Les Trois Glorieuses de 1830, une révolution européenne ? 

Résumé

La dimension européenne des révolutions de 1830 est encore plus mal étudiée que celles de 1848. Clive H. Church, pour qui « le mouvement connaissait une grande variété de nature, et était pour l’essentiel dépourvu de coordination », conteste la conception systémique des révolutions de 1830 telle que Hobsbawm la conçoit, en faisant du Reform Act de 1832 le fils des Trois Glorieuses : « C’est probablement la seule période de l’histoire contemporaine, suggère ce dernier, où les événements politiques ont un certain parallélisme en Angleterre et sur le continent. »

« L’ordre règne à Varsovie » (parole de M. Sebastini) : Michel Delaporte (1806-1872).
« L’ordre règne à Varsovie » (parole de M. Sebastini) : Michel Delaporte (1806-1872).
« Je séparerai le bon grain de l’ivraie (Jésus ch. t.) ».  Estampe de Grandville (1803-1847), lithographie parue dans la Caricature du 6 octobre 1831.
« Je séparerai le bon grain de l’ivraie (Jésus ch. t.) ». Estampe de Grandville (1803-1847), lithographie parue dans la Caricature du 6 octobre 1831.

Un événement médiatique européen

Il est difficile de contester que la circulation de la nouvelle des événements parisiens des 27, 28 et 29 juillet 1830 a fait de Paris un foyer d’informations et de discussions européennes. L’ensemble du continent a été uni dans l’émotion de vivre un événement historique, aux conséquences globales. Qui ne se souvenait pas de l’impact continental de la dernière Révolution française ? Sinon contagion révolutionnaire, il y eut propagation et unification médiatiques. Quel que soit le degré de causalité qui lie la succession des révolutions européennes en 1830, les Trois Glorieuses ont suscité un espace et un moment médiatique transnational. L’Europe partage un agenda révolutionnaire. Mouvement centrifuge : la nouvelle est connue le 1er août à Lyon, quelques jours plus tard en Angleterre, Allemagne et Autriche, puis le 11 août à Pétersbourg. Elle se propage enfin aux villes d’eau où se reposent aristocrates et grands bourgeois. Mouvement centripète : les Français guettent la reconnaissance du nouveau régime par les puissances européennes et mirent leur propre révolution, ses succès, ses limites, sa puissance d’inspiration, dans les révolutions voisines. Le 4 août, le Journal des débats proclame avec fierté : « Tout ce qui se fait en France est un événement européen. » Cela ne signifie pas que l’événement révolutionnaire parisien soit audible à tous, et partout reçu de la même façon, grâce à un horizon d’attente universel, dont on voit mal comment il aurait pu se constituer, faute d’espace public européen unifié.

De la révolution parisienne aux révolutions européennes 

C’est a posteriori, dans les mois qui suivent les Trois Glorieuses, que Paris est reconnue comme le foyer des révolutions européennes. Les événements belges en août, polonais, à partir de novembre 1830, ceux de Modène, Parme et Bologne, en février 1831, à Leipzig en Rhénanie et Brunswick, enfin, ont propagé la « bonne nouvelle parisienne ». Cette expression évangélique revient souvent dans l’Europe libérale et chrétienne des années 1830, où l’on admet, pour s’en réjouir ou le déplorer, le modèle diffusionniste. Le Prussien vom Stein (1757-1831) enrage : « Encore une fois, le peuple malfaisant troublera l’Europe ! » En septembre 1830, le chancelier Metternich (1773-1859) use de cette image médicale : « Quand Paris éternue, l’Europe s’enrhume. » En mars 1831, le Premier ministre britannique, le duc de Wellington (1769-1852) regrette la contagion, à la Chambre des communes :

Bientôt arriva la révolution de juillet, elle fut suivie de celle de Belgique, et comme les évènements de Naples et de l’Espagne, ces deux révolutions excitèrent ici la plus vive sensation. Le désir de la réforme parlementaire s’en accrut : mais je n’en reste pas moins convaincu qu’il ne tenait qu’au Parlement de décider que la constitution ne réclamait aucun changement immédiat.

