L’Édit de Nantes et sa révocation (1598-1685)

Résumé

En 1598, la signature de l’Édit de Nantes ne signifie pas la fin des conflits religieux dans le royaume de France. À partir des années 1620, Louis XIII mène en effet une offensive politique et militaire contre le parti « huguenot ». Louis XIV décide, à partir des années 1660, d’établir l’unité de la foi dans le royaume, une politique qui le conduit en 1685 à révoquer l’Édit de Nantes par la signature de l’édit de Fontainebleau. Si les protestants n’ont le choix qu’entre l’exil ou la conversion forcée, certains décident de rester en France en conservant leurs croyances.

Henri IV et la paix, allégorie © Château de Pau. Source&nbsp;:&nbsp;<a href="https://histoire-image.org/fr/etudes/henri-iv-paix" target="_blank">https://histoire-image.org/fr/etudes/henri-iv-paix</a>
Henri IV et la paix, allégorie © Château de Pau. Source : https://histoire-image.org/fr/etudes/henri-iv-paix
Seconde version remaniée de l’Édit de Nantes, adressée au parlement de Paris pour enregistrement (Archives nationales), J//943/2 ou AE/II/763
Seconde version remaniée de l’Édit de Nantes, adressée au parlement de Paris pour enregistrement (Archives nationales), J//943/2 ou AE/II/763 (Source : wikipedia.org)

Mise au point : catholiques et protestants de l’édit de Nantes (1598) à l’édit de Fontainebleau (1685)

L’édit de Nantes signé le 30 avril 1598 met-il véritablement fin aux guerres de religion qui ont ensanglanté le royaume au xvie siècle ? Présentée ainsi, la signature de l’édit semble relever de la toute-puissance d’Henri IV en mesure d’arrêter les conflits religieux par le seul pouvoir de sa signature. Or les négociations, commencées en 1593, ont été longues et difficiles, ralenties par la détermination du roi et des représentants protestants réunis dans des assemblées politiques. L’édit de Nantes comprend quatre textes : l’édit proprement dit composé de 93 articles généraux, 56 articles particuliers et deux brevets, c’est-à-dire des actes par lesquels le roi accorde généralement une faveur. Le premier de ces brevets autorise le paiement des pasteurs par l’État, le deuxième accorde aux protestants 150 places de sûreté. L’édit accorde aux protestants la liberté de conscience et une liberté de culte limitée car interdit à Paris et dans les villes sièges d’un évêché. L’édit accorde également l’égalité civile aux réformés qui ont désormais accès à toutes les charges et emplois publics. Enfin, le culte catholique doit être rétabli partout où il a été supprimé et les protestants doivent restituer les biens catholiques dont ils s’étaient emparés, en particulier des églises qui avaient été transformées en temples.

En négociant la signature de cet édit entre les deux confessions, l’État royal instaure une tolérance civile : c’est l’État qui fixe désormais les règles de coexistence entre les deux confessions, la tolérance ecclésiastique – le fait que les deux confessions s’acceptent mutuellement – étant impossible. En légalisant deux confessions dans un même royaume, l’édit de Nantes fait exception en Europe. Dans le Saint-Empire, par exemple, par la paix d’Augsbourg de 1555, l’empereur Charles Quint accepte que le prince de chaque État choisisse la confession de son choix entre le catholicisme et le luthéranisme, les habitants devant alors suivre la confession de leur prince. Grâce à l’édit de Nantes qui leur assure la possession de places fortes et la possibilité de réunir des assemblées politiques, les protestants français se dotent d’une organisation politique et militaire qui permet l’existence d’un « parti huguenot » (le terme « huguenot » est utilisé dès le xvie siècle pour désigner les protestants français).

Les guerres de religion reprennent en 1621, après l’expédition militaire menée en 1620 par Louis XIII pour restaurer le catholicisme dans la province du Béarn, restée jusque-là majoritairement protestante. L’objectif du cardinal de Richelieu, principal ministre du roi Louis XIII, consiste alors à « ruiner » le parti huguenot. Un des épisodes les plus célèbres de ces guerres de religion se déroule à partir de septembre 1627 quand les armées royales mettent le siège devant La Rochelle, une place forte protestante qui s’est révoltée contre l’autorité royale. La ville ne se rend qu’en octobre 1628. Les combats se poursuivent alors dans le sud du royaume. La paix revient quand un nouvel édit est signé à Nîmes en juillet 1629 : l’édit de Nantes est confirmé, mais c’est une défaite militaire et politique pour les protestants qui perdent toutes leurs places fortes et leurs assemblées politiques sont définitivement interdites. Le « parti huguenot » n’existe plus et les protestants sont désormais sans défense face à l’État royal.

