Les deux guerres du Golfe (1991 et 2003) et leurs prolongements : d’une guerre interétatique à un conflit asymétrique

Résumé

L’Irak est en guerre depuis plus de quatre décennies. Après les guerres interétatiques provoquées par les agressions de Saddam Hussein contre l’Iran (1980) et le Koweït (1990), le pays se retrouve en choc frontal avec les États-Unis et ses alliés qui l’emportent à deux reprises en 1991, puis en 2003. La chute de Saddam Hussein (2003) et l’occupation américaine du pays entraînent une guerre civile qui se transforme rapidement en un conflit asymétrique marqué par les attentats et les attaques de harcèlement. Les djihadistes de l’État islamique au Levant profitent du départ des troupes américaines en 2011 pour tenter de s’emparer de Bagdad et des zones sunnites irakiennes (2013-2015), accentuant le chaos régnant en Irak.

La guerre Iran-Irak et ses conséquences (1980-1990)

La guerre du Koweït résulte directement de la guerre Iran-Irak (1980-1988) qui a marqué le Moyen-Orient au fer rouge de la conflictualité. L’Irak de Saddam Hussein sort victorieux de cette guerre interétatique. Il s’agit cependant d’une victoire à la Pyrrhus car les pertes irakiennes sont très lourdes et le pays est alors surendetté. Pour repousser les vagues d’assaut iraniennes (l’Iran étant trois fois plus peuplé que l’Irak), le dictateur irakien a mené une guerre à crédit pendant huit ans qui lui a permis d’acheter sans compter des armes aux Occidentaux et aux Soviétiques. Dès lors, il défend le principe du maintien d’un prix élevé du baril de pétrole qui lui permet de renflouer ses caisses. Saddam Hussein fait pression sur les monarchies du Golfe pour qu’elles épongent sa dette, arguant qu’il s’agit là du « prix du sang » payé par son pays pour jouer le rôle de bouclier face aux mollahs iraniens chiites qui rêvaient d’exporter leur révolution islamique à l’ensemble de la région. L’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, le Qatar et Bahreïn acceptent d’éponger la dette irakienne. Malgré les demandes réitérées de Bagdad, le petit émirat du Koweït dirigé par l’émir Jaber refuse quant à lui tout compromis financier (dette de 14 milliards de dollars de l’époque). Au sein de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), le Koweït se range en outre du côté des Saoudiens qui demandent un prix bas du pétrole qui leur garantit d’écouler leur très grosse production pétrolière. Le ton monte rapidement entre le dictateur irakien et son voisin l’émir koweïtien, d’autant que les deux pays se disputent un important gisement pétrolier frontalier. Saddam Hussein fait face à un autre dilemme : soit il démobilise une partie de son armée, sachant qu’il ne pourra pas fournir d’emplois à ses vétérans qui risquent de se dresser contre lui, soit il maintient sous l’uniforme son armée devenue pléthorique, mais il lui faut alors l’occuper et la payer. Au début de l’été 1990, le dictateur irakien choisit la seconde option et ordonne à ses généraux de préparer l’invasion du Koweït, espérant s’emparer par là-même des réserves pétrolières et des importantes réserves d’or du petit émirat coincé entre l’Irak, l’Iran et l’Arabie saoudite. Il est alors convaincu qu’aucun État de la région n’interviendra pour affronter son armée auréolée de sa victoire contre l’Iran. Saddam Hussein est conforté dans ce choix par sa rencontre, le 25 juillet, avec l’ambassadrice américaine April Glaspie. Face à ses récriminations à l’encontre du Koweït, celle-ci lui répond que les États-Unis ne prendront pas position sur un différend opposant des pays arabes comme l’Irak et le Koweït, comme les enregistrements audios irakien et américain en témoigneront plus tard. Le président irakien l’interprète ainsi : les États-Unis n’interviendront pas militairement contre nous. Cette déclaration donnera lieu à controverse et à une commission d’enquête du Congrès américain. Il en ressortira que l’ambassadrice Glaspie s’était trompée d’analyse et pensait que l’Irak ne s’apprêtait pas à envahir le Koweït. Elle en avait d’ailleurs consciencieusement informé la Maison Blanche et le Département d’État, leur signifiant qu’elle s’en était tenue à la posture de prudence agréée par Washington au début de la crise.

La guerre du Koweït (1990-1991) 

Le 2 août 1990, Saddam Hussein lance son armée à la conquête du Koweït, ce qu’il réalise en 48 heures du fait d’un rapport de force militaire disproportionné. L’émir Jaber s’enfuit en Arabie saoudite. Contrairement au calcul du dictateur irakien qui n’a pas pris en compte le nouveau contexte international de fin de la guerre froide (l ’URSS ne le soutiendra pas), les États-Unis et la communauté internationale vont immédiatement réagir et mobiliser une coalition de 35 pays pour faire pression sur l’Irak afin qu’il retire ses troupes du Koweït.

