Chanoines séculiers, cathédrales et collégiales au Moyen Âge

Résumé

Les chanoines sont les clercs qui desservent les églises cathédrales et collégiales – les premières, sises dans les chefs-lieux des diocèses, abritent également les évêques et les secondes tiennent leur qualificatif de la présence d’un collège de chanoines. Ils vivent en communautés appelées les chapitres. Ils sont regroupés au sein de quartiers concentrés autour de ces églises qu’on appelle des cloîtres, et ils gèrent un patrimoine commun qui leur procure le vivre et le couvert. Leur principale mission est le chant quotidien de l’office divin mais ils exercent beaucoup d’autres fonctions, économiques, éducatives et charitables. Leurs communautés se sont organisées à partir de l’époque carolingienne et ont continué d’être fondées tout au long du Moyen Âge par des papes, des cardinaux, des évêques ou des laïcs fortunés. Les chanoines représentent l’élite du clergé séculier en raison de leur niveau d’études universitaires et de leur participation active aux services administratifs de l’Église catholique et des États européens.

Illustration 1. Liturgie : service funèbre.
Illustration 1. Liturgie : service funèbre. Source : BNF. Artiste non identifié, manuscrit NAL 3213, feuillet 108, Lyon (France), vers 1460.
Illustration 2. Tombeau de l’évêque Hugues de Castillon (1336-1352), Saint-Bertrand-de-Comminges (détail). Photo : Anne Massoni.
Illustration 2. Tombeau de l’évêque Hugues de Castillon (1336-1352), Saint-Bertrand-de-Comminges (détail). Photo : Anne Massoni.
Illustration 3. Pierre obituaire d’Henri, chanoine et prévôt de la collégiale Saint-Thomas de Strasbourg, qui mourut le 13 février 1292 (ancien style) et qui fonda avec ses deux prébendes une chapelle dédiée à saint Michel, dédicacée le 21 septembre de la même année par l’évêque de Tou. Photo : Anne Massoni.
Illustration 3. Pierre obituaire d’Henri, chanoine et prévôt de la collégiale Saint-Thomas de Strasbourg, qui mourut le 13 février 1292 (ancien style) et qui fonda avec ses deux prébendes une chapelle dédiée à saint Michel, dédicacée le 21 septembre de la même année par l’évêque de Tou. Photo : Anne Massoni.

Les chanoines, des clercs au service de la liturgie

Le chanoine appartient au clergé, dont la raison d’être est le service de la communauté des chrétiens. Même devenu régulier après l’adoption par certaines communautés de la règle de saint Augustin, il reste un clerc et n’est pas un moine. En cela, il a suivi le même cursus que tous les clercs. Après son entrée en cléricature, il peut prétendre à l’ordination aux ordres mineurs (acolyte, portier, lecteur, exorciste) puis majeurs (sous-diacre, diacre, prêtre, évêque). Pour les clercs, le canonicat (la charge du chanoine) est un bénéfice que l’on peut briguer au même titre que la cure dans une paroisse ou la chapellenie. Dans la mesure du possible, à la fin du Moyen Âge, celui qui a été reçu comme chanoine doit revêtir l’ordre ecclésiastique correspondant à celui de son canonicat, si un ordre y est affecté. Mais à la différence de la cure qui nécessite d’être prêtre pour célébrer l’Eucharistie, le canonicat peut être occupé par un chanoine qui peut rester diacre ou sous-diacre avec les pouvoirs sacramentels associés. La fonction du chanoine est en premier lieu de desservir le service divin dans l’église qui abrite la communauté. Cela lui procure un revenu appelé prébende, souvent versé en une ou plusieurs fois chaque année, pour la partie désignée par le terme de « gros fruits », et complété à partir de la fin du xiie siècle par les distributions, en pain et en argent, touchées en contrepartie de l’assistance aux offices du chœur, défini comme espace de l’église et comme groupe des clercs chanteurs.

