Tocqueville et la démocratie américaine

Résumé

En précurseur de la sociologie et de la science politique, Tocqueville est le premier à retracer l’ADN des sociétés modernes en tant que sociétés démocratiques. Il trouve aux États-Unis la manifestation consolidée de ce « fait providentiel », appelé à déteindre sur toutes les sociétés modernes. L’enquête qu’il mène avec Beaumont en Amérique le conduit à comprendre les valeurs et les relations sociales qui structurent la vie démocratique, par opposition aux sociétés aristocratiques comme la France et la Grande-Bretagne. Cependant, les démocraties ne sont pas exemptes de contradictions : certaines sociales (l’atomisation, le repli sur soi et la passivité politique), d’autres politiques (le centralisme administratif, le présidentialisme et la tutelle croissante de l’État sur la société).

Issu d’une famille de la très vieille noblesse normande, qui avait payé un lourd tribut à la guillotine pendant la Révolution, le magistrat Alexis de Tocqueville (1805-1859) est l’un des penseurs les plus pénétrants de la démocratie. C’est le premier, en tout cas, à en faire le mode d’organisation par excellence des sociétés modernes, fondées sur l’« égalité des conditions ». Pour ces sociétés surgies des révolutions libérales, la démocratie est l’autre nom d’un « monde tout nouveau », comme il l’écrit en 1835 dans l’Introduction à De la démocratie en Amérique (DA, I, p. 8), pour lequel il faut désormais une « science politique nouvelle ».

Cette « science politique nouvelle », Tocqueville la trouve aux États-Unis. Pour le compte du ministère de l’Intérieur de Louis-Philippe, il mène une enquête sur les prisons américaines afin de pallier les inefficacités du système pénitentiaire français : un « prétexte », comme il l’écrira dans une lettre de 1835, qui doit surtout lui fournir un « passeport » pour l’Amérique. Il débarque avec son confrère Gustave de Beaumont à New York le 11 mai 1831, et repart pour Le Havre le 20 février 1832. Leur périple, qui les mène au Canada, puis à Boston et Baltimore, enfin dans l’ouest et le sud, leur donne accès à une vaste documentation juridique, administrative et médiatique, mais aussi à la vie quotidienne des Américains. Tocqueville ne cesse de s’étonner de leurs habitudes et de comparer leurs valeurs à sa France natale. Comment la démocratie est née en Amérique ? Pourquoi un si admirable système politique a tant de mal à voir le jour en France, pourtant pays des passions égalitaires et des combats pour la liberté depuis 1789 ?

Les conditions sociales de la démocratie

Pour cet « aristocrate vaincu et convaincu que son vainqueur a raison », suivant le portrait qu’en brosse Guizot dans une lettre du 30 juin 1856, la démocratie renvoie à deux réalités distinctes mais étroitement imbriquées : d’un côté, des régimes politiques fondés sur le gouvernement de la majorité et la souveraineté du peuple ; de l’autre, des sociétés régies par l’égalité, la liberté et l’opinion publique. La république américaine est, selon Tocqueville, la seule démocratie du monde car elle réunit ces deux réalités : seulement en Amérique « le peuple nomme celui qui fait la loi et celui qui l’exécute ; lui-même forme le jury qui punit les infractions à la loi. […] [il] nomme directement ses représentants […], afin de les tenir plus complètement sous sa dépendance. C’est donc réellement le peuple qui dirige, et, quoique la forme du gouvernement soit représentative, il est évident que les opinions, les préjugés, les intérêts, et même les passions du peuple ne peuvent trouver d’obstacles durables qui les empêchent de se produire dans la direction journalière de la société » (DA, I, p. 193-194).