De la mi-août à fin décembre 1990, les États-Unis, sous la houlette du président républicain George Bush (le père), mettent en place l’opération « Bouclier du désert » destinée à défendre le territoire saoudien face à toute offensive irakienne. En quatre mois, les forces coalisées déploient près de 950 000 soldats, dont près de 700 000 soldats américains et 15 000 soldats français de la division Daguet (la plus importante participation française à un conflit extérieur depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale). Il s’agit d’une gigantesque manœuvre militaire et logistique qui rappelle les plans de bataille de l’OTAN au plus fort de la guerre froide, destinée à dissuader l’Irak de toute nouvelle agression. La Maison Blanche exclut Israël de la coalition afin de pouvoir entraîner avec elle un certain nombre de pays arabes qui ne lui étaient jusque-là pas favorables, telle la Syrie de Hafez el-Assad qui échange sa participation contre une mainmise totale syrienne sur le Liban, mettant ainsi fin à la guerre civile libanaise. En face, l’Irak aligne 650 000 soldats, dont 100 000 de la redoutable Garde Républicaine. Il s’agit donc d’un conflit symétrique inter-étatique où chacun déploie ses forces (chars, avions, hélicoptères, pièces d’artillerie) sur le champ de bataille.

Le 29 novembre 1990, le Conseil de sécurité adopte la Résolution 678 posant un ultimatum à Saddam Hussein : soit celui-ci retire ses troupes du Koweït avant le 15 janvier 1991, soit la coalition est autorisée à recourir à la force pour libérer l’émirat. Le dictateur irakien refuse de céder et se pose en chantre du nationalisme arabe face aux « régimes à la solde de l’Occident ». Au-delà du respect du droit international, les États-Unis entendent signifier qu’ils se considèrent comme les nouveaux gendarmes du golfe Persique.

Dès l’expiration de l’ultimatum le 16 janvier 1991, la coalition internationale déclenche l’opération « Tempête du désert » avec une impressionnante campagne de frappes aériennes contre l’armée et les infrastructures militaires irakiennes, mobilisant 1 500 chasseurs bombardiers et plus de 700 avions de soutien. Pour la première fois de l’histoire, des missiles de croisière à longue distance – les fameux Tomahawk – sont tirés depuis des navires américains situés en mer Rouge et dans le golfe Persique. Pendant six semaines, un déluge de feu s’abat sur les positions retranchées des divisions irakiennes, la défense antiaérienne de même que sur les infrastructures logistiques et de commandement des Irakiens. Cette campagne aérienne est orchestrée par les stratèges américains depuis leur quartier général basé en Arabie Saoudite. C’est pour eux l’occasion de tester des stratégies nouvelles, issues de leur « Révolution dans les affaires militaires », qui visent en priorité à désorganiser l’adversaire, l’aveugler et le couper de ses centres de décision et de ravitaillement. Saddam Hussein riposte en lançant des missiles balistiques SCUD à courte portée (moins de 800 km) contre les forces déployées en Arabie saoudite, mais surtout contre Israël, en espérant l’impliquer dans le conflit et donner ainsi aux États arabes, membres de la coalition, un prétexte pour la quitter. Les États-Unis et Israël ne tombent pas dans le piège et le déluge de feu se poursuit jusqu’à ce que les divisions irakiennes aient perdu plus de la moitié de leurs capacités militaires. Parallèlement, les forces spéciales américaines et britanniques neutralisent une partie des lanceurs de missiles SCUD éparpillés dans le désert irakien.

Les opérations alliées pendant la guerre de 1991, © Larousse
Les opérations alliées pendant la guerre de 1991, © Larousse

Le 24 février 1991, à l’issue d’une préparation d’artillerie dantesque, les forces coalisées déclenchent l’offensive terrestre et pénètrent à la fois au Koweït et dans le sud de l’Irak. Dix-huit divisions regroupant 3 000 chars et 1 500 hélicoptères affrontent sur le champ de bataille une quarantaine de divisions irakiennes très affaiblies par les attaques subies au cours des semaines précédentes. Les stratèges américains déroulent une vaste manœuvre en coup de faux permettant d’encercler les forces irakiennes retranchées au Koweït. Les batailles de chars sont les plus massives depuis la guerre israélo-arabe du Kippour de 1973. En cinq jours, la coalition écrase l’armée irakienne, libère le Koweït et atteint les rives du fleuve Euphrate en Irak. Les pertes de la coalition sont mineures (292 morts, 1 200 blessés, 75 avions et une trentaine de chars détruits). La défaite militaire est sévère pour Saddam Hussein (plus de 40 000 morts, 80 000 blessés, 150 aéronefs et 3 300 chars détruits) qui ordonne le redéploiement de son armée autour des sites vitaux pour le pouvoir irakien.

Forces égyptiennes, françaises, syriennes, omanaises et koweïtiennes lors d’une revue le 8 mars 1991 en Irak, après la victoire de la coalition,
Forces égyptiennes, françaises, syriennes, omanaises et koweïtiennes lors d’une revue le 8 mars 1991 en Irak, après la victoire de la coalition, source wikiwand

Les pertes de la coalition sont mineures (292 morts, 1 200 blessés, 75 avions et une trentaine de chars détruits). La défaite militaire est sévère pour Saddam Hussein (plus de 40 000 morts, 80 000 blessés, 150 aéronefs et 3 300 chars détruits) qui ordonne le redéploiement de son armée autour des sites vitaux du pouvoir. À Washington, George Bush et ses conseillers hésitent à poursuivre l’offensive jusqu’à Bagdad pour faire tomber le dictateur irakien. Le pragmatisme et la géopolitique l’emportent : il est décidé de mettre un terme à cette campagne militaire car le président américain, qui a dirigé la CIA, sait que le renversement du régime irakien ferait inéluctablement le jeu des mollahs iraniens qui restent l’adversaire principal des États-Unis dans la région. Pour les monarchies du Golfe et les États-Unis, il vaut mieux préserver un Irak affaibli qui continue de jouer le rôle de bouclier face à l’Iran. Un cessez-le-feu est donc signé avec Bagdad le 28 février 1991. La victoire de la coalition conduite par les États-Unis marque le début d’une période de 25 ans de totale domination américaine au Moyen-Orient.

Une décennie de sanctions et de coercition (1992-2002)

En Irak, les chiites au sud, puis les kurdes au nord se soulèvent dès la fin des hostilités pour libérer les territoires sous leur contrôle du joug du régime irakien en profitant de la débâcle de l’armée de Saddam Hussein. Sachant qu’il n’a plus rien à craindre de la coalition, ce dernier déclenche une répression féroce qui lui permet d’écraser les rebelles chiites et kurdes. Ces massacres incitent la communauté internationale à adopter la Résolution 688 du Conseil de sécurité de l’ONU (5 avril 1991) qui permet l’imposition de zones d’exclusion aérienne au-dessus du sud (à partir de 1992), puis du nord de l’Irak (à partir de 1997). Plusieurs aviations occidentales (dont l’Armée de l’Air française) se chargeront de faire respecter ces zones d’exclusion aérienne jusqu’en 2003. Parallèlement, le Conseil de sécurité adopte un train de sanctions économiques très sévères contre le régime de Saddam Hussein pour le contraindre à respecter les résolutions de l’ONU, mais surtout à démanteler son arsenal d’armes chimiques et son programme d’armes biologiques mis en place pendant la guerre Iran-Irak.

Alors que le dictateur irakien espérait que l’élection du démocrate Bill Clinton à la Maison Blanche allait favoriser un rapprochement entre l’Irak et les États-Unis, le nouveau président américain se montre très ferme et applique une stratégie de double endiguement visant à la fois l’Irak et l’Iran. Celui-ci n’hésite pas à recourir à la force pour punir les incartades et les provocations de Saddam Hussein qui s’accroche au pouvoir et élimine ses opposants. Bill Clinton déclenche ainsi des frappes de rétorsion (tirs de missiles de croisière et raids aériens) lors des opérations « Desert Strike » (septembre 1996) et « Desert Fox » (décembre 1998). Beaucoup plus que le régime, c’est la population irakienne qui souffre des sanctions internationales. Progressivement, le dossier des armes chimiques s’impose comme une priorité américaine pour s’assurer que Saddam Hussein ne disposera jamais d’armes de destruction massive (les Israéliens avaient déjà réduit à néant son programme d’armes nucléaires en bombardant la centrale atomique d’Osirak en juin 1981). Dans les milieux néoconservateurs de plus en plus influents à Washington, de nombreux idéologues proches de la famille Clinton, de la mouvance interventionniste et de certains faucons républicains défendent l’idée qu’il faut provoquer un changement de régime à Bagdad. L’élection de George W. Bush (le fils) et les attentats du 11 septembre 2001 vont les y aider.

Suspectant des liens entre le régime irakien et les terroristes d’Al-Qaïda qui viennent de frapper les États-Unis, le nouveau président républicain charge le Pentagone et la CIA de monter un dossier à charge contre l’Irak, de même qu’un plan d’opération devant permettre l’invasion de ce pays. George W. Bush est influencé par son entourage néoconservateur (Donald Rumsfeld, Dick Cheney, Paul Wolfowitz) qui souhaite se débarrasser de Saddam Hussein, mais aussi par le Premier ministre britannique Tony Blair qui rêve d’exporter la démocratie au Moyen-Orient. Leur logique de dominos est simpliste : le renversement de Saddam Hussein doit permettre au peuple irakien d’instaurer la démocratie en Irak, ouvrant la voie à la démocratisation d’autres États dans la région. Le président américain souhaite également « terminer le travail » que son père n’a pas achevé dix ans plus tôt.  Contrairement à l’approche pragmatique du père, le fils se laisse entraîner par l’hubris et l’idéologie. Pendant dix-huit mois, en instrumentalisant la commission de surveillance des Nations unies (UNSCOM), les dirigeants américains s’évertuent à prouver l’existence d’un programme irakien d’armes chimiques. En février 2003, face au scepticisme de la communauté internationale, notamment du président français Jacques Chirac qui s’oppose à une intervention militaire en Irak, le président George W. Bush écarte le recours au Conseil de sécurité des Nations unies et met en place une coalition de circonstance regroupant les plus fidèles alliés des États-Unis, dont le Royaume-Uni de Tony Blair. Des commissions d’enquête du Congrès et du Parlement britannique démontreront ensuite le caractère fallacieux des accusations américaines. Les archives, les bandes audio irakiennes capturées par l’armée américaine, de même que les témoignages des acteurs concernés, montreront que Saddam Hussein avait déjà démantelé son programme d’armes chimiques et biologiques, détruit une partie des stocks et évacué en Syrie le restant de ses armes chimiques.

La guerre d’Irak (2003) 

Le 20 mars 2003, après avoir envoyé un ultimatum à Saddam Hussein lui enjoignant de quitter l’Irak avec ses fils, George W. Bush déclenche l’opération « Liberté irakienne » : 6 divisions (dont une britannique) déployées au Koweït, suréquipées en armes ultramodernes et regroupant 160 000 soldats (quatre fois moins qu’en 1991), affrontent 23 divisions irakiennes (dont 6 de la Garde républicaine) qui totalisent théoriquement 500 000 soldats et 2 000 chars. Cette fois, l’armée américaine a changé de stratégie et opté pour une campagne militaire la plus courte, dynamique et percutante possible. La progression des troupes au sol s’effectue en parallèle de raids de forces spéciales et d’une campagne aérienne visant à désorganiser l’armée irakienne. En cinq semaines d’âpres combats, la coalition dirigée par les États-Unis remonte depuis la frontière koweïtienne le long des fleuves du Tigre et de l’Euphrate et s’empare de Bagdad, déboulonnant symboliquement la statue de Saddam Hussein. Elle est appuyée au nord par des peshmergas kurdes qui s’emparent d’Erbil et de Mossoul. Ses pertes sont minimes (192 morts et un millier de blessés) et elle peut se targuer d’une victoire éclatante. En dehors de l’Iran, plus aucun État ne remet en cause la domination des États-Unis sur la région. Côté irakien, les pertes ne seront jamais connues avec précision (entre 10 000 et 45 000 morts).

Le 1er mai 2003, George W. Bush déclare la « mission accomplie » depuis le porte-avions Abraham Lincoln, annonçant la chute du dictateur irakien en fuite et mettant fin unilatéralement aux hostilités, mais pas au conflit. Sans le savoir, le président américain offre sur un plateau d’argent au régime iranien la victoire tant espérée face au tyran irakien. Appliquant les consignes de Saddam Hussein, ce qui reste de l’armée irakienne s’évanouit dans la nature et rejoint la clandestinité car il s’agit pour elle de préparer la lutte contre l’occupation américaine. Le conflit bascule dans l’asymétrie et le harcèlement systématique pour user les vainqueurs et mettre à mal leur détermination à se maintenir dans le pays. La traque contre Saddam Hussein et ses généraux est lancée, tandis que l’Irak devient un protectorat américain administré par Paul Bremer jusqu’en juin 2004. Ce dernier met en place une nouvelle constitution tout en multipliant les faux-pas (pratique de la torture dans la prison d’Abou Ghraib) qui nourrissent la résistance irakienne contre l’occupant américain. Conscients qu’ils ne peuvent affronter l’armée américaine sur le champ de bataille, les résistants irakiens multiplient les attentats et délégitiment chaque mois davantage l’occupation militaire du pays. Saddam Hussein finit par être capturé dans une ferme irakienne en décembre 2003 : il sera jugé, condamné et exécuté trois ans plus tard, tournant une page de l’histoire du Moyen-Orient.

