Quand l’Italie négociait sa place à l’Exposition universelle de 1900

Résumé

Les expositions universelles doivent présenter la diversité culturelle et artistique des nations. La question de l’espace dévolu à chaque pays y est donc un enjeu diplomatique éminent. Pour l’Italie, nation définitivement unifiée en 1871 en quête de reconnaissance internationale, obtenir un maximum d’espace au sein de l’exposition parisienne de 1900 est donc un moyen d’affirmer ses positions dans une Europe en pleine recomposition. L’enjeu est d’autant plus fort que l’exposition a lieu en France, un pays avec lequel l’Italie entretient des relations compliquées par deux décennies de tensions.

Ill. 1. Photographie du Pavillon d’Italie à l’Exposition universelle de Paris de 1900, auteur inconnu, Petit Palais,
Ill. 1. Photographie du Pavillon d’Italie à l’Exposition universelle de Paris de 1900, auteur inconnu, Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris
Ill. 2. Plan général de l’Exposition universelle de Paris, Paris, Imprimerie du Plan de l'exposition, 1900,
Ill. 2. Plan général de l’Exposition universelle de Paris, Paris, Imprimerie du Plan de l'exposition, 1900, Gallica. Le pavillon de l’Italie se trouve sous la flèche rouge.
Ill 3. Archives Nationales, archives du commissariat général de l’Exposition universelle de Paris de 1900, F12 4248. Photographie prise aux Archives nationales par Antonin Durand.
Ill 3. Archives Nationales, archives du commissariat général de l’Exposition universelle de Paris de 1900, F12 4248. Photographie prise aux Archives nationales par Antonin Durand.

Contexte : l’Exposition universelle de 1900, un enjeu pour le rapprochement diplomatique entre la France et l’Italie

Les archives du Commissariat général de l’Exposition universelle de Paris de 1900 sont conservées aux Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine, au sein de la documentation du ministère du Commerce et de l’industrie, en charge de l’organisation des expositions. On y trouve de nombreux documents préparatoires tels que les budgets prévisionnels et les projets architecturaux des différents pavillons français ou étrangers, des plans de circulation du public dans les allées. Le dossier comprend également des échanges avec les différents diplomates en poste à Paris qui essayent d’obtenir une place de choix pour le pavillon de leur pays.

La construction des pavillons des différentes puissances étrangères participantes est laissée à leur libre initiative, la commission préparatoire se contentant de valider leur conformité avec le plan général de l’exposition et avec les normes de sécurité. L’Italie bénéficie ainsi d’un emplacement prestigieux, au début de l’allée des nations qui longe la Seine depuis le Pont des Invalides jusqu’au Champ de mars (Ill.2, plan de l’Exposition universelle). Outre cet espace purement national des pavillons, les pays exposent dans des espaces communs consacrés, par thématique, aux questions industrielles, scientifiques, éducatives... Le Commissariat général de l’exposition est donc assailli de demandes émanant de tous les pays représentés pour augmenter l’espace qui leur est dévolu. La puissance invitante joue un rôle prépondérant puisque c’est à elle que reviennent in fine les arbitrages territoriaux.

Le cas de l’Italie est intéressant à plus d’un titre. En 1900, le pays n’a que quatre décennies d’existence – il a été formellement unifié en 1861 – et il aspire à la reconnaissance internationale. La victoire contre l’Autriche au cours des guerres d’indépendance de 1859 lui a certes permis d’acquérir une place dans le concert européen, mais les promoteurs de l’unification nationale entendent poursuivre l’entreprise patriotique en s’assurant du rayonnement culturel et scientifique de leur pays.

Dans le même temps, les relations entre la France et l’Italie au tournant du siècle sont à un moment d’inflexion : si la France de Napoléon III s’est voulue marraine de l’unification italienne, les concurrences coloniales en particulier en Tunisie ont poussé les Italiens à se rapprocher de l’Allemagne et de l’Autriche dans le cadre de la Triple Alliance. À ce titre, Francesco Crispi, plusieurs fois ministre et Président du Conseil en Italie dans la dernière décennie du xixe siècle a particulièrement mauvaise presse en France. Le tournant du siècle marque toutefois un réchauffement diplomatique entre les deux pays : Giovanni Giolitti a succédé à Crispi et il mène une politique de rapprochement avec la France qui se concrétise entre 1900 et 1902. Malgré sa portée essentiellement symbolique, la négociation autour de l’espace dédié à l’Italie dans l’Exposition universelle de 1900 est donc révélatrice à la fois de la nouvelle place que l’Italie entend occuper dans le monde et de l’évolution de ses relations bilatérales avec la France.

Archive : lettre de l’Ambassadeur d’Italie en France au Commissaire général de l’Exposition universelle de Paris de 1900

Le Gouvernement Italien a appris avec une douloureuse surprise la limitation de l’espace destiné à la Section de l’Italie dans le groupe IIème. La demande qu’il avait présentée de 2500 m.c. [mètres carrés] de surface, avec les superficies murales correspondantes ne saurait être réduite sans compromettre sérieusement plusieurs des buts que le concours des artistes italiens peut justement se proposer d’atteindre. L’exposition de quelques œuvres d’un petit nombre des artistes que l’Italie possède aussi bien chez elle que dans la plupart des villes importantes de l’étranger, ne pourrait suffire pour donner satisfaction à l’amour propre national et ne fournirait qu’une démonstration imparfaite de la place que l’Art Italien occupe encore dans le monde.

Le Gouvernement du roi hésite à prendre la responsabilité de se présenter dans le groupe IIème aux conditions qui lui sont faites. Il insiste sur sa première demande. Il a appris que l’Autriche, la Hongrie, la Suisse et la Suède ont vu accueillir favorablement – tout au moins dans une certaine mesure – les observations qu’elles ont présentées au sujet de la répartition des espaces dans le palais du groupe IIème. Il se flatte conséquemment de l’espoir que les motifs qui l’obligent à réserver ses décisions définitives seront pris en bienveillante considération par l’administration compétente de l’Exposition de 1900.

Archives Nationales, Archives du commissariat général de l’Exposition universelle de Paris de 1900, F12 4248. Photographie prise aux Archives nationales par Antonin Durand.

Cette lettre de l’ambassadeur d’Italie au commissariat général de l’Exposition universelle de 1900 est assez représentative des échanges que le commissariat entretient avec les différentes représentations diplomatiques en France : elle témoigne de l’intensité de l’activité diplomatique qui précède un tel événement et de l’implication des plus hautes autorités des ambassades dans des négociations qui relèvent de l’honneur national : il s’agit en effet pour l’essentiel de négocier quelques mètres carrés dans les espaces d’exposition – ici dans le deuxième groupe consacré aux Beaux-arts situé en bordure de l’esplanade des Invalides (Ill.2, plan de l’Exposition universelle de 1900). Le dossier déposé aux archives permet de reconstituer les étapes de la négociation : au cours d’une première réunion, le commissariat a proposé un emplacement et une superficie pour la construction du pavillon. Elle est jugée insuffisante par les Italiens mais les contraintes de sécurité ont obligé les Français à réduire les espaces d’exposition.

Le ton employé par l’ambassadeur italien qui parle de « douloureuse surprise » montre l’importance des enjeux symboliques dans la compétition que se livrent les nations européennes. L’ambassadeur fait ainsi de la place laissée à l’Italie un enjeu de « satisfaction [de] l’amour-propre national » ; surtout il se plaint que la réduction de l’espace dédié à l’Italie ne « fourni[sse] qu’une démonstration imparfaite de la place que l’Art italien occupe encore dans le monde ».

En effet, l’ambassadeur d’Italie souhaite disposer d’un espace suffisant pour présenter à sa juste mesure la richesse du patrimoine artistique italien. Enfin, la comparaison avec le sort réservé à d’autres pays européens qui ont obtenu gain de cause à l’exposition, en particulier l’Autriche et la Hongrie, rappelle discrètement à la France l’alliance nouée entre les deux pays latins pour affaiblir la monarchie austro-hongroise au cours des guerres d’indépendance italiennes (1848, 1859 et 1866).

Ainsi, les rivalités entre États se rejouent dans l’agencement de l’Exposition, la question de l’espace laissé à chaque nation devenant un enjeu de plus en plus vif à mesure que les expositions prennent de l’ampleur. D’un côté le nombre croissant de visiteurs contraint à élargir les allées, à multiplier les issues de secours et donc à réduire les espaces d’exposition, de l’autre le prestige grandissant des expositions conduit de nouveaux pays à y demander leur place. C’est ainsi que le Palais de l’industrie, construit entre les Champs-Elysées et la Seine pour l’Exposition de 1855, réutilisé lors des expositions de 1878 et 1889, se révèle à la fois trop exigu et pas assez fonctionnel pour celle de 1900 : il est scindé en deux par une nouvelle avenue prolongeant le pont Alexandre III, tandis que le Grand Palais accroît son emprise sur le jardin de Paris pour gagner de l’espace. L’histoire des plans des expositions universelles et des négociations pour leur élaboration est aussi une histoire de l’état des forces diplomatiques.

Bibliographie

Bertrand Gilles, Fretigne Jean-Yves, Giacone Alessandro, La France et l'Italie. Histoire de deux nations sœurs de 1660 à nos jours, Paris, Armand Colin, 2016.

Milza Pierre, Français et Italiens à la fin du xixe siècle. Aux origines du rapprochement franco-italien de 1900-1902, Rome, École française de Rome, 1981.

Pellegrino Anna, « L’Italia alle esposizioni universali del XIX secolo: identità nazionale e strategie comunicative », Diacronie, n° 18, 2, 2014. URL: http://journals.openedition.org/diacronie/1171


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