 jette des milliers de personnes sur les routes. Face à la forte augmentation du chômage liée à la détérioration de l’appareil productif, le gouvernement de Vichy décide de procéder au rapatriement d’une partie importante des « Nord-Africains » de métropole, et en premier lieu ceux recrutés par le SMOINAC, dès le mois de juillet 1940. À l’été 1941, près de 28 000 Algériens, Marocains et Tunisiens ont ainsi été rapatriés. Pourtant, la reprise de la production dans le courant de cette même année suscite de nouvelles demandes de recrutement. Le SMOINAC met alors en place un régime d’immigration de travailleurs « nord-africains » recrutés par contrats d’un an qui permet l’arrivée, jusqu’en novembre 1942, d’environ 7700 ouvriers algériens, désormais appelés « contrôlés », à destination des entreprises de zone sud.
Dans le contexte de la collaboration économique, des négociations franco-allemandes débouchent sur le recrutement de travailleurs « nord-africains » à destination de l’Organisation Todt (OT), chargée par le Reich de construire les fortifications de la côte atlantique. Le gouvernement français y voit notamment un moyen de préserver les métropolitains des réquisitions allemandes. Plus de 7000 ouvriers sont ainsi recrutés en Algérie et au Maroc entre août et novembre 1942, s’ajoutant aux milliers d’autres, engagés volontaires ou réquisitionnés, déjà employés sur les chantiers de l’OT. Le débarquement allié en Afrique du Nord du 8 novembre 1942 entraîne la rupture des communications maritimes : il n’est désormais plus possible de traverser la Méditerranée.
Encadrement et contrôle des travailleurs « nord-africains »
Dans son entreprise de rationalisation administrative et de rigidification des catégories identificatoires, le régime de Vichy développe ou crée plusieurs services destinés à l’encadrement des « Nord-Africains » vivant en métropole. Si les ministères des Affaires étrangères et de la Guerre interviennent dans l’administration de cette population, le gouvernement attribue l’essentiel de leur contrôle aux départements du Travail et de l’Intérieur.
Chargés de la « surveillance et de la protection » des travailleurs recrutés pour le compte de l’État en Afrique du Nord, des bureaux de la main-d’œuvre nord-africaine (MONA) sont institués en juillet 1942. En juin 1943, le ministère de l’Intérieur crée à son tour des bureaux des affaires musulmanes nord-africaines (BAMNA), qui mêlent les fonctions policières et sociales afin d’encadrer largement la vie de ces populations. Dans le cadre d’une politique de main-d’œuvre autoritaire, les BAMNA et bureaux MONA veillent à la surveillance et à la mise au travail de l’ensemble des « Nord-Africains », « libres » comme « contrôlés ». Il s’agit alors de limiter les contacts de leurs administrés avec l’occupant, d’empêcher les passages en zone nord et de restreindre les débauchages d’ouvriers par les entreprises allemandes. Pour autant, l’implantation de ces bureaux est essentiellement cantonnée aux grandes villes de zone sud et à la région parisienne, ce qui compromet fortement leur portée. En outre, leurs opérations se font plus lâches à mesure que la collaboration d'État s'accentue, et les départs non autorisés vers les entreprises allemandes sont de plus en plus tolérés. Malgré cette politique complaisante envers les prédations des autorités d'occupation, la volonté de maintenir l'attractivité du marché du travail national ne disparaît pas. C'est notamment dans le but de limiter les débauchages que le gouvernement de Vichy acte l'extension de l'accès aux allocations familiales des familles des travailleurs algériens (loi du 28 septembre 1942), puis marocains et tunisiens (circulaire du 28 octobre 1943), demeurées dans leur territoire d'origine. En matière de « main-d'œuvre nord-africaine » comme dans les autres domaines de la collaboration d'État, Vichy offre ses services à l'occupant tout en œuvrant au maintien d'une tutelle française. Fin 1943, des « annexes nord-africaines » sont ainsi mises en place pour participer à l'encadrement des milliers de recrues de l'OT en zone côtière interdite.
Au niveau de l'administration centrale, les mois qui succèdent au débarquement allié en Afrique du Nord sont marqués par une tentative de coordination de l’action publique à destination des « Nord-Africains » vivant en métropole, sous l’égide du Service central des affaires nord-africaines (SCANA) du ministère de l’Intérieur. Frappés du sceau de Vichy et de la collaboration, tous ces organismes sont démantelés et refondus en 1944-1945 pour ne conserver que leurs fonctions « sociales ».
Diversité des engagements politiques des « Nord-Africains » sous l’Occupation
Depuis les années 1920, un montage institutionnel singulier associe administration, surveillance et gestion de l’islam comme culte et force politique en métropole, en particulier dans la région parisienne, par la création du Service des affaires indigènes nord-africaines (SAINA), la construction de la mosquée de Paris, puis de l’hôpital franco-musulman de Bobigny. Pendant la guerre, la présence de l’occupant désorganise ce dispositif. En particulier, l’évolution des rapports politiques donnent lieu à des formes singulières de collaboration et de collaborationnisme de la part de certains Algériens, Marocains et Tunisiens.
Ces acteurs font l’expérience de l’occupation allemande dans un cadre à la fois générique – certaines problématiques, notamment matérielles, sont comparables à celles de l’ensemble de la population – et spécifiques – autour de la question centrale qui agitent les militants nationalistes en métropole : comment se servir des Allemands et dans quel but ? Cette question est d’autant plus fondamentale que les nazis ont pour pratique d’instrumentaliser les autorités musulmanes dans les pays qu’ils occupent. De fait, certains membres des partis nationalistes travaillent au service de la propagande allemande. D’autres se rapprochent des différents partis collaborationnistes (notamment du Rassemblement national populaire (RNP) et du Parti populaire français (PPF). En 1944, à peine une centaine d’hommes constitués en « phalange nord-africaine » participent aux actions des milices contre la Résistance.
De manière générale, ces engagements politiques pro-Allemands restent très minoritaires : malgré l’absence de travaux systématiques, les sources actuellement connues tendent à montrer que le nombre d’Algériens, Marocains et Tunisiens engagés dans la Résistance fut nettement plus élevé que celui des collaborationnistes – l’absence d’engagement dans un sens ou dans l’autre demeurant la règle.
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Cadiot, Aliénor, « Vichy et les Algériens. Indigènes civils musulmans algériens en France métropolitaine (1939-1944) », thèse d’histoire, EHESS, 2020.
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