En août 1831, La Fayette (1757-1834) utilise une métaphore technique pour vanter la diffusion du progrès politique français : « La commotion électrique de la révolution de Juillet s’est fait sentir dans le monde entier. » La France se voit comme un foyer d’idées mais aussi d’emblèmes et de pratiques. Le soir du 25 août, des patriotes français arborent des cocardes, au théâtre de la Monnaie, où se donne la représentation de la Muette de Portici qui déclenche l’émeute bruxelloise. Le gouvernement français interdit à ses soldats d’arborer les couleurs tricolores lorsqu’ils protègent, à Anvers, la jeune Belgique des troupes néerlandaises, ou quand ils s’interposent à Ancône, entre révolutionnaires et les troupes pontificales et autrichiennes. L’arbre de liberté et le drapeau tricolore surgissent dans l’espace rhénan. Pendant les trois jours d’émeute que connaît Aix-la-Chapelle en août 1830, les drapeaux français fleurissent. À Hambourg, où le poète Heinrich Heine arrive le 9 août 1830, « partout flotte le drapeau tricolore, partout résonne la Marseillaise, et même les dames paraissent au théâtre avec des rubans tricolores sur la poitrine » (De l’Allemagne). Charivaris, banquets, chansons populaires, arbres de liberté, funérailles, pétitions : l’espace public européen s’agrandit et tend à une forme d’homogénéité sous l’effet des circulations transnationales de ces nouvelles façons d’opiner et de manifester. La barricade parisienne, les estampes qui en rendent compte, inspirent révolutionnaires belges et polonais.

Un espace public européen divisé

Pourtant, serait-ce sur le plan discursif, l’unification de l’agenda européen est aussi l’occasion de fracturer chaque opinion nationale et l’ensemble du continent suivant la réception des évènements révolutionnaires. Le choix du congrès national belge d’offrir la couronne au fils de Louis-Philippe amène la presse bruxelloise à identifier deux courants d’opinion transnationaux : « Il y a des Russes, des Autrichiens, des Prussiens, des Espagnols, des Italiens, ainsi qu’il y a des Français, des Belges, des Suisses, des Polonais, dans l’un et dans l’autre camp » (Courrier des Pays-Bas, 9-10 février 1831). La proportion des sympathisants avec les Trois Glorieuses varie évidemment de Londres à Saint-Pétersbourg. Des « espaces intermédiaires » comme le sillon rhénan et les villes de l’Italie du Nord, par leur situation et leur héritage napoléonien, s’approprient les idées et modèles parisiens par-delà cette logique binaire, adhésion/refus des idées révolutionnaires. L’historien James Brophy remarque que, en Rhénanie, « la demande de reportages sur l’Europe occidentale vient moins d’un désir d’accentuer les différences que d’une volonté d’affirmer un plus grand espace d’identification ». Enfin, les pratiques françaises ne sont pas reçues sans être réinventées. À l’heure du reflux révolutionnaire, sous le cabinet de Casimir Périer (mars 1831-avril 1832), le très sage Journal des débats se félicite que la France des Trois Glorieuses n’ait jamais connu les pratiques révolutionnaires que ses imitateurs lui prêtent :

Ce qu’ont prêché nos docteurs de démocratie, la Belgique l’a fait. Elle a cru à leur parole ; elle a suivi à la lettre leur programme de politique. [] La Belgique a tout ce qu’on voulait nous donner, des clubs, des arbres de la liberté, des associations patriotiques chargées de seconder le gouvernement. A-t-elle plus de liberté, de sécurité, de force ?

9 avril 1831.

Ces modèles, venus d’une France imaginaire, apparaissent comme des repoussoirs aux yeux des journaux de la résistance, comme le Journal des débats, en avril 1831 :

Il y a sur les places publiques des arbres de la liberté, et c’est contre leur tronc qu’on brise le visage des proscrits ; il y a des prisons, et elles ne servent plus qu’à y jeter les hommes arrachés presqu’en lambeaux des mains de l’émeute [...] ; enfin, pour couronner l’œuvre, il y a des journaux qui trouvent des phrases d’accusations contre les victimes et d’apologie pour les bourreaux.

Bibliographie

Aprile, Sylvie, Caron, Jean-Claude, Fureix, Emmanuel (dir.), La liberté guidant les peuples. Les révolutions de 1830 en Europe, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2013.

Church, Clive H., Europe in 1830, Londres, George Allen & Unwin, 1983.

Meltz, Renaud, « Les révolutions de 1830 : l’avènement d’une diplomatie de la place publique ? », Les actes du CRESAT, n° 15, 2018, p. 101-124.


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