Paris et nulle part ailleurs

24 artistes étrangers à Paris 1945-1972

Résumé

L’exposition Paris et nulle part ailleurs interroge les migrations à l’aune des œuvres et du parcours de 24 artistes étrangers venus travailler et exposer à Paris de 1945 à 1972.

Venus d’Afrique, d’Amérique, d’Asie et d’Europe, chacun a participé à la vitalité artistique de Paris, à l’émergence de nouvelles visions artistiques que ce soit dans l’abstraction, la figuration ou l’art cinétique.


L’exposition s’articule autour de quatre thèmes qui questionnent les enjeux migratoires :

  • s’exiler : comment se traduit en œuvre le déracinement ? quelle place pour la mémoire du pays d’origine ?
  • mêler sa culture d’origine et celle d’accueil : comment métissage, dialogue, influences réciproques renouvellent les mouvements artistiques parisiens ?
  • réagir à l’étrangeté du monde : dans quelle mesure les œuvres des artistes sont le miroir de la perte des repères ?
  • construire un langage universel : comment créer un art pour tous, au-delà des frontières, des barrières de langue, de culture ou du milieu social ?

Dans chacune des parties, l’exposition propose un focus biographique sur chacun des artistes, explorant leurs trajectoires singulières, les motivations du départ, l’installation, les sociabilités, un quotidien parfois difficile dans une ville cosmopolite mais pas toujours accueillante, devenue leur nouveau foyer. Les œuvres, majoritairement des peintures et sculptures, mais aussi des installations, dialoguent avec de nombreuses images d’archives et des documents audiovisuels, laissant la parole aux artistes.

L’exposition réunit une centaine d’œuvres de : Shafic Ab-boud, Eduardo Arroyo (Espagne), André Cadere (Roumanie), Ahmed Cherkaoui (Maroc), Carlos Cruz-Diez (Venezuela), Dado (Monténégro), Erró (Islande), Tetsumi Kudo (Japon), Wifredo Lam (Cuba), Julio Le Parc (Argentine), Milvia Maglione (Italie), Roberto Matta (Chili), Joan Mitchell (États-Unis), Véra Molnar (Hongrie), Iba N’Diaye (Sénégal), Alicia Penalba (Argentine), Judit Reigl (Hongrie), Antonio Seguí (Argentine), Jesús Rafael Soto (Vénézuela), Daniel Spoerri (Roumanie), Hervé Télémaque (Haïti), Victor Vasarely (Hongrie), Maria Helena Vieira da Silva (Portugal), Zao Wou-Ki (Chine).

Les artistes étrangers, des étrangers comme les autres ?

Au milieu des années 1950, la capitale compte 7 000 à 8 000 artistes étrangers et, parmi les artistes qui exposent à Paris, 60 à 65 % sont étrangers. 15 à 20 % des artistes alors installés dans la capitale sont étrangers. Ils forment une communauté singulière, minoritaire au regard des 1,6 million d’étrangers présents sur l’ensemble du territoire (recensement de 1946), dont une grande majorité travaille comme main-d’œuvre dans l’industrie.

Paris, la « ville Lumières »

La paix retrouvée au sortir du second conflit mondial fait converger celles et ceux qui, parmi les artistes, en conservent l’image traditionnelle de « Ville Lumières » accueillante aux étrangers et centre intellectuel : entre Saint-Germain-des-Prés et le Quartier Latin, se croisent intellectuels, éditeurs, libraires, peintres et musiciens, notamment de jazz.

Le prestige de la première École de Paris – expression qui désigne au début du xxe siècle les artistes venus de l’étranger s’installer à Paris pour participer à l’effervescence artistique de la ville, comme Pablo Picasso, Chaïm Soutine, Ossip Zadkine ou encore Tsugouharu Foujita – et le rôle joué par la capitale dans l’histoire des avant-gardes au début du siècle expliquent aussi pour partie l’attractivité de la capitale. Les structures qui animent d’ordinaire sa vie artistique fonctionnent à nouveau, et ce dès la fin du conflit. Ainsi, les maîtres tels que Chagall, Zadkine, Giacometti de retour en France, réouvrent leurs ateliers. Les galeries et les grands établissements culturels reprennent leurs activités d’exposition ou d’enseignement.

Paris, pôle de formation et de légitimation des artistes

Beaucoup d’artistes viennent ainsi à Paris pour compléter leur formation, dans les nombreuses écoles ou académies, publiques ou privées, que la ville propose. L’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris attire par exemple de nombreux étrangers – elle octroie en outre des bourses pour financer des études – ainsi que l’académie de la Grande Chaumière de Montparnasse où les peintres Fernand Léger et André Lhote ont des ateliers.

Pour se faire connaître, les artistes étrangers participent à des salons – comme par exemple le Salon des réalités nouvelles qui, dès 1946, présente exclusivement des œuvres abstraites – et des biennales – grands rendez-vous de l’art international organisés tous les deux ans –, puis exposent dans des galeries.

On peut citer l’exemple de la galeriste Denise René. Elle fait en effet le choix alors très novateur d’une grande ouverture vers l’international, en présentant dans sa galerie de la rue de la Boétie, Paris 7e, de nombreux artistes venus de l’étranger, principalement latino-américains (le vénézuélien Carlos Cruz-Diez, un des principaux représentants de l’art cinétique), scandinaves, d’Europe de l’Est – elle organise en 1944 la première exposition Vasalery ; en 1957, une exposition des œuvres de Malevitch, peintre ukrainien de l’abstraction géométrique – ou d’Extrême-Orient. Elle est de son vivant l’une des galeristes françaises les plus connues dans le monde.

La Nouvelle École de Paris

Après 1945, de nombreux artistes étrangers participent au mouvement de l’abstraction et à la richesse de la création à Paris, la « Nouvelle École de Paris », en amenant avec eux les acquis esthétiques et traditions de leur pays d’origine.

On peut citer parmi eux l’artiste portugaise Maria Helena Vieira da Silva. Après sa réinstallation à Paris après la guerre (elle y avait migré dans l’entre-deux-guerres, puis s’était réfugiée au Brésil), elle réalise « Paris, la nuit », toile abstraite qui, par ses couleurs, du bleu foncé parsemé de petits carrés dorés, rappelle la lumière des fenêtres qui éclairent la nuit parisienne. Elle parvient ainsi à transmettre son impression de la « ville des lumières » qu’elle a retrouvée après huit ans d’exil. Elle devient peu à peu l’une des artistes les plus reconnues de son temps, en France, au Portugal et dans toute l’Europe, ce qui reste, à cette époque, exceptionnel pour une femme peintre.

Ou encore le plasticien hongrois Victor Vasarely, précurseur de l’art cinétique, qui intègre le mouvement dans l’œuvre d’art, par des procédés mécaniques ou bien en générant l’illusion d’un mouvement ou d’un relief dans une œuvre d’art immobile (peinture ou sculpture).

Enfin, d’autres artistes se détournent des circuits institutionnels pour exposer dans la rue : le groupe G.R.A.V. – Groupe de recherche d’art visuel animé en particulier par l’artiste argentin Julio Le Parc –, présentent leurs créations souvent sous forme de labyrinthes, de parcours géométriques que les visiteurs sont invités à traverser, à toucher, à expérimenter. Ils veulent rendre l’art accessible à tous, au-delà des différences de langue ou de culture. Ils réalisent leur premier Labyrinthe en 1963, à l’occasion de la première Biennale de Paris. Ils s’inscrivent dans un contexte des années 1960 de revendications sociales contre l’ordre établi, mais aussi de redéfinition de ce qu’est l’art.

La scène artistique et intellectuelle du Paris des années 1950 est particulièrement dynamique mais, dès la fin de la décennie, les déplacements des artistes dans d’autres lieux en Europe (Bruxelles, Amsterdam, Copenhague, Düsseldorf), mais aussi hors du vieux continent, font de Paris et de New York des centres parmi d’autres.

Cet accroissement des circulations nous montrent à quel point les trajectoires artistiques entrent en résonance avec le phénomène de mondialisation et que, comme le rappelle Béatrice Joyeux-Prunel, « l’art, pour se renouveler, ne peut s’enraciner ».

Bibliographie

Artistes étrangers à Paris, numéro spécial de la revue Hommes & Migrations, n° 1338, juillet-septembre 2022.

Ameline, Jean-Paul, Paris et nulle part ailleurs : 24 artistes étrangers à Paris, 1945-1972, catalogue d’exposition, Paris, Seuil/Musée national de l’histoire de l’immigration, 2022.

Site/Parcours de l’exposition.


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