L’ordre équestre à Rome (ier-ve siècles) : une élite sociale et politique

Résumé

Depuis l’époque républicaine, l’ordre équestre à Rome rassemble le groupe des chevaliers, une élite sociale et politique possédant richesse, distinction sociale et privilèges. A partir du ier siècle, sous l’empire, certains chevaliers jouent un rôle essentiel dans l’administration et dans les affaires politiques et militaires. Leur importance va croissante et connaît son apogée au iiie siècle, fournissant même des empereurs tels que Maximin le Thrace (235-238) ou Philippe l’Arabe (244-249). La primauté des chevaliers marque le pas avec les réorganisations des règnes de Dioclétien (284-305) et de Constantin (306-337). Appartenir à l’ordre équestre devient progressivement une dignité uniquement honorifique, avant de disparaître au début du ve siècle. Groupe social et politique hétérogène, l’ordre équestre est au cœur des transformations du gouvernement de l'empire romain tout au long de l’existence de celui-ci.

Ill. 1 : Relief représentant un chevalier romain lors de la transvectio equitum, le défilé annuel du 15 juillet. Altes Museum, Berlin (Gary Todd, CC0)
Ill. 1 : Relief représentant un chevalier romain lors de la transvectio equitum, le défilé annuel du 15 juillet. Altes Museum, Berlin (Gary Todd, CC0)
Ill. 2 : Schéma de la carrière équestre au IIe siècle ap. J.-C. (conception Benoît Rossignol)
Ill. 2 : Schéma de la carrière équestre au IIe siècle ap. J.-C. (conception Benoît Rossignol)
Ill. 3 : Inscription sur la base de la statue de Timésithée (190-243). Elle retrace sa carrière, témoignant ainsi de son importance politique et de ses nombreuses fonctions administratives dans l'empire pour un chevalier.  Musée de la civilisation gallo-romaine, Lyon (Arnaud Fafournoux, licence CCA-SA 3.0, Wikimedia Commons)
Ill. 3 : Inscription sur la base de la statue de Timésithée (190-243). Elle retrace sa carrière, témoignant ainsi de son importance politique et de ses nombreuses fonctions administratives dans l'empire pour un chevalier. Musée de la civilisation gallo-romaine, Lyon (Arnaud Fafournoux, licence CCA-SA 3.0, Wikimedia Commons)

L’ordre équestre, second ordre de l'empire (République-Ier siècle) 

Depuis l'époque républicaine, les chevaliers, élite du peuple en arme, forment un ordre (ordo), une classe de citoyens distingués par leur dignité. Celle-ci nécessite une naissance libre et un cens, c'est-à-dire une fortune, généralement foncière, de 400 000 sesterces. Le chevalier romain (eques Romanus) se distingue par le port de l'anneau d'or, de la toge angusticlave – à bande de pourpre étroite – et de la trabée, toge d’apparat colorée et vêtement officiel. Ces signes rappellent que leur porteur a le droit de posséder un cheval public (equus publicus), élément toujours fondamental pour définir leur même s'il n'a plus d'existence concrète.

Sous le principat, la position politique des chevaliers évolue profondément. L'ordre sénatorial, premier ordre de l’empire, devient héréditaire et est radicalement distingué des chevaliers. Sous la République, les sénateurs étaient des chevaliers qui avaient été élus aux magistratures ; désormais, seul l'empereur peut faire rentrer un chevalier dans la carrière sénatoriale. Aux plus jeunes issus des familles de chevaliers, il peut conférer directement la toge laticlave. À ceux ayant déjà commencé une carrière équestre, la procédure d'adlectio permet d'entrer au sénat avec l'équivalent d'un certain niveau du cursus honorum. Depuis Domitien (81-96), l'ordre équestre est contrôlé par le prince, dont les bureaux instruisent les demandes d'intégration. Le défilé équestre annuel des jeunes chevaliers, à Rome le 15 juillet, manifeste ce contrôle (ill. 1).

Richesse, distinction sociale, puis reconnaissance ou appui impérial permettent l'entrée dans l'ordo. Pour un notable de cité, en Italie ou en province, cela suppose sans doute la recommandation d'un patron. L'inscription dans les décuries de juges à Rome – des listes de jurés dont certaines sont réservées aux chevaliers – constitue parfois une première étape. Si l'appartenance à l'ordre est personnelle, elle est néanmoins marquée par l’hérédité et l’endogamie ; la dignitas conférée par le statut de chevalier s'étend aux enfants et à l'épouse. Dès l'époque julio-claudienne (27 av. J.-C. – 68 ap. J.-C.), l'ordre s'est largement ouvert aux citoyens de province. Dans les provinces où la citoyenneté est la plus diffusée comme la Bétique ou la Narbonnaise, le sommet des élites locales entre en général dans l'ordre. Cela se constate dans les conseils des provinces célébrant le culte impérial. À Tarraco(actuelle Tarragone, en Espagne), au début du iie siècle, les prêtres pour la province sont des chevaliers, puis le recrutement évolue et la présence de l'ordre est moins visible. En Asie, les grands-prêtres ont en général un fils chevalier. Le poids des Italiens dans l'ordre reste fort : jusque sous Commode (180-192), ils représentent plus de la moitié des chevaliers faisant carrière. Au iiie siècle cependant, l'hétérogénéité du recrutement de l'ordre devient un fait important. La part de l'Afrique et des province hellénophones grandit, celle de l'Italie et des vieilles provinces d'Occident recule nettement. 