Dès 1661, Louis XIV souhaite établir l’unité de foi et demande de faire appliquer strictement l’édit de Nantes « à la rigueur », c’est-à-dire de déterminer si le culte réformé est pratiqué suivant les termes exacts de l’édit : les temples protestants jugés illégaux sont détruits. Commence alors une période de persécutions et d’encouragements à la conversion marquée notamment par la création en 1676 de la Caisse des conversions par un ancien huguenot, Paul Pellisson, pour récompenser financièrement ceux qui abjurent le calvinisme, appelés les Nouveaux Convertis (NC). En 1680, les mariages mixtes et les conversions au calvinisme sont interdits. Les huguenots sont progressivement exclus de tous les offices, de l’armée et de nombreux métiers. L’intendant du Poitou, Marillac, demande en 1681 l’intervention de soldats du roi, les dragons, et leur logement dans les familles protestantes pour obtenir leur conversion : ce sont les dragonnades. Les soldats sillonnent le Poitou et obtiennent quelques 30 000 conversions. Dans ce contexte de répression, le chancelier Michel Le Tellier propose l’édit de Fontainebleau au roi qui le signe le 18  octobre 1685.

Les édits de Nantes et de Nîmes sont révoqués, les pasteurs obtiennent le choix entre l’émigration et la conversion, alors que l’exil est interdit pour tous les autres huguenots. Les derniers temples sont démolis. Les persécutions entrainent de nombreux départs vers les pays du Refuge, c’est-à-dire les États protestants qui acceptent de les accueillir, principalement l’Angleterre, les Provinces-Unies, Genève et certains États germaniques de l’Empire. Entre 1680 et 1715, 150 000 à 180 000 protestants ont ainsi rejoint ces pays. Dans l’entourage du roi, seul le maréchal de Vauban, dans son Mémoire sur le rappel des Huguenots (1689), critique ouvertement la Révocation de l’édit de Nantes, responsable selon lui d’un affaiblissement du royaume

Document : mémoire établi par Étienne Le Camus, évêque de Grenoble, concernant les Nouveaux Convertis de son diocèse (1698)

En 1685, les [Nouveaux Convertis] qui étaient restés dans mon diocèse avaient un véritable dessein d’embrasser la religion catholique ; les instructions qu’on avait faites dans la ville de Grenoble et dans tous les endroits de ce diocèse où ils étaient répandus les avaient convaincus, et le soin qu’on avait pris de les traiter avec douceur et avec charité leur avait donné une entière confiance en moi : ils allaient au sermon, à la messe, aux processions, aux bénédictions du saint sacrement et envoyaient tous les dimanches leurs enfants au catéchisme.

Mais depuis l’année 1686, les choses ont changé de face et, à la réserve d’un petit nombre, dans Grenoble et dans quelques autres villes, les autres sont pires qu’ils n’étaient avant leur abjuration. Je ne peux attribuer un changement si prompt et si universel aux lettres circulaires que les hérétiques des Cévennes et du Vivarais* et les réfugiés à Genève et en Suisse leur ont écrites, les assurant que le prince d’Orange** les rétablirait dans le libre exercice de leur religion. Ainsi on peut dire qu’à présent, à la réserve des femmes, qui ont toujours un grand zèle pour leur fausse religion, le reste n’a presque plus de religion.

Les désordres principaux que j’ai remarqués et qui les entretiennent dans leur religion sont :

            1. Que la plupart ne vont ni à la messe ni aux sermons et qu’ils se contentent de lire les sermons de leurs ministres qui sont imprimés et qu’ils ont gardés ; ils font aussi entre eux des prières et des lectures de psaumes dans le temps qu’ils sont assemblés trois ou quatre sous prétexte de se rendre visite.

            2. Ils font des prières matin et soir comme on les fait à Genève, et comme ils faisaient autrefois avant leur abjuration.

            3. Ils empêchent leurs enfants de fréquenter les églises et les sacrements et de venir aux catéchismes, et leurs mères mêmes les maltraitent quand ils y vont.

            4. Ils ne se confessent et ne communient point, pas même à Pâques.

            5. Quand ils sont malades, leurs parents de leur religion les obsèdent. Ils n’envoient quérir le curé que quand le mourant a perdu la parole. Si le curé y veut venir d’office, on lui refuse l’entrée de la chambre, disant que le malade repose, et les plus obstinés laissent mourir leurs proches sans appeler le curé et les enterrent la nuit dans leurs jardins à la campagne.

            6. Ils mangent publiquement de la viande les jours défendus.

            7. Comme on ne leur donne point la bénédiction nuptiale en ce diocèse qu’ils n’aient fait abjuration, qu’ils n’aient fait leur devoir pascal et qu’ils n’aient témoignage de leur curé qu’ils ont assisté depuis six mois assidûment à la messe et aux instructions, les uns pour pouvoir se marier remplissent tous ces devoirs et, après leur mariage, ne fréquentent plus l’église ; les autres vont se marier à Genève et reviennent dans leurs maisons avec leur prétendue femme.

