Un annuaire de la cour sous le règne de Louis XIV : L’Etat de la France (1682)

Résumé

Au milieu du xviie siècle, l’augmentation du nombre de courtisans nécessite une organisation de plus en plus complexe de la cour. La publication régulière de l’Etat de la France à partir des années 1650 offre à un public qui dépasse les seuls courtisans une sorte d’annuaire permettant de comprendre le fonctionnement de la cour et de connaître les noms des nobles distingués par les charges les plus prestigieuses. Parmi les charges les plus recherchées, celle de « premier maître d’hôtel » chargé de la « Bouche du roi » (ravitaillement et cuisine) est longuement décrite dans l’édition 1682 de l’Etat de la France.

Ill. 1. L’Etat de la France , Tome 1(1682), Château de Versailles, centre de recherche
Ill. 1. L’Etat de la France , Tome 1(1682), Château de Versailles, centre de recherche, disponible en ligne.

Contexte : administrer la cour du Roi Soleil au tournant du XVIIe siècle.

Au milieu du xviie siècle, la cour de Louis XIV connaît une forme de bureaucratisation qui n’est pas sans évoquer le fonctionnement des services administratifs de l’État moderne : croissance d’effectifs de courtisans et de serviteurs devenus pléthoriques, création de services spécifiques comme les « Menus Plaisirs » pour organiser les spectacles, production de règlements écrits pour assurer le bon fonctionnement du service domestique. Cette organisation complexe nécessite une administration à part entière rendant de plus en plus floue la frontière entre la cour et l’État, à l’image du « secrétariat d’État à la maison du roi » dont les compétences recoupent l’organisation de la cour et les affaires politiques du royaume. La cour de Louis XIV est devenue une lourde machine administrative au service de la magnificence royale.

À l’image de l’État monarchique, le fonctionnement de la cour est à l’origine de la production d’une masse croissante de papier : listes de personnels, ordonnances générales, instructions spécifiques, écrits techniques (comptabilités, listes, schémas de cérémonies, plans de résidences…). Ce vaste corpus documentaire démontre que la cour n’est pas cette grande scène de théâtre, improvisée selon les caprices du roi, comme voudrait la présenter les Mémoires de Saint-Simon. Elle est aussi un lieu qui répond à des règles instituées et des règlements écrits qui assurent le respect de l’étiquette, même si le roi peut contourner ces règles pour exercer sa faveur au bénéfice d’un courtisan.

Si la majeure partie de cette masse documentaire est manuscrite, l’imprimé peut être convoqué lorsqu’il s’agit de fixer ou de diffuser des informations liées à la cour, qu’il s’agisse de nouvelles dynastiques, de descriptions de cérémonies à la gloire du roi, mais aussi, de façon plus surprenante, d’annuaires qui dévoilent la composition des différents services de la cour et de l’État. Tel est le cas de l’Almanach royal, Who’s Who mondain qui énumère les élites du royaume et connaît un succès croissant au début du xviiie siècle. Plus confidentiel, l’Etat de la France, publié tous les ans à partir de la fin des années 1650, se cantonne essentiellement à lister l’entourage immédiat du souverain et les instances de gouvernement central.

Le genre de l’annuaire curial, dont l’État de la France fut vraisemblablement une des premières versions, connut une fortune éditoriale dans les cours européennes. Dès 1701, la cour de Vienne associe un annuaire à l’almanach qu’elle publiait déjà, immédiatement suivie par la cour de Berlin et, plus tardivement, par les cours de Dresde et de Munich. Dans la seconde moitié du xviiie siècle, la plupart des cours d’Europe en publient sous des déclinaisons approchantes. D’un format maniable, ces ouvrages permettent de connaître la composition de chaque cour et les grandes lignes du cérémonial.

Archive : la charge du « premier maître d’hôtel » dans l’Etat de la France de 1682

L’auteur de l’édition de 1682 de l’État de la France, resté anonyme, présente dans l’épître initiale le contenu de l’annuaire comme l’émanation du corps divin du monarque, assimilé aux principales divinités olympiennes (Ill.1). Puis, il détaille le contenu de l’annuaire : l’organisation de la maison du roi, les autres maisons royales, les princes, puis les dignités importantes du royaume, politiques, religieuses ou militaires. Le corps diplomatique ferme la marche. Même si l’auteur avertit qu’il « soit bien difficile d’établir un ordre assuré, & de donner le rang à tous ces grands Officiers », il s’agit bien de mettre la cour et l’État monarchique en liste. Comparée aux éditions précédentes de l’Etat de la France, cette édition révèle que la cour de Louis XIV n’a pas subi de transformations majeures en déménageant à Versailles en 1682.

La table des matières présente les différents services, en commençant par les principaux dignitaires. Pour chaque service sont précisés l’identité de son détenteur et son héraldique (armoiries et blasons), la date de début d’exercice, l’historique de la charge, le montant des gages et ses prérogatives - soit sept pages pour le seul grand aumônier (p. 11-19) qui débute l’énumération des officiers de la maison du roi. Arrivent ensuite les charges qui constituent le service du roi et qui, de ce fait, fonctionnent par quartier, chaque titulaire ne servant que trois mois. Après une rapide explicitation du contenu de la charge, l’annuaire se fait moins disert, se cantonnant à nommer les individus.

Véritable « mode d’emploi » de la cour de France, l’annuaire s’avère d’une utilité certaine pour qui veut ou doit fréquenter la cour et viser juste pour solliciter une grâce. Il constitue aussi un outil de communication singulier qui permet d’imposer l’idée d’une cour bien réglée, sous l’autorité incontestable du monarque dont la figure tutélaire est exaltée en ce sens en début de publication. Il permet aussi d’exposer les principaux acteurs curiaux, et en particulier les grands dignitaires, lesquels bénéficient de notices substantielles tandis que les subordonnés doivent se contenter d’une simple mention. L’annuaire met ainsi en lumière l’adéquation entre hiérarchie curiale et hiérarchie sociale, puisque les grands dignitaires se trouvent exclusivement dans les plus illustres maisons du royaume. Le prestige conféré par la publication du nom rejaillit donc à la fois sur le souverain et sur l’aristocrate.

La charge du « premier maître d’hôtel » dans l’Etat de la France, 1682, p.36-39.
La charge du « premier maître d’hôtel » dans l’Etat de la France, 1682, p.36-39.

La maison du Roi rassemble plus de deux mille personnes au service domestique du souverain, qui sont répartis selon ses besoins essentiels : la Chapelle (célébration des services religieux), la Bouche (ravitaillement et cuisine pour la table du roi), la Chambre (habillement, cérémonies et divertissements), les Écuries (voyages, transports et chasse). Le premier maître d’hôtel, sous l’autorité du grand maître de la cour, administre la Bouche du roi. Il a donc sous sa responsabilité plusieurs centaines d’officiers et de domestiques, structurés en sept offices, le Gobelet (préparation du couvert et goûteurs de plats), la Cuisine-Bouche (organisation des cuisines), la Paneterie-commun (chargé des services pour les invités du roi), l’Echansonnerie-commun (chargé des vins), la Cuisine-commun (chargée du service des plats), la Fruiterie (chargée des fruits et fourniture des chandelles) et la Fourrière (bois et charbon pour le chauffage). Leur nomination est de la prérogative du grand maître. Chaque office a sa propre hiérarchie et associe aux nobles des roturiers pour les fonctions subalternes.

Il revient au premier maître d’hôtel de veiller à ce que le fonctionnement de la Bouche soit irréprochable, d’autant plus que la Table fait l’objet de cérémonies publiques, en particulier lors de la cérémonie du Grand Couvert qui réunit les principaux membres de la dynastie, le roi, la reine, les enfants et petits-enfants du souverain. Le premier maître d’hôtel surveille le service lors de la cérémonie de la Table, auquel il participe et qui l’expose aux yeux de la cour. De sa responsabilité dépendent aussi les autres tables de la cour auxquels prennent place les « commensaux », soit plusieurs centaines d’officiers de la Maison du roi qui sont nourris tous les jours par les restes de la table royale, ce qui explique la quantité significative de plats d’abord servis au souverain nourricier, signe d’abondance, mais aussi de partage.

Les surplus pouvaient être vendus au profit du propriétaire de la table, en l’occurrence le premier maître d’hôtel, depuis que celui-ci avait racheté ce privilège au grand chambellan. Le rang que lui confère sa charge au sein de la Maison du roi justifie le choix d’un membre de la haute noblesse d’épée, ici le marquis de Livry dont l’annuaire indique qu’il a épousé la fille d’un duc. Cette dernière précision illustre bien le rôle symbolique de cette publication qui distingue autant le courtisan qu’elle met en valeur le prestige social de la cour.

Bibliographie

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Le Roy Ladurie, Emmanuel, Saint-Simon ou Le système de la Cour, Paris, 1997.

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