Cathédrales et collégiales

Les communautés de chanoines sont attachées à deux types d’église : les cathédrales ou les collégiales. Dans le premier cas, la fonction du chapitre cathédral est de représenter le clergé diocésain, notamment quand il se voit confier la charge d’élire l’évêque à partir de 1059, mais aussi d’administrer les affaires aux côtés de l’évêque, et plus encore en cas de vacance du siège épiscopal (Ill. 2). Certains chanoines, assumant des dignités particulières comme l’archidiaconat, sont plus proches de l’évêque. Il existe dans la plupart des chapitres cathédraux d’autres dignitaires : le doyen, qui est le chef du chapitre et a souvent le soin des âmes des chanoines, le chantre, qui organise la liturgie du chœur et veille à sa discipline, le prévôt ou le trésorier qui est chargé de gérer le temporel, appelé mense capitulaire (Ill. 3). D’autres officiers ou dignitaires existent dans certains lieux, comme l’écolâtre ou capiscol, qui dirige l’école destinée aux jeunes clercs éduqués à la cathédrale. Cette organisation se retrouve en partie au sein des collégiales. Ces églises sont souvent fondées dans les villes secondaires du diocèse, quelquefois chefs-lieux des archidiaconés ou des doyennés ruraux. La présence d’un chapitre permet toujours de garantir un clergé nombreux qui chante la liturgie, et donc la solennité plus grande des offices. Cela explique le choix fait en faveur de ce type de communautés par des laïcs fortunés et des évêques, particulièrement aux xe et xie siècles, période qui voit exploser le nombre de collégiales dites seigneuriales ou castrales, notamment dans le Nord-Ouest de l’Europe et en Germanie.

Les chapitres, de l’époque carolingienne à la Réforme grégorienne

Les communautés canoniales existent depuis le haut Moyen Âge, même si l’on n’emploie alors pas systématiquement le terme de chanoine, encore moins celui de collégiale. Leur mode de vie a été réglementé par les canons du Concile d’Aix réuni par l’empereur Louis le Pieux en 816. Le texte élaboré alors se nomme Institutio canonicorum, plus fréquemment appelé règle d’Aix. Il vise à créer ou consolider des communautés de clercs, notamment dans les églises épiscopales, en leur faisant partager une vie commune, par la fréquentation du chœur et de bâtiments communs (réfectoire, dortoir), au sein de cloîtres fermés. Le chef de la communauté est le prévôt, et les femmes strictement exclues. Il existe déjà une préoccupation charitable et éducative, avec la recommandation d’entretenir de jeunes clercs et tous les pauvres qui peuvent être secourus. L’élément principal qui distingue alors les chanoines des moines est, outre l’autorisation de manger de la viande, celle de rester propriétaire de ses biens individuels en entrant dans le chapitre. Cela a constitué au fil du temps des menses capitulaires où le caractère privé de certains biens communs a perduré très longtemps, entraînant toutes les difficultés induites par l’intervention fréquente des familles laïques revendiquant leur gestion sur des générations. L’historiographie la plus récente insiste sur les modalités diverses grâce auxquelles ce texte a servi de référence pour les maisons canoniales de l’Empire à la fin de l’époque carolingienne. Il semble établi qu’il a constitué une norme commune incitant à la mise en place ou à l’organisation de communautés cléricales, tout en en atténuant les aspects trop proches du monachisme, notamment autour de la présence des femmes, puisque beaucoup de chanoines sont mariés et pères de famille quelquefois jusqu’à la fin du xiie siècle. Ainsi vivent-ils plutôt dans des maisons individuelles construites au sein des cloîtres, même si les bâtiments communs peuvent servir aux plus jeunes et aux plus âgés.

Les chapitres à la fin du Moyen Âge

Aux xie et xiie siècles, les chapitres de chanoines apparaissent comme des groupes stables, dont le nombre de membres n’est pas fixé. Il n’est pas rare que des enfants soient donnés par leurs parents moyennant l’offrande d’un bien, ce qui ne signifie pas que l’enfant, devenu adulte, devienne forcément chanoine. D’autres membres sont les parents des chanoines précédents, et l’on peut également entrer dans un chapitre à l’âge adulte, ce qui permet d’être associé, pour des laïcs, hommes comme femmes, aux prières chantées par les clercs et aux bienfaits qu’elles leur procureront après la mort. Le contrôle du recrutement semble être dans les mains de la communauté elle-même, avec souvent l’assentiment de l’évêque. Ces communautés sont de grands propriétaires fonciers et des seigneurs éminents. Les familles notables du lieu estiment indispensable d’être représentées dans des chapitres qui s’ouvrent progressivement à des membres issus des rangs des citadins non nobles, à la charnière des xiie et xiiie siècles. Ces deux siècles sont un temps de changement profond pour les chapitres de chanoines. 

Les promoteurs de la Réforme grégorienne ont beaucoup œuvré pour placer certaines communautés anciennes (ou en créer de nouvelles) sous une règle nouvelle, plus stricte, notamment liée au refus de la propriété personnelle, appelée règle de saint Augustin à partir de la fin du xie siècle. Cela a conduit à créer la catégorie, jusque-là inutile, des chanoines séculiers, pour désigner les chanoines qui continuent à respecter les coutumes mises en place depuis des siècles alors que celle des chanoines réguliers désigne ceux qui adoptent la règle augustinienne. La création du bénéfice ecclésiastique (la charge ecclésiastique et le revenu associé) a ensuite profondément modifié le fonctionnement des chapitres puisque les canonicats sont devenus des « postes », mis à la disposition des évêques et de la papauté (notamment au xive siècle), et auxquels un clerc peut prétendre à condition souvent d’avoir obtenu un grade universitaire. Le nombre des canonicats a été de plus en plus fixé. Beaucoup de chanoines, bien plus mobiles qu’auparavant, sont employés dans d’autres églises et administrations, laïques et ecclésiastiques. L’accroissement de la population cléricale au xiiie siècle et le fonctionnement de la nouvelle économie du Salut ont conduit à la création de clergés auxiliaires constitués de vicaires, chapelains, bénéficiers, etc. et qui viennent considérablement grossir les rangs dans ces églises. À la fin du Moyen Âge, les chapitres de chanoines forment un paysage à la fois extrêmement varié par l’ancienneté ou le caractère plus récent des communautés, par leurs coutumes propres liées à l’histoire diocésaine et par l’intensité des relations qu’ils entretiennent avec les fidèles laïcs, dans le partage de la liturgie (Ill. 1). Dans tous les cas, les chanoines représentent toujours l’élite du clergé séculier.

Bibliographie

Deflou-Leca, Noëlle, Massoni, Anne (dir.), Évêques et communautés religieuses dans la France médiévale (816-1563), Paris, Éditions de la Sorbonne, 2022.

Massoni, Anne, « Les confraternités entre chapitres séculiers et communautés régulières (diocèse de Limoges, xe -xiie siècle) », in de Cevins, Marie-Madeleine, Galland, Caroline (dir.), Le salut par procuration. Jalons pour une histoire des confraternités ou affiliations régulières, Rennes, PUR, 2023, p. 41-53.

Massoni, Anne, « Une réforme sans heurt ? Le chapitre cathédral Saint-Étienne de Limoges de 817 à l’an Mil », Cahiers de civilisation médiévale, Vol. 265, 2024 (numéro thématique sous la dir. d’Émilie Kurdiziel, Ordonner l’Église. Communautés cléricales et communautés monastiques dans le monde carolingien (viiie -xe siècle), p. 119-133.

Carraz, Damien, Le Blévec, Daniel, Massoni, Anne (dir.), Chapitres et chanoines du Midi (ixe -xve siècle), Fanjeaux, Centre d’études historiques (Colloque de Fanjeaux 58), 2024.

Deflou-Leca, Noëlle, Massoni, Anne (dir.), Monde canonial, monde monastique. Mutations et conversions de statuts, ixe -xiie siècle, Rennes, PUR, 2024.


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