*Le Vivarais et les Cévennes sont deux provinces situées au sud-est et au sud du Massif Central. Elles comportent après la Révocation de l’édit de Nantes de nombreuses communautés protestantes qui résistent à la politique d’unité de foi de Louis XIV.

**Le prince d’Orange, Guillaume d’Orange, est à la fois le principal chef militaire (stathouder) des Provinces-Unies et, depuis la Glorieuse Révolution anglais de 1688-1689, le roi d’Angleterre.

Extrait de Jean Lemoine, Mémoires des évêques de France sur la conduite à tenir à l’égard des réformés (1698), Paris, 1902, p. 268-271.

Éclairages : le désarroi d’un évêque face aux Nouveaux Convertis (NC)

Dans les années qui suivent la révocation de l’Édit de Nantes, l’État royal s’interroge sur la politique à mener à l’égard des Nouveaux Convertis (NC), ces réformés qui ont abjuré leur foi protestante pour se convertir au catholicisme. Le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, est chargé par le roi de consulter les évêques sur l’attitude de ces convertis au catholicisme. Il s’adresse pour cela à des prélats influents comme Bossuet, évêque de Meaux, ou Le Tellier, archevêque de Reims, et surtout à des évêques dont les diocèses comptent d’importantes communautés de Nouveaux Convertis (Aunis, Saintonge, Languedoc et Dauphiné).

Étienne Le Camus, évêque de Grenoble de 1671 à sa mort en 1707, cardinal en 1686, est un ecclésiastique respecté, attentif à la mise en place de la Réforme catholique dans son diocèse et opposé à l’utilisation de la violence dans la conversion des huguenots du Dauphiné au moment de la Révocation de l’édit de Nantes. Dans ce mémoire rédigé en 1698, Étienne Le Camus constate avec amertume l’échec des méthodes de conversion prônées par le roi et l’Église catholique : ni les mesures de violence comme les dragonnades, ni « la douceur et la charité » n’ont eu d’effets sur les protestants. Selon lui, les Nouveaux Convertis de son diocèse sont en réalité des « nicodémites » : ils dissimulent leur véritable foi protestante en prétendant se conformer aux règles de l’Église catholique.

Le témoignage d’Etienne Le Camus nous informe sur les moyens par lesquels certains protestants résistent aux politiques de conversions et se jouent des rites et des obligations liturgiques qui leur sont imposés. L’évêque insiste en premier lieu sur les liens des Nouveaux Convertis du Dauphiné avec les protestants exilés dans les pays du Refuge (Genève, les Provinces-Unies, l’Angleterre ou le Brandebourg) mais également d’autres provinces du royaume de France (Vivarais, Cévennes). Ces liens sont maintenus par une correspondance active et l’envoi clandestin depuis l’étranger d’ouvrages interdits comme les « lettres pastorales » des pasteurs Pierre Jurieu ou Jacques Basnage qui appellent à la résistance des Nouveaux Convertis contre la législation royale. Il dénonce également les NC qui rejettent la pratique du catholicisme (refus du catéchisme pour les enfants, des sacrements, ou du jeûne catholique) et le maintien d’un culte réformé clandestin le plus souvent dans un cadre familial ou privé, même si des assemblées publiques se réunissent dès 1686 dans des lieux isolés pour éviter la répression.

L’évêque de Grenoble observe également que les NC ne veulent pas mourir dans le catholicisme, préférant enterrer leurs morts dans des cimetières privés (« dans leurs jardins à la campagne »). Si le curé est présent au moment de la mort, ces convertis préfèrent subir les peines encourues par les « relaps » (protestants convertis au catholicisme qui retournent au calvinisme) plutôt qu’abjurer leur foi en recevant l’extrême-onction selon le rite catholique. Car depuis une loi de 1686, les tribunaux sont autorisés à juger le cadavre des relaps dont la sépulture peut être interdite. Comme le note Etienne le Camus, ces Nouveaux Convertis refusent parfois le mariage catholique, préférant simplement signer un contrat de mariage chez le notaire, voire se rendre à l’étranger pour faire célébrer leur union par un pasteur, au risque de voir leurs enfants nés de ces unions considérés comme illégitimes par l’État et l’Église catholique.

Bibliographie

Bauberot, Jean et Carbonnier-burkard, Marianne, Histoire des protestants. Une minorité en France (xvie-xxie siècle), Paris, Ellipses, 2016.

Boisson, Didier et Daussy, Hugues, Les protestants dans la France moderne, Paris, 2006.

Cabanel, Patrick, Histoire des protestants en France, xvie-xxie siècle, Paris, Fayard, 2012.

Joutard, Philippe, La révocation de l’édit de Nantes ou les faiblesses d’un État, Paris, Gallimard, 2018.


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