Le livre : Charles VII, un roi en quête de son royaume
Dans cette biographie, Philippe Contamine restitue la richesse du règne de Charles VII (1422-1461), souvent réduit à l’épopée de Jeanne d’Arc. Dans une perspective d’histoire politique et militaire qui ne l’empêche pas d’aborder les questions économiques et culturelles, il retrace l’histoire d’une vie consacrée à la reconquête du royaume de France et à l’affirmation d’une autorité royale mise à mal par la guerre de Cent Ans, une guerre qui oppose les Français et les Anglais dont le roi revendique le trône de France depuis 1337.
Troisième fils de Charles VI (1368-1422), Charles VII devient dauphin en 1417 après la mort de ses deux frères. En 1420, le roi Charles VI, affaibli par des crises de démence et sous l’influence de Philippe le Bon (duc de Bourgogne), signe le traité de Troyes qui déshérite le dauphin et désigne le roi d’Angleterre Henri V comme héritier du trône de France. À la mort de son père en 1422, Charles VII se proclame roi de France et, pour reconquérir son royaume, décide de combattre les Anglais qui contrôlent la Normandie, la Guyenne et l’Île-de-France.
La reconquête s’avère difficile dans les premières années du règne. À partir de 1427 les premiers succès militaires dans la vallée de la Loire freinent les Anglais dans leur avancée. En 1429 ces derniers échouent à prendre Orléans, défendue par Jeanne d’Arc. Les succès français rendent possible le sacre de Charles VII à Reims la même année et forcent Philippe le Bon, allié des Anglais, à négocier avec le parti du roi de France. Ce rapprochement aboutit en 1435 à la signature du traité d’Arras, qui détourne définitivement le duc de Bourgogne de l’alliance anglaise : en échange de son ralliement, Philippe le Bon obtient des territoires en Picardie et se voit dispenser de l’hommage et de toute aide militaire ou financière envers son suzerain Charles VII.
Après ce traité, Charles VII reprend le contrôle de l’Île-de-France : son armée prend Paris en 1436 et le roi y fait son entrée solennelle l’année suivante. En 1445, sa réforme militaire institue une armée permanente et régulièrement payée. Il met ainsi fin au problème des « Écorcheurs », ces hommes d’armes sans emploi se livrant au pillage pour subsister, certains d’entre eux étant intégrés dans cette armée. Cette armée, mieux payée et plus disciplinée, lui permet de reprendre aux Anglais la Normandie en 1449-1450 et la Guyenne en 1451-1453.
Cette reconquête du royaume s’accompagne d’une reprise en main politique. Si les intrigues de palais émaillent son règne, Charles VII parvient cependant à restaurer l’autorité royale et à mettre au pas une aristocratie peu encline à accepter le renforcement de son pouvoir. Il a ainsi raison de plusieurs rébellions organisées par des coalitions de princes : dans le Berry en 1428, la Praguerie en 1440 et l’assemblée de Nevers en 1442. Il envoie également son armée soumettre le comte Jean V d’Armagnac en 1455 et fait arrêter le duc Jean d’Alençon pour trahison en 1456.
Loin d’être le roi falot et spectateur de son règne présenté par l’historiographie traditionnelle, qui cherche ainsi à mettre en valeur le rôle de Jeanne d’Arc, Charles VII est un roi volontaire qui garde une ligne politique cohérente malgré les obstacles qu’il rencontre : reconquérir son royaume et renforcer son autorité. Le règne de Charles VII constitue ainsi une étape importante de l’affirmation de l’État en France.
Le cours : le pouvoir royal en miniatures
L’analyse de miniatures représentant Charles VII permet de mieux saisir la place de la guerre et de la justice dans la conception du pouvoir monarchique au xve siècle.
La miniature (Ill.1) ouvrant le manuscrit de la Chronique de Charles VII par Jean Chartier, réalisée en 1471, soit dix ans après la mort du roi, témoigne de l’image posthume d’un « roi de guerre » (Joël Cornette), dont la légitimité vis-à-vis de ses sujets repose sur la capacité militaire à remporter des victoires.
Charles VII est ici entouré de personnages en armure, portant chacun une épée ou un bâton de commandement. À gauche de la miniature, de haut en bas, figurent Arthur, comte de Richemont, connétable de France et ordonnateur de la réforme militaire, Joachim Rouault, capitaine devenu maréchal de France après la mort du roi, et Jean Bureau, grand maître de l’artillerie et l’un des artisans de la victoire de Castillon en 1453.
À droite, Jean de Dunois, fils bâtard du duc d’Orléans, a été l’un des principaux chefs de l’armée royale, organisant notamment la défense d’Orléans et commandant plusieurs opérations en Guyenne. Le capitaine Pierre de Brézé est l’un des concepteurs de la réforme militaire. Ces deux personnages illustrent également les luttes d’influence et la capacité de Charles VII à en tirer profit : Dunois a participé à la révolte princière de la Praguerie en 1440 mais le roi lui a pardonné, comme aux autres chefs de la révolte ; Pierre de Brézé devient le favori du roi par l’entremise de René d’Anjou et d’Agnès Sorel, la maîtresse de Charles VII. Enfin, Jeanne d’Arc, qui porte une robe, est intégrée à ce conseil de guerre.
Réalisée vers 1459-1460 par Jean Fouquet dans un manuscrit Des cas des nobles hommes et femmes de Boccace, cette deuxième miniature (Ill.2) représentant le lit de justice de Vendôme, au cours duquel est jugé le duc Jean d’Alençon, montre Charles VII en roi justicier. En 1456, le duc d’Alençon s’allie avec les Anglais et leur propose de les aider à débarquer en Normandie pour tenter une nouvelle invasion du royaume de France. Arrêté pour ce crime de lèse-majesté, il est jugé deux ans plus tard lors de ce lit de justice. Lors de cette séance solennelle du Parlement, qui est une cour de justice chargée entre autres de juger les nobles au nom du roi, la présence de ce dernier permet d’imposer sa volonté aux magistrats. Charles VII condamne ainsi le duc d’Alençon à la prison à vie et à la confiscation de ses terres.
Ce procès témoigne autant de la puissance du roi que des vertus du roi justicier. Pour être un bon roi, comme le recommandent les traités politiques du temps, Charles VII doit faire preuve d’autorité mais il doit également écouter ses conseillers et montrer sa clémence envers certains nobles qui viennent défendre leur cause. La cérémonie du lit de justice, représentée sur cette miniature, permet de mettre en scène ce nécessaire équilibre entre puissance et clémence royale. La présence du roi au sommet de la composition montre qu’il incarne l’autorité suprême. Cependant Charles VII se fond dans le décor fleurdelysé, ce qui atténue le caractère autoritaire de la séance, et la présence des conseillers met en avant la collégialité du verdict, prononcé après que ces derniers ont demandé l’indulgence pour le duc, dont le crime est passible de la peine de mort.
La composition de ces deux miniatures permet d’envisager le rôle central du roi dans l’appareil monarchique et le caractère collégial du processus de décision royale. Ces œuvres sont au service de l’image du roi, un roi guerrier et justicier, fort et clément, sachant s’entourer et écouter ses conseillers. Elles font ainsi écho aux traités politiques de l’époque, qui insistent sur toutes ces qualités pour définir le roi idéal.