En précurseur de la sociologie, et suivant l’inspiration de Montesquieu dans L’esprit des lois (1748), Tocqueville pense que la deuxième réalité contient la première : l’organisation sociale prédétermine le régime politique. Cette organisation tient, selon lui, à un « fait générateur » : l’égalité des conditions. Le moteur des sociétés démocratiques est le processus d’égalisation des chances (lié à la suppression des privilèges héréditaires) et son corollaire subjectif, l’individualisme. Individualisme : cette « expression récente qu’une idée nouvelle a fait naître », précise Tocqueville en 1840 dans le deuxième tome de De la démocratie en Amérique (DA, II, p. 612). Les premières occurrences du mot en français remontent à 1826 : dans le journal saint-simonien Le Producteur, il est opposé à la solidarité de l’association ouvrière et synonyme d’égoïsme. Entre 1835 et 1840, Tocqueville accomplit une véritable révolution sémantique. Il l’associe pour la première fois à la démocratie (dont il inverse simultanément le stigmate répandu à l’époque), en reprenant l’acception péjorative des socialistes, tout en insistant sur son potentiel émancipateur. Dans les sociétés démocratiques, « la plupart des hommes […] sont fort avides de jouissances matérielles et présentes », mais dans la mesure où « ils sont toujours mécontents de la position qu’ils occupent, et toujours libres de la quitter » (DA, II, p. 555). L’individualisme est associé à l’égalité démocratique : les individus « ne songent qu’aux moyens de changer leur fortune ou de l’accroître » (DA, II, p. 555) car c’est ainsi qu’ils s’affranchissent de leurs tutelles, des inégalités de naissance, des conditions sociales héritées. Cette liberté individuelle n’est toutefois rien sans la liberté politique. Il n’est point de démocratie sans des citoyens actifs, exerçant leur indépendance de jugement et leur volonté de contribuer à la chose publique. C’est l’autre révolution, conceptuelle cette fois, qu’accomplit Tocqueville par rapport au concept libéral de liberté, en récusant la distinction de Benjamin Constant (1819) entre liberté des Anciens, fondée sur l’engagement civique, et liberté des Modernes, axée sur la préservation des jouissances privées.

C’est en Amérique qu’il trouve cette association vertueuse de liberté économique et liberté politique. Pourquoi ? La réponse le fait remonter au milieu du xviie siècle. L’Amérique avait été le refuge des pèlerins fuyant les persécutions religieuses des Stuart en Angleterre. Issus des classes moyennes éduquées, ces puritains n’avaient pas été poussés à l’exil par le goût de l’aventure ou l’appât de richesses, mais par une utopie religieuse et politique : la quête d’une terre où il leur soit permis de vivre ensemble à leur manière. C’était alors « la démocratie [qui] s’échappait toute grande et toute armée du milieu de la vieille société féodale [anglaise] ». En instillant dans la société américaine cet esprit d’indépendance par rapport à tout pouvoir arbitraire, ces « ardents sectaires et novateurs exaltés » (DA, I, p. 47) ont créé l’humus qui a rendu possible la démocratie. L’« admirable position du Nouveau Monde, qui fait que l’homme n’y a encore d’ennemis que lui-même » (DA, I, p. 192), autrement dit l’éloignement américain des conflits européens, a fait le reste. D’exceptionnalité historique, la démocratie états-unienne est devenue alors, peu à peu, le signe avant-coureur des temps nouveaux. Son organisation sociale annonce la modernité à laquelle les sociétés européennes du xixe siècle, bouleversées par les ruptures révolutionnaires, ne pourront longtemps résister. C’est en ce sens que la démocratie est le « fait providentiel » de la modernité : « Une grande révolution démocratique s’opère parmi nous : tous la voient, mais tous ne la jugent point de la même manière. Les uns la considèrent comme une chose nouvelle, et, la prenant pour un accident, ils espèrent pouvoir encore l’arrêter ; tandis que d’autres la jugent irrésistible, parce qu’elle leur semble le fait le plus continu, le plus ancien et le plus permanent que l’on connaisse dans l’histoire » (DA, 1, p. 4).

Tocqueville est convaincu de cette nécessité historique, mais ne s’illusionne point. À l’instar des démocraties, les régimes aristocratiques, comme la France ou la Grande-Bretagne, ont leurs propres assises sociales, qui garantissent la légitimité de leur organisation politique. Là où la démocratie se fonde sur des relations sociales contractuelles et individualistes, les régimes aristocratiques s’enracinent dans la puissance symbolique de la tradition. Pour le démontrer, Tocqueville compare les interactions domestiques entre maîtres et serviteurs en France et aux États-Unis. Dans les sociétés démocratiques, ce qui légitime l’obéissance est l’intérêt des parties prenantes fixé par le contrat : « dans les limites de ce contrat, l’un est le serviteur et l’autre le maître ; en dehors, ce sont deux citoyens, deux hommes » (DA, II, p. 695) ; dans les sociétés aristocratiques, c’est une « longue communauté de souvenirs » entre deux humanités distinctes, les serfs et les nobles, mais reliées par la chaîne du temps et des générations (DA, II, p. 693).

La démocratie, un régime corruptible ?

Structurées par des normes sociales opposées, les sociétés aristocratiques et démocratiques sont travaillées aussi par des contradictions différentes. Les unes tombent dans l’excès de dissemblance, qui rend les groupes sociaux peu compassionnels de leurs sorts réciproques en dépit des solidarités figées par la tradition ; les autres sont menacées par leur uniformisation croissante sous la férule du Dieu intérêt. Les unes sont guettées par l’arbitraire du pouvoir politique, là où les autres induisent le repli sur les jouissances privées, l’abandon de la vie publique et la tentation de tout attendre du gouvernement. Tocqueville voit dans l’Amérique contemporaine et les contradictions et le remède : ici l’individualisme « dispose chaque citoyen à s’isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à l’écart avec sa famille et ses amis ; de telle sorte que, après s’être ainsi créé une petite société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même » (DA, II, p. 612). En même temps, grâce à la densité du tissu associatif, municipal et communautaire, « les Américains ont combattu par la liberté l’individualisme que l’égalité faisait naître, et ils l’ont vaincu » (DA, II, p. 617). Tocqueville est impressionné par le nombre d’associations locales (caritatives, philanthropiques, hygiénistes, etc.) qui pullulent sur le sol américain. Il est fasciné par ces assemblées municipales (town meetings) qui, nées dans la commune de la Nouvelle-Angleterre, accordent à des habitants non élus un pouvoir décisionnel sur des questions relatives à la communauté.

En participant aux assemblées locales et à la vie municipale, en s’engageant dans des associations portant des problèmes publics locaux à l’attention du législateur, les habitants des communes américaines apprennent à devenir citoyens. Cet esprit d’initiative, associé à la « versatilité continuelle » des élections (DA, I, p. 228) et à l’« instabilité législative » (DA, I, p. 285), place les démocraties dans un « mouvement perpétuel » (DA, I, p. 577), quand bien même « l’esprit communal est un grand élément d’ordre et de tranquillité publique » (DA, I, p. 73). En réalité, Tocqueville idéalise largement ce « town-meeting model » de la démocratie américaine. Dès le xixe siècle, les assemblées d’habitants de la Nouvelle-Angleterre n’étaient ouvertes qu’aux plus fortunés et instruits. On sait, par ailleurs, que Tocqueville admirait Madison et avait lu ses écrits dans The Federalist (1787-1788) : il partageait son idée suivant laquelle la démocratie est fondée, à l’échelle nationale, sur le principe d’exclusion durable du peuple de la prise de décision politique. Aussi son exaltation du « town-meeting model » va-t-elle de pair avec une méfiance vis-à-vis de la souveraineté populaire en démocratie, dont témoigne sa critique du suffrage universel : sachant que « les instincts naturels de la démocratie portent le peuple à écarter les hommes distingués du pourvoir », « ceux qui regardent le vote universel comme une garantie de la bonté des choix se font une illusion complète » (DA, I, p. 224).

Malgré l’équilibre qu’il croit trouver dans la démocratie américaine, deux facteurs structurels s’emploient toutefois à la corrompre.

Le premier, sur lequel l’anti-esclavagiste Tocqueville ne s’attarde que trop peu, est l’inégalité raciale dans les États du Sud : « Au Sud de l’Union, l’esclavage existe. Tout ce que je viens de dire ne peut donc s’y appliquer » (DA, II, p. 696). C’est l’unique mention d’une antinomie fondamentale entre ce « modèle américain » de démocratie, fondé sur l’égalité fondamentale des maîtres et des serviteurs, et la persistance de l’esclavage. Tocqueville consacre deux chapitres conséquents à l’inégalité des races sur le sol américain : « Quelques considérations sur l’état actuel et l’avenir probable des trois races qui habitent le territoire des États-Unis » et « Position qu’occupe la race noire aux États-Unis ; danger que sa présence fait courir aux Blancs ». Cependant, en dépit de sa critique virulente de l’esclavage, il ne rapporte jamais l’inégalité raciale aux États-Unis à l’organisation démocratique dont il fait entretemps l’éloge. L’infériorité des Noirs, actée par des lois immorales et inhumaines, relève selon lui des mœurs ancestrales des Américains. Tocqueville remarque même, sur un mode paradoxal, que le préjugé racial est parfois plus tenace dans les États ayant aboli l’esclavage ; à preuve que la loi démocratique ne peut pas grand-chose face à ce fait racial quasi naturel : « Si l’inégalité créée seulement par la loi est si difficile à déraciner, comment détruire celle qui semble, en outre, avoir ses fondements immuables dans la nature elle-même ? […] Ceux qui espèrent que les Européens se confondront un jour avec les Nègres me paraissent donc caresser une chimère » (DA, I, p. 397).

Le deuxième facteur, sur lequel il glose davantage, est le centralisme croissant des États démocratiques. Le succès de la démocratie américaine tient à son alchimie entre deux dynamiques opposées : la décentralisation administrative (garantissant ce qu’on appellerait aujourd’hui la « subsidiarité ») et le centralisme gouvernemental (garantissant la stabilité et la cohérence de l’ordre politique fédéral). Or, la deuxième dynamique tend à préempter dangereusement la première. La présidence d’Andrew Jackson (1829-1837), « esclave de la majorité » (DA, I, p. 457) capable de toute violation en son nom, lui semble marquer cette dérive. « Lorsqu’un homme ou un parti souffre d’une injustice aux États-Unis, à qui voulez-vous qu’il s’adresse ? À l’opinion publique ? c’est elle qui forme la majorité ; au corps législatif ? il représente la majorité et lui obéit aveuglement ; au pouvoir exécutif ? il est nommé par la majorité et lui sert d’instrument passif ; à la force publique ? la force publique n’est autre chose que la majorité sous les armes ; au jury ? le jury, c’est la majorité revêtue du droit de prononcer des arrêts : les juges eux-mêmes, dans certains États, sont élus par la majorité. Quelque inique ou déraisonnable que soit la mesure qui vous frappe, il faut donc vous y soumettre » (DA, I, p. 290). Derrière les dérives matérialistes, conformistes et majoritaires de la démocratie américaine, Tocqueville entrevoit le spectre d’un nouveau despotisme, « plus étendu et plus doux » (DA, II, p. 835) que celui des sociétés d’Ancien Régime. Au-dessus d’une « foule innombrable d’hommes semblables et égaux », étrangers à leurs destinées réciproques, « s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort », un État qui « aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir » (DA, II, p. 836-837). Que reste-t-il de démocratique dans des sociétés où les gouvernements, élus à la majorité, poussent les individus à se désintéresser de la chose publique et à renoncer à leur condition de citoyens ? Plus grand-chose, affirme Tocqueville. C’est le grand problème des démocraties modernes : « il faut désormais chercher de nouveaux remèdes à des maux nouveaux » (DA, II, p. 848). Lesquels ? Parmi les solutions énumérées à la fin de De la démocratie en Amérique, certaines sont rôdées dans la tradition libérale, d’autres plus novatrices : à la suite de Montesquieu, Tocqueville insiste sur l’importance de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs ; mais il propose aussi, à rebours des penseurs de l’« aristocratie élective » (comme Madison), que les charges administratives soient en partie confiées à des citoyens ordinaires, et que l’indépendance des fonctionnaires soit garantie par le recours à l’élection. Deux propositions qui montrent, jusqu’au bout, son amour de la démocratie américaine, avec ses assemblées communales et son élection directe des commissaires et des juges.

La dialectique de l’égalité et de la liberté

Pour ce partisan du laissez-faire et de la décentralisation administrative, la démocratie suppose une alchimie fragile d’ingrédients potentiellement antinomiques : l’intérêt et le désintéressement, la liberté d’initiative locale et la sécurité de l’État, la démocratie représentative et la démocratie directe, le mouvement et l’ordre. Recette magique ? En réalité, l’« image de la démocratie elle-même » (DA, I, p. 15) que Tocqueville cherche en Amérique est aussi, et surtout, un programme politique pour sa France natale, où il sera député de Valognes (1839-1851), ministre des Affaires étrangères du second gouvernement Barrot (juin-octobre 1849) et enfin, après le coup d’État du 2 décembre 1851, exilé « de l’intérieur ». Pour ce libéral sui generis, la démocratie américaine est un modèle à opposer à la France post-révolutionnaire, avec son « goût dépravé pour l’égalité » qui conduit « les hommes à préférer l’égalité dans la servitude à l’inégalité dans la liberté » (DA, I, p. 59).

Tout au contraire, la formule de la démocratie – et indissociablement le programme politique tocquevillien – est l’égalité dans la liberté. Les sociétés démocratiques sont fondées sur l’égalité des conditions ; or, rien ne garantit que celle-ci préserve la liberté politique. En amont du coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte, Tocqueville entrevoit le problème au cœur même de la révolution ouvrière de juin 1848. Selon lui, la « République démocratique et sociale » que les ouvriers invoquent derrière les barricades est, comme toute la tradition socialiste, l’énième formule du despotisme : « La démocratie et le socialisme ne se tiennent que par un mot, l’égalité ; mais remarquez la différence : la démocratie veut l’égalité dans la liberté, et le socialisme veut l’égalité dans la gêne et dans la servitude. Il ne faut donc pas que la révolution de Février soit sociale » (« Discours prononcé à la Chambre des députés le 27 janvier 1848 », Œuvres, 1, p. 1147). La formule de « l’égalité dans la liberté » revient ici, non pour dénoncer un despotisme réel comme celui de Bonaparte, mais une tyrannie fantasmée, celle des masses populaires. Pour un défenseur des vertus démocratiques de l’association, l’associationnisme ouvrier devient aussi une menace : on touche les limites d’une analyse de la démocratie qui montre tout son soubassement idéologique. Que Tocqueville n’hésite pas à renverser ! Dans un chapitre intitulé « L’égalité donne naturellement aux hommes le goût des institutions libres », il écrit que « l’égalité, qui rend les hommes indépendants les uns des autres, leur fait contracter l’habitude et le goût de ne suivre, dans leurs actions particulières, que leur volonté. Cette entière indépendance, dont ils jouissent continuellement vis-à-vis de leurs égaux et dans l’usage de la vie privée, les dispose à considérer d’un œil mécontent toute autorité, et leur suggère bientôt l’idée et l’amour de la liberté politique » (DA, II, p. 806). Égalité dans la liberté ou liberté dans l’égalité ? Loin du jeu de mots, la question n’a pas été véritablement tranchée par le magistrat. Il en va même de sa manière, critique et anti-dogmatique, d’envisager le libéralisme. La démocratie est une alchimie complexe de deux désirs, l’égalité dans la liberté et la liberté dans l’égalité : ce qui donne, au fond, deux Tocqueville pour deux réceptions différentes, une de droite et une de gauche.

Bibliographie

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