Les expositions universelles de 1889 et 1900

Résumé

Nées en Angleterre en 1851, les expositions universelles deviennent un enjeu international dans la seconde moitié du xixe siècle. Elles sont un lieu de compétition et d’émulation entre les industries et les arts de chaque pays qui y participent et contribuent au rayonnement des nations. Dans le même temps, elles incarnent un idéal de progrès et de dépassement des nationalismes par leur dimension universaliste. Paris, qui accueille le plus grand nombre d’expositions au cours de la période (en particulier celles de 1889 et 1900), en profite pour repenser son urbanisme et pour développer son attractivité auprès des touristes nationaux et internationaux, malgré les réticences qui s’expriment sur le coût de ces événements.

La foule traverse le pont Alexandre III en direction de l’Hôtel des Invalides (au fond) lors de l’Exposition universelle de 1900
La foule traverse le pont Alexandre III en direction de l’Hôtel des Invalides (au fond) lors de l’Exposition universelle de 1900 (image sur plaque de verre)
Affiche de l'Exposition universelle de Paris, M.S. (dessinateur) Imprimerie A. Maulde et Cie, 1889, Paris, Musée Carnavalet.
Affiche de l'Exposition universelle de Paris, M.S. (dessinateur) Imprimerie A. Maulde et Cie, 1889, Paris, Musée Carnavalet.

Mise au point : Paris, première ville organisatrice des expositions universelles dans la seconde moitié du XIXe siècle

L’idée de rassembler dans une même ville des représentants de l’industrie, des arts et des techniques des différents pays du monde s’est progressivement imposée à partir des années 1850, au point d’être considérée par Flaubert dans son Dictionnaire des idées reçue comme un grand « sujet du délire du xixe siècle ». Les premières expositions industrielles ont vu le jour en France dès le Directoire (1795-1799), mais c’est avec la grande exposition (Great exhibition) de Londres en 1851 qu’elles acquièrent les traits qui les feront qualifier rétrospectivement d’« universelles » : la volonté d’offrir une vitrine aux industries de « toutes les nations », mais aussi des bâtiments construits avec toutes les possibilités nouvelles offertes par la technologie la plus récente. C’est ainsi que voit le jour en 1851 en plein Hyde Park « Crystal Palace » (détruit en 1936), aux structures en fonte et aux habillages de verre.

Si Londres ouvre le bal des expositions universelles, Paris prend le relais avec la seconde exposition et devient la ville qui organise le plus grand nombre d’expositions au cours du second xixe siècle : 1855, 1867, 1878, 1889 et 1900. Ces expositions sont donc le lieu d’une véritable émulation entre les villes qui se parent à l’occasion des attraits les plus modernes (urbanisme, éclairage public, normes dictées par les hygiénistes et les découvertes scientifiques, réseaux d’assainissement, transports modernes…). L’exposition parisienne est l’occasion de montrer au monde une ville en pleine transformation qui a réinvesti le Champ de mars en 1867 et y a bâti la Tour Eiffel en 1889 avant de construire le Grand Palais entre les Champs Elysées et la Seine en 1900. Les expositions sont ainsi une vitrine du savoir-faire des ingénieurs et ouvriers français, de l’excellence du pays comme de la puissance du régime républicain qui lave ainsi le déshonneur de la défaite de 1870. Mais elles sont aussi un outil diplomatique comme l’illustre l’inauguration du Pont Alexandre III à l’ouverture de l’Exposition de 1900 qui offre l’occasion aux dirigeants français de célébrer l’alliance franco-russe scellée huit ans plus tôt.

Il faut prendre au sérieux l’universalisme proclamé par les organisateurs des expositions, bercés d’une authentique foi dans la capacité du progrès technique à dépasser les conflits. L’idée est aussi qu’en déplaçant la compétition sur le terrain de la splendeur des pavillons nationaux ou de la sophistication des technologies, on peut prévenir les conflits militaires. Pour cette raison, les expositions s’accompagnent souvent d’événements culturels ou sportifs fondés sur la même logique. L’Exposition de 1900 est ainsi l’occasion d’organiser à Paris les seconds Jeux olympiques de l’ère moderne ou encore le deuxième Congrès international des mathématiciens.

Document : Discours prononcé à la Chambre le 14 mars 1896 par Alfred Picard, commissaire général de l'Exposition universelle de 1900, au sujet de l’exposition de 1889.

Vous vous rappelez qu'à l'heure même où l'exposition de 1889 fermait ses portes en pleine apothéose, exposants et visiteurs se donnaient rendez-vous à Paris en 1900.

Encore sous l'impression du spectacle imposant dont ils venaient d'être les acteurs ou les témoins, ils se demandaient déjà par quelles merveilles le génie de la France et celui de ses hôtes pourraient sinon faire oublier l'éclat des fêtes du centenaire, du moins inaugurer dignement le vingtième siècle.

C'est qu'en effet, on vous le rappelait hier l'année 1900 ne coïncidera pas seulement avec le terme du cycle de onze ans consacré par une longue tradition pour la périodicité de nos expositions universelles, elle coïncidera aussi avec la fin d'un siècle de prodigieux essor scientifique et économique, en même temps qu'elle inaugurera une ère nouvelle peut-être plus féconde encore (Applaudissements). Dans son remarquable rapport à l'appui du décret du 13 juillet 1892, le ministre du commerce et de l'industrie rappelait les avantages attachés aux expositions universelles. Je n'y reviens pas. Mais il est certain qu'à la vue de tant de productions remarquables, de tant de chefs-d'œuvre dus au génie humain, le travailleur se sent réconforté ; son courage, sa foi dans l'avenir se raniment ; il comprend mieux la solidarité qui unit les générations successives ; de vastes horizons s'ouvrent devant lui ; il reprend d'un pas alerte sa route vers le progrès. (Très bien ! très bien !) Si tels sont les bienfaits ordinaires des expositions universelles, ne peut-on en attendre de plus éclatants encore, quand les expositions se trouvent au point de passage d'une période centennale à une autre, qu’elles fournissent ainsi l'occasion d’une revue séculaire ? La date de 1900 était déjà acceptée par l'opinion publique, lorsque surgirent à l'étranger des propositions tendant à s’emparer de cette date et à reporter dans une autre capitale la manifestation qui était apparue comme notre apanage exclusif. Il était impossible que la France se laissât ainsi déposséder, et qu'après avoir ouvert le siècle par les premières expositions nationales elle renonçât à le clore par une lutte pacifique et par une victoire (Très bien ! très bien !)

[…] Les étrangers ont vu nos forces entièrement reconstituées, moins de vingt ans après l'épouvantable désastre de 1870. Partout et à toute heure, la nation s'est montrée calme, laborieuse, confiante dans sa puissance, pleine de foi dans son avenir, admirable d'hospitalière urbanité. Alors que des adversaires de l'extérieur nous représentaient comme indisciplinés et ingouvernables, nos hôtes n'ont pas surpris la moindre trace de désordre. Ils ont assisté au spectacle d'un peuple étroitement groupé autour de son gouvernement, autour d'un chef d'Etat vers lequel allaient des sentiments unanimes d’affection et de respect (Applaudissements).

En quittant la France, nos hôtes ont emporté au fond de leur cœur un peu d'amour pour cette bonne terre gauloise sur laquelle ils venaient de passer quelques jours pleins d'émerveillement et d'éblouissement. (Très bien ! très bien !) Leurs impressions se sont transmises de proche en proche. Notre isolement temporaire a bientôt cessé et la France a repris son ancienne autorité dans le concert européen. Voilà le bilan de 1889 (Applaudissements).

Discours prononcé à la Chambre le 14 mars 1896 par Alfred Picard, commissaire général de l'Exposition universelle de 1900 in Journal officiel de la République française. Débats parlementaires. Chambre des députés : compte rendu in-extenso, 15 mars 1896, p. 490-492.

Éclairages : Alfred Picard justifie l’organisation de l’Exposition universelle de 1900

Au cours de la séance de la Chambre des députés du 14 mars 1896, Alfred Picard dresse le bilan de l’exposition de 1889 – dont il avait également été rapporteur général – pour convaincre les députés de voter le projet de loi ouvrant le financement de la future exposition de 1900. Alfred Picard incarne cette nouvelle élite républicaine qui émerge après l’instauration de la Troisième République : ingénieur polytechnicien, conseiller d’État, républicain de conviction mais pas homme de parti, il cumule les fonctions techniques sans jamais devenir député et consacre sa carrière à la promotion des chemins de fer, des ponts et chaussées et de l’industrie. Malgré le succès peu contesté de l’exposition de 1889, qui a vu l’inauguration de la Tour Eiffel, le commissaire général se heurte en effet à la résistance inattendue d’un grand nombre de parlementaires.

C’est pourquoi, malgré son ton parfois lyrique, le discours de Picard a d’abord une tonalité défensive pour justifier l’organisation de l’Exposition universelle de 1900. Il a dû faire face aux réticences de nombreux membres de la commission chargée d’examiner le projet, lesquels reprochent au gouvernement d’avoir lancé les invitations avant de consulter le Parlement, cœur des institutions politiques de la Troisième République. Les députés provinciaux s’agacent d’une entreprise coûteuse pour la nation dont seule la capitale bénéficiera. Quant aux parlementaires les plus à droite, ils s’indignent d’une opération qui, selon eux, est une opération de promotion du régime républicain... D’autres, enfin, s’inquiètent de l’ampleur des travaux à entreprendre à Paris pour accueillir une foule toujours plus nombreuse au fil des expositions.

Picard s’appuie sur le succès éclatant de l’exposition de 1889. Il présente cette date comme un moment de renaissance française après un cycle d’affaiblissement culminant avec l’humiliante défaite de 1870 et l’isolement diplomatique de la France qui avait suivi, bientôt rompu par le rapprochement avec la Russie en 1891 (« Les étrangers ont vu nos forces entièrement reconstituées, moins de vingt ans après l'épouvantable désastre de 1870 »).  Ainsi peut-il résumer l’enjeu de l’exposition de 1889 sous les applaudissements : « la France a repris son ancienne autorité dans le concert européen ».

De façon plus générale, l’enjeu du discours est de ranimer la flamme patriotique qui avait fait de 1889 un succès à peu près unanime : il souligne bien sûr la dimension symbolique de l’organisation à Paris d’une exposition qui sera celle de l’entrée dans le siècle nouveau. Si Dominique Kalifa considère que l’Exposition universelle de 1900 « se pensa comme un bilan rétrospectif du xixe siècle », elle est aussi un moment d’entrée symbolique dans le xxe siècle où la France entend reprendre sa place. En rappelant les propositions de villes concurrentes pour s’« emparer de cette date », Picard justifie l’urgence des décisions – et le contournement du Parlement.

Le rapporteur montre enfin que l’Exposition bénéficiera à tous les Français : « il est certain qu'à la vue de tant de productions remarquables, de tant de chefs-d'œuvre dus au génie humain, le travailleur se sent réconforté ; son courage, sa foi dans l'avenir se raniment ; il comprend mieux la solidarité qui unit les générations successives ». En effet, l’Exposition est pensée pour recevoir plusieurs dizaines de millions de visiteurs, attirés par le spectacle des inventions techniques, afin de diffuser dans la population l’image d’une France guidant l’humanité vers le progrès (Ill. 1, La foule traversant le pont Alexandre III). Afin de faciliter la venue d’un maximum de Français, les réseaux ferroviaires ont été renforcés et des tarifs attractifs proposés (Ill. 2, Affiche de l'Exposition universelle de Paris).

Le texte est empreint d’une croyance dans le progrès ou d’une « foi dans l’avenir » typique d’une époque où les avancées technologiques et industrielles semblent promettre un xxe siècle de prospérité. Il y a, certes, dans la mobilisation de cet imaginaire optimiste une volonté de créer du consensus dans un Parlement profondément divisé par les crises de la République, mais également un signe des temps révélateur d’un état d’esprit de la Belle époque.

Bibliographie

Chalet-Bailhache Isabelle (dir.), Paris et ses expositions universelles : architectures (1855-1937), Paris, Éditions du Patrimoine-Centre des monuments nationaux, 2009.

Demeulenaere-Douyere Christiane et Hilaire-Perez Liliane (dir.), Les expositions universelles : les identités au défi de la modernité, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014.

Rasmussen Anne, « Les Expositions » in Duclert Vincent et Prochasson Christophe (dir.), Dictionnaire critique de la République, Paris, Flammarion, 2002, p. 858-863.

Schroeder-Gudehus Brigitte et Rasmussen Anne, Les fastes du progrès. Le guide des Expositions universelles 1851-1992, Paris, Flammarion, 1992.

Catalogue d’exposition de la BNF, « Les expositions universelles à Paris 1867-1900 »


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