Jour de victoire à Boufarik (avril 1959)


Victoire de Bernard Glais, Grand prix de Boufarik, 19 avril 1959,  collection privée de Bernard Glais
Victoire de Bernard Glais, Grand prix de Boufarik, 19 avril 1959, collection privée de Bernard Glais

Jour de victoire à Boufarik

Cette photo a été publiée dans le journal L’Écho d’Alger, le 20 avril 1959. On ne connaît pas son auteur mais il est possible qu’elle ait été prise par un photographe sportif du journal. Nous sommes dans le centre ville de la commune de Boufarik, un peu en recul de la ligne d’arrivée. En 1959, cette rue se nommait la rue Duquesne. C’était une grande artère qui traversait d’est en ouest la ville de Boufarik, « capitale de la Mitidja », située à une vingtaine de kilomètres d’Alger. Au fond de la rue Duquesne, se trouvait l’église. Dans le dos du photographe se dressait la statue du sergent Blandan, militaire mort pendant un accrochage lors de la conquête coloniale en 1841. Actuellement, c’est le croisement de la N61 et du boulevard Mokhtari.

Il s’agit d’une photo sportive classique pour l’époque : l’arrivée d’une course cycliste. Le vainqueur, Bernard Glais, lève déjà ses mains en l’air en signe de victoire, juste avant de franchir la ligne d’arrivée. À sa droite, un motard de la gendarmerie le suit; à sa gauche, le motard du Véloclub de Birmandreis (VCB) situé à Alger, accompagné de l’ardoisier dont on voit juste la tête, assis derrière lui.

Ce que l’on ne voit pas sur la photographie, ce sont les autres coureurs cyclistes qui franchiront la ligne d’arrivée une minute plus tard. Norbert Massip, un coureur de la région, arrivera en deuxième position, et après lui, Daniel Fusberti, un soldat du contingent. Le public est venu nombreux, regroupé sur le trottoir pour acclamer les coureurs à leur arrivée. Il est composé majoritairement de Français d’Algérie mais on aperçoit également des Algériens, enfants et adultes.

Bernard Glais remporte ce jour-là, dimanche 19 avril 1959, le Grand Prix de Boufarik. Cette épreuve régionale regroupant des amateurs était organisée par le Véloclub de Birmandreis et les SAS (sections administratives spécialisées) chargées de gagner les populations algériennes à la cause française par la propagande, l’assistance scolaire, sociale et médicale. Les cyclistes devaient parcourir 190 km sous forme de circuit avec trois passages à Boufarik avant l’arrivée finale dans la ville. Le peloton comprenait plusieurs dizaines de régionaux (des Français d’Algérie et des Algériens) ainsi que quelques métropolitains qui étaient tous des militaires du contingent.

C’est une course cycliste comme il y en a des dizaines à l’époque en Algérie, malgré le contexte de la guerre qui dure alors depuis cinq ans.

De nombreuses courses cyclistes malgré la guerre

Ces compétitions sportives organisées avant 1954 continuent tout au long de la guerre. Des courses locales, régionales et des épreuves internationales professionnelles se déroulent encore en 1959-1960, comme les Critériums d’Alger et d’Oran ou le Grand Prix du Département de Bône, avec la participation de vedettes françaises (André Darrigade, Jacques Anquetil et Roger Rivière) et internationales parmi lesquelles Fausto Coppi, Rik Van Steenbergen, Rudi Altig ou Tom Simpson. Pendant les courses, les cyclistes sont accompagnés par des motards de l’armée et de la gendarmerie et la sécurité est renforcée pour les grandes épreuves.

Les courses sur piste, plus simples à organiser et à sécuriser, notamment à Oran, Alger et Bône, figurent également sur le calendrier sportif et attirent les meilleurs cyclistes métropolitains et européens.

Podium de la course sur piste « France-Italie », stade municipal d’Alger, mai 1959,  collection privée d’Hubert Ferrer
Podium de la course sur piste « France-Italie », stade municipal d’Alger, mai 1959, collection privée d’Hubert Ferrer

Cette photo présente le podium d’une course sur piste dite « France-Italie » qui s’est déroulée au stade municipal d’Alger en mai 1959. À gauche figure Hubert Ferrer, né à Alger en 1937. Ce jeune régional du Club Cycliste Bab el Oued (CCBO, inscrit sur son maillot) remportera quelques semaines plus tard une victoire spectaculaire au championnat de France militaire sur route organisé à Alger. Au milieu se tient Jean Bobet, le frère du fameux Louison, triple vainqueur du Tour de France. Entre Ferrer et Bobet se trouve Madame Dupin, la femme du directeur du groupe pétrolier BP Algérie qui est le sponsor de l’épreuve. À droite enfin, la tête tournée, c’est le grand champion italien Fausto Coppi.

Tout au long de la guerre, le cyclisme en Algérie maintient une certaine mixité entre les populations, même si les clubs dits musulmans, tels que le Vélo Sport Musulman (VSM), cessent leurs activités sur l’ordre du FLN. Quelques cyclistes Algériens célèbres arrêtent la compétition, se retrouvent au prison et/ou trouvent la mort. Les jeunes par contre, moins exposés que leurs ainés, évoluent dans des clubs européens et participent à des critériums et courses sur route ou sur piste.

Sid Ali Ouamoun en tête d’une course locale à Alger, 1960,  collection privée de Sid Ali Ouamoun
Sid Ali Ouamoun en tête d’une course locale à Alger, 1960, collection privée de Sid Ali Ouamoun

Parmi eux Sid Ali Ouamoun, né à Alger en 1939 et mécanicien de formation. Il est licencié à l’Association Sportive de l’École de Police d’Alger (ASEPA). Sur cette photographie, on le voit en tête d’une course locale qui s’est déroulée à Alger en 1960. L’année suivante, alors qu’il est recherché par les autorités françaises, Ouamoun prend le maquis et combat dans un groupe de commando de la Wilaya 3. Il reprendra ses activités sportives après l’indépendance.

Bernard Glais, cycliste breton appelé en Algérie

La victoire de Bernard Glais, le 19 avril 1959 à Boufarik, est alors la première qu’il remporte en Algérie. Ce cycliste amateur, champion de France universitaire en 1957, faisait alors ses 28 mois de service militaire en Algérie en tant qu’appelé à la Cavalerie Blindée à Hussein-Dey, dans la banlieue algéroise. Il y était arrivée en septembre 1958 – et resta là jusqu’en décembre 1960. C’est après son arrivée en Algérie que cet homme originaire du Morbihan avait appris qu’il existait des courses cyclistes dans ce pays. Sur toutes ses feuilles que demandait le régiment, il indiquait « mécanicien et coureur cycliste ». Son commandant l’a autorisé à signer à l’Association Sportive de l’École de Police d’Alger (ASEPA). Dans ce club, il y avait 1/3 d’Algériens comme Sid Ali Ouamoun, 1/3 de pieds-noirs et 1/3 de militaires. Bernard Glais s’entraînait une à deux fois par semaine dans les environs d’Alger, avec quelques Algériens et pieds-noirs - rarement seul. Pendant la saison cycliste, il montait moins de gardes et faisait moins de patrouilles mais il se rattrapait ensuite hors saison. Bernard Glais a donc participé à de nombreuses courses comme celle du Grand Prix cycliste du Département de Bône qui frôlait la frontière avec la Tunisie (ligne Morice).

Bernard Glais en tête du peloton au Grand Prix du département de Bône,1960,  collection privée de Bernard Glais
Bernard Glais en tête du peloton au Grand Prix du département de Bône,1960, collection privée de Bernard Glais

Sur cette photo on voit le peloton composé d’Algériens, de Français d’Algérie et de métropolitains traverser un village avec, en tête, Bernard Glais portant le maillot blanc de leader. Le public composé d’Algériens et de soldats est venu nombreux pour regarder les sportifs passer.

Publié au lendemain de la course dans le journal L’Écho d’Alger, la photographie de la victoire du Grand prix de Boufarik d’avril 1959 se trouve aujourd’hui, avec d’autres, dans l’album photo sportif de Bernard Glais. Celui-ci a gardé contact avec plusieurs des coureurs cyclistes qui ont parcouru à cette époque le territoire algérien, un territoire traversé alors par la guerre. Ces photos témoignent d’autres traversées.

Bibliographie

Niek Pas, « Le cyclisme de compétition après 1945, un lieu d’affirmation de l’algérianité? » dans Afifa Bererhi, Naget Khadda, Christian Phéline, et Agnès Spiquel (dir.), Défis démocratiques et affirmation nationale - Algérie, 1900-1962, Alger, Chihab Éditions, 2016, p. 180-196.

Niek Pas, « La valorisation de l’espace algérien à travers le Tour d’Algérie Cycliste de 1929 à nos jours », RM2E - Revue de la Méditerranée édition électronique, tome III.1, 2016, p. 181-198.

Niek Pas, « Vélocemen, hiverneurs et Algériens. Cyclisme et sociabilité sportive en Algérie (1885-1914) », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 136, 2017/4, p 3-19.

Niek Pas, « “L’Oranie Cycliste, une grande famille”. Recycling Identities and Pieds Noirs Communitas 1976-2016 », dans Gemma Blok, Camille Creyghton, Vincent Kuitenbrouwer, Merel Leeman, et Claire Weeda (eds.), Imagining Communities: Time, Space and Material Culture in Community Formation, Amsterdam, AUP, 2018, p 197-214.

Niek Pas, Yvan Gastaut, Pascal Delheye (dir.), Who is Who? Les champions sportifs à l’épreuve des colonisations et des migrations, Rennes, Éditions les Perseides, 2019.


Source URL: https://ehne.fr/encyclopedie/thématiques/guerres-traces-mémoires/« la-guerre-d’algérie -prise-de-vues »/jour-de-victoire-à-boufarik-avril-1959