Le dictateur irakien Saddam Hussein lors de son procès en juillet 2004, source wikimedia
Le dictateur irakien Saddam Hussein lors de son procès en juillet 2004, source wikimedia

De la guerre civile irakienne (2004-2013) à la guerre contre l’État islamique (2014-2022)

Le transfert de souveraineté à un gouvernement intérimaire irakien (été 2004) dominé par les chiites, désormais majoritaires dans le pays, ne va pas solutionner le conflit qui bascule dans la guerre civile, provoquant l’exode massif de réfugiés irakiens. En novembre 2004, l’armée américaine, appuyée de supplétifs irakiens, affronte la rébellion lors de la bataille de Falloujah qui fait 1 350 morts du côté des insurgés et soude un peu plus les différentes factions irakiennes contre l’occupant américain. Celles-ci multiplient les attentats, les prises d’otages (y compris de journalistes occidentaux) et les actions de harcèlement, notamment les fameux IED (dispositifs explosifs improvisés) qui font des ravages le long des routes.

Les premières élections libres de 2005 portent le chiite Nouri al-Maliki au pouvoir. Celui-ci s’entend avec une partie des tribus sunnites pour accroître la lutte contre les insurgés qui regroupent principalement des islamistes radicaux alliés à d’anciens fidèles de Saddam Hussein. En 2007, sous l’impulsion du général David Petraeus, l’armée américaine déploie d’importants renforts (20 000 soldats et 140 000 contractors / mercenaires) pour tenter de mettre un terme à la rébellion. Malgré quelques succès, cette nouvelle stratégie très coûteuse ne permet pas aux autorités américaines et irakiennes d’éradiquer les insurgés. Fin 2008, le président George W. Bush ordonne le retrait d’Irak qui sera endossé par le nouveau président Barack Obama. L’occupation américaine d’Irak s’achève en décembre 2011. C’est la fin de la domination américaine totale au Moyen-Orient. L’Iran en profite pour avancer ses pions et affermir son influence en Irak.

L’armée américaine partie, la nouvelle armée irakienne peine à reprendre le contrôle de l’ensemble du territoire. La guerre civile persiste, alimentée par les frustrations nées de la corruption généralisée, de l’autoritarisme du premier ministre Maliki, de la répartition inégale des revenus pétroliers, mais aussi des revendications inspirées par les révoltes arabes de 2011. Les djihadistes de l’État islamique d’Irak – bientôt renommé État islamique au Levant (Daech) – en profitent pour lancer une offensive majeure à l’été 2014 depuis Mossoul et Raqqa en Syrie. Pratiquant la terreur, les razzias et la guerre asymétrique, ils balaient en quelques semaines l’armée irakienne, s’emparent de l’ouest de l’Irak et parviennent aux portes de Bagdad. Paniqué, le gouvernement irakien appelle à l’aide. Les armées occidentales interviennent de nouveau (opération « Inherent Resolve » supervisée par les États-Unis), tout comme l’Iran et la Russie dont les interventions militaires – en Irak pour l’Iran, et en Syrie pour la Russie – vont s’avérer décisives pour contenir, puis battre les djihadistes de Daech.

Les forces coalisées irakiennes, américaines, européennes, iraniennes et kurdes mettront trois ans pour reconquérir les territoires perdus (reprise de Mossoul à l’été 2017). La Turquie en profitera pour occuper militairement le secteur de Dahuk en Irak, lui permettant d’empêcher la liaison entre Kurdes irakiens et Kurdes turcs. En 2022, la situation reste chaotique en Irak et le nouveau gouvernement de Mohamed Chia al-Soudari fait face à d’immenses défis politiques et économiques. Les différentes factions et milices – notamment celles proches de l’Iran – continuent de s’affronter pour l’exercice du pouvoir et la captation des prébendes qui en découlent.

Bibliographie

Bakawan Adel, L’Irak – Un siècle de faillite, Paris, Tallandier, 2021.

Bozo Frédéric, Histoire secrète de la crise irakienne (1991-2003), Paris, Perrin, 2013.

Chaliand Gérard, D’une guerre d’Irak à l’autre (1990-2004), Paris, Métailié, 2004.

Goya Michel, Irak Les armées du chaos, Paris, Economica, 2008.

Razoux Pierre, La guerre Iran-Irak, Paris, Perrin, Tempus, 2017.


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