La carrière équestre : des fonctions de pouvoir dans l’administration de l’empire (Ier-IIIe siècles)

Beaucoup se satisfont simplement d’une dignité qui les place désormais au-dessus de leurs concitoyens, mais certains espèrent aller plus loin. Si sous la République les chevaliers occupent des postes d'officiers dans l'armée, en particulier à la tête des unités d'auxiliaires, ce sont les transformations augustéennes qui posent les bases d'une carrière administrative de haut rang propre aux chevaliers. D'une part, Auguste (63 av. J.-C. - 14 ap. J.-C.) confie à des chevaliers portant le titre de procurateur (procurator), en collaboration avec ses affranchis, l'administration fiscale et financière des provinces impériales, et donc le versement de la solde des troupes. D'autre part, de grandes fonctions au sommet de l'empire sont créées et réservées à des chevaliers portant le titre de préfet, éloignant ainsi le Sénat de responsabilités stratégiques. La sécurité de la Ville de Rome est ainsi confiée au préfet des vigiles, et son ravitaillement au préfet de l'annone. Le préfet d'Égypte est chargé du gouvernement du grenier de Rome qu'est cette province exceptionnelle. Enfin, responsabilité suprême, un ou deux préfets du prétoire dirigent la garde de l'empereur. En fonction du pouvoir que leur délègue l'empereur, ils peuvent jouer un rôle central dans le gouvernement de l'empire.

À la différence du nombre de sénateurs (600), celui des chevaliers n'est pas limité et, au cours du premier siècle, de nouveaux postes qui leurs sont réservés sont créés. Leur hiérarchisation progressive structure alors la carrière. Avec Trajan, quasiment tous les bureaux de l'administration impériale sont dirigés par un chevalier, qui peut espérer ensuite progresser vers les grandes préfectures. Jusqu'au troisième siècle, de nouveaux postes s'ajoutent à ceux existant. Sous les Antonins (96-192), la carrière type (ill. 2) commence par un poste de préfet des ouvriers au service d'un magistrat à imperium (un prêteur, un consul ou un proconsul)suivi de trois postes d'officier supérieur (qu’on appelle les milices équestres) dans l'armée : à la tête d'une cohorte auxiliaire, puis dans une légion sous les ordres d’un légat sénateur, et enfin à la tête d'une aile de cavalerie. 

La sélection se fait croissante au fil de la carrière, car le nombre de postes se restreint. Après les milices, le chevalier entré dans l'âge mûr peut se voir confier des procuratèles. Les missions des procurateurs qui en ont la charge sont multiples et variées, depuis l'administration financière des provinces et des domaines de l’empereur (patrimonium) jusqu'au gouvernement de provinces et au commandement de flottes, en passant par la direction de troupes de gladiateurs ou la gestion de mines. Trois niveaux de salaire annuel (60 000, 100 000 et 200 000 sesterces) hiérarchisent les postes. La rotation des cadres est forte, la durée en fonction limitée (on reste en général 2 à 3 ans dans une fonction) et les carrières plus ou moins rapides. Les plus brillants obtiennent un poste de chancellerie à Rome et la direction d'un des bureaux palatins, comme les bureaux ab epistulis qui s'occupent de la correspondance du prince ou le bureau a rationibus, le plus important, qui gère le budget de l'empire. C'est dans ce vivier désormais très étroit que l'empereur choisit ses préfets. Seuls quelques individus deviennent préfet du prétoire, unique poste dont la durée n'est pas limitée.

Une carrière exemplaire : la carrière de Varius Clemens sous Antonin et Marc Aurèle

« « À Titus Varius Clemens, chargé de la correspondance (ab epistulis) des Augustes, procurateur des provinces de Belgique et des deux Germanies, de la Rhétie, de la Maurétanie Césarienne, de la Lusitanie, de la Cilicie, préfet des cavaliers de l'aile milliaire Britannica, préfet des auxiliaires envoyés depuis l'Hispanie en Maurétanie Tingitane, préfet des cavaliers de la IIe aile des Pannoniens, tribun de la légion XXXe Ulpienne Victorieuse, préfet de la IIe cohorte des Gaulois Macedonica, la cité des Trévires, au meilleur des administrateurs (praesides) (a élevé ce monument). » 

