Les actions du CICR auprès des réfugiés algériens

Aïn Saïdia (Tunisie), décembre 1957


Germain Colladon prenant en photo une famille de réfugies algériens, Aïn Saïdia (Tunisie), décembre 1957 © CICR, Germain Colladon, V-P-TN-N-00001-16
Germain Colladon prenant en photo une famille de réfugies algériens, Aïn Saïdia (Tunisie), décembre 1957 © CICR, Germain Colladon, V-P-TN-N-00001-16

Documenter la situation des réfugiés algériens en Tunisie

La scène représentée sur la photographie se passe à Aïn Saïdia, dans la région de Kasserine située en Tunisie. Nous sommes en décembre 1957. Ce jour-là, des délégués du CICR (Comité international de la Croix-Rouge) conduisent une mission de distribution de vêtements aux réfugiés algériens dans cette région et prennent une vingtaine de clichés représentant principalement des femmes et des enfants en guenilles, marchant pieds nus. Toutes les photographies de cette série archivées aujourd’hui à la photothèque du CICR, à son siège à Genève, sont saisissantes.

Les délégués constatent et souhaitent rendre compte de l’urgence des besoins nécessaires à la survie de cette population démunie qui est frappée par l’exil. Si les deux enfants fixent l’appareil photographique qui les intrigue, leur mère, vraisemblablement intimidée, baisse les yeux devant l’étranger qui les immortalise. Accroupi, afin de mieux capter le regard de cette mère de famille et celui de ses enfants, cet homme au premier plan effectue sa prise de vue en contre plongée.

Selon des informations inscrites sur la fiche qui l’accompagne, cette photographie aurait été prise en décembre 1957 par Germain Colladon. Délégué du CICR, cet homme est le descendant d’Henri Dunant, co-fondateur en 1863 du “Comité international de secours aux militaires blessés” qui prendra le nom de CICR en 1875. Or, au regard de nombreuses photographies présentes à la photothèque du CICR, le personnage accroupi prenant un cliché de la mère et de ses deux enfants est justement Germain Colladon. C’est très vraisemblablement son collègue Georges Hoffmann, également délégué de la mission du CICR, qui a pris debout la scène pour capter une vue d’ensemble et ainsi rendre compte de l’action du CICR comme de la situation des réfugiés.

Au premier plan donc, Germain Colladon photographiant cette mère et ses enfants. On aperçoit au second plan un groupe de femmes et d’enfants assis par terre attendant la distribution de vêtements apportés par les délégués du CICR. En arrière-plan, un groupe d’hommes se tient debout et semble attendre la fin de la séance de photos. À droite, au fonds, l’arrière d’une voiture, une traction noire, permettant aux délégués du CICR de la « délégation d’Aïn Draham » intervenant dans la région du Jendouba, de se déplacer dans différentes régions du territoire tunisien pour apporter de l’aide aux réfugiés algériens.

Ce genre de missions, Germain Colladon et Georges Hoffmann l’effectuent à plusieurs reprises entre 1957 et 1958, en coopération avec des délégués du Croissant-Rouge tunisien.

Un délégué du Croissant-Rouge tunisien au milieu de réfugiés algériens lors de la mission du CICR, Aïn Saïdia (Tunisie), décembre 1957,  © CICR, Germain Colladon, V-P-TN-N-00001-15
Un délégué du Croissant-Rouge tunisien au milieu de réfugiés algériens lors de la mission du CICR, Aïn Saïdia (Tunisie), décembre 1957, © CICR, Germain Colladon, V-P-TN-N-00001-15

Ensemble, ils distribuent des vêtements, couvertures, aliments, savons et médicaments pour venir en aide à des populations exilées qui vivent dans un dénuement total depuis alors longtemps.

Des réfugiés algériens photographiés lors de la mission du CICR, Aïn Saïdia (Tunisie), décembre 1957,  © CICR, Germain Colladon, V-P-TN-N-00001-14
Des réfugiés algériens photographiés lors de la mission du CICR, Aïn Saïdia (Tunisie), décembre 1957, © CICR, Germain Colladon, V-P-TN-N-00001-14

Les réfugiés : une dimension de la guerre

En fait, dès le début de la guerre en 1954, des civils algériens fuient les violences inhérentes à celle-ci en se réfugiant au Maroc ou en Tunisie. Ce mouvement s’accélère lorsque les deux pays frontaliers accèdent à leur indépendance en mars 1956, puis se ralentit avec la construction des barrages électrifiés par l’armée française afin d’isoler l’Armée de libération nationale de ses états-majors basés dans les pays voisins. Le gouvernement français accuse le FLN d’encourager cet exode pour des raisons stratégiques : attirer l’attention des Nations unies sur le drame des exilés est une façon pour eux d’internationaliser le conflit. À l’inverse, les indépendantistes présentent les civils algériens comme des réfugiés fuyant la violence de l’armée française.

Combien étaient-ils ? Entre 10 000 et 80 000 selon les autorités françaises ; entre 200 000 et 500 000 selon le FLN.

Arrivés dans les pays voisins, les réfugiés sont contraints de subsister dans des conditions matérielles le plus souvent misérables, vivant dans des tentes en peau de chèvre sous un amas de matériaux de récupération (cartons, bois, chiffons etc.). Dans le meilleur des cas, ils s’abritent entassées dans des tentes distribuées par le Haut-Commissariat aux Réfugiés à partir de l’année 1958. La plupart compte sur la solidarité des peuples frontaliers considérés comme « frères », mais également sur l’aide des gouvernements d’accueil. Les délégués du CICR découvrent de manière fortuite leur situation.

L’intervention du CICR au Maroc et en Tunisie

C’est en effet à l’occasion de visites au Maroc en janvier 1957 que des délégués du CICR, cherchant des informations sur des soldats français qui seraient prisonniers de l’ALN, découvrent les conditions de vie des réfugiés algériens nécessitant une aide humanitaire internationale. À partir de là, le CICR œuvre pour leur venir en aide en effectuant régulièrement des missions de secours au Maroc et en Tunisie.

Suite à ces diverses missions, les délégués du CICR comme Germain Colladon et Georges Hoffmann vont rapporter avec eux, à Genève, près de 600 photos souvent prises sur le vif, et les transmettre à la direction de leur institution. L’objectif principal de ces clichés est d’une part de témoigner de la situation dramatique des populations civiles sur différents territoires et, d’autre part, de sensibiliser les donateurs que sollicite le CICR pour financer ses actions sur le terrain. Accessibles aujourd’hui à la photothèque du CICR à Genève, ces photographies mettent en lumière les conséquences de cette guerre sur des civils poussés à l’exil en dehors du territoire algérien. La photographie prise par Georges Hoffmann témoigne, elle, de cette campagne de sensibilisation qui représente l’un des aspects de l’internationalisation de la guerre d’Algérie survenant à cette période.

Bibliographie

Besnaci-Lancou Fatima, Réfugiés et détenus de la guerre d’Algérie. Mémoires photographiques et historiques, préface de Denis Peschanski, Ivry-sur-Seine, L’Atelier, 2022.

Besnaci-Lancou Fatima, Prisons et camps d’internement en Algérie. Les missions du CICR dans la guerre d’indépendance 1955/1962, préface de Aïssa Kadri, Vulaines-sur-Seine, Le Croquant, 2018.

Harbi Mohammed, Une vie debout. Mémoires politiques. Tome 1 : 1945-1962, Paris, La Découverte, 2001.

Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, Les réfugiés dans le monde. Cinquante ans d’action humanitaire, Paris, Autrement, 2000.

« Les enfants d’Algérie, récits et dessins », Paris, François Maspero, coll. « Voix », 1962.


Source URL: https://ehne.fr/encyclopedie/thématiques/guerres-traces-mémoires/« la-guerre-d’algérie -prise-de-vues »/les-actions-du-cicr-auprès-des-réfugiés-algériens