Inscription de Celeia (Norique), CIL III, 5215

Originaire de Celeia dans la province du Norique (dans l’actuelle Autriche), Varius Clemens a été honoré au début des années 160 par ses anciens administrés de Germanie dans sa cité, alors qu'il venait d'être nommé au bureau de la correspondance de l'empereur. La carrière est énoncée en ordre inverse. Elle commence par une préfecture de cohorte en Dacie (dans l’actuelle Roumanie) vers 140, puis il sert comme tribun dans une des légion de Germanie, sous les ordres d'un légat. Lors de sa troisième milice, il est envoyé à nouveau en Dacie pour diriger la deuxième aile des Pannoniens. Officier expérimenté et sans doute compétent, il est alors envoyé pour une mission spéciale à la tête d'auxiliaires d'Hispanie dans la guerre menée contre les Maures sous Antonin le Pieux (138-161). Il reçoit ensuite le commandement d'une des rares ailes milliaires (avec un effectif doublé par rapport à l’aile des Pannoniens), preuve de ses compétences militaires. Cela lui permet ensuite d'exercer directement une procuratèle de rang centenaire. En tant que procurateur, il s'occupe des finances de la Cilicie (au sud de l’Anatolie) puis de la Lusitanie, poste ducénaire. Il reçoit alors le gouvernement de la Maurétanie Césarienne (dans l’actuel Maghreb) où il est attesté dès 152. L'empereur comptait peut-être utiliser l'expérience militaire du terrain qu'il avait accumulé lors de sa mission spéciale. Puis Clemens est nommé gouverneur de Rhétie, sur la frontière du Danube, où il attesté en 157. Il est ensuite nommé procurateur de Belgique et des Germanie, retrouvant un poste financier. Cependant, il s'agit d'un poste stratégique, puisqu'il contrôle toutes les soldes des légions du Rhin. Clémens l'exerce à Trèves, où il est à n'en pas douter une personnalité importante. À l'annonce de sa nomination à la chancellerie, la cité de Trèves l'honore d'une statue. En tant que chargé de la correspondance de Marc Aurèle et Lucius Vérus, Varius Clemens est appelé à jouer un rôle important dans la circulation de l'information lors de la guerre parthique (162-166). On sait que par la suite Varius Clemens entre au Sénat par une procédure d'adlectio. Il siége au conseil de Marc Aurèle en 177. La carrière de Varius Clemens est exemplaire. Bien qu'ayant démontré des compétences militaires certaines, il participe aussi à l'administration financière et fiscale de l'empire, et gouverne deux des provinces frontières de l'empire. La fin de sa carrière se passe à Rome auprès des empereurs.

Parmi les chevaliers faisant carrière, on constate une assez grande diversité. Si les notables de cité, plus ou moins lettrés, sont nombreux, deux profils minoritaires mais remarquables se distinguent. Au deuxième siècle, une voie particulière se développe pour les spécialistes du droit. Ils peuvent être dispensés des milices équestres et commencer leur carrière comme avocats du fisc, le trésor public. Les plus brillant d'entre eux servent ensuite à Rome comme conseillers juridiques attachés au conseil du prince. De ce milieu émergent les grands juristes de la fin du deuxième siècle, en particulier ceux qui appuient les Sévères (193-235) : c’est le cas de Papinien (mort en 211) et d’Ulpien (mort en 223), tous deux parvenus jusqu'à la préfecture du prétoire mais finissant victimes de la violence dynastique. L'autre voie particulière est ouverte, depuis les débuts de l'empire, aux meilleurs des officiers militaires subalternes que sont les centurions. Combiné avec des commandements dans la garnison de Rome (en particulier les tribunats des prétoriens), le double exercice du primipilat – grade le plus élevé des centurions – permet l'entrée dans l'ordre équestre, puis la poursuite de fonctions directement au niveau ducénaire (200 000 sesterces par an). Quelques anciens militaires sortis du rang peuvent ainsi se retrouver au sommet du gouvernement de l'empire, comme Bassaeus Rufus (mort vers 178), préfet du prétoire de Marc Aurèle (161-180). C'est aussi le type de carrière suivi par Maximin le Thrace, empereur de 235 à 238. 

Une importance de l’ordre équestre amplifiée par les défis militaires (IIIe siècle)

Jusqu'au milieu du troisième siècle, le nombre de poste confiés à des chevaliers continue d’augmenter régulièrement. Sous les Sévères, il y a un peu moins de 600 postes dans les milices, et environ 180 procuratèles. La variété des postes qui peuvent être confiés aux chevaliers permet des profils de carrière plus ou moins spécialisés. Cela permet à l'empire d’avoir un personnel expérimenté à disposition. Durant les difficiles guerres du règne de Marc Aurèle, on constate ainsi l'existence de carrières fortement déterminées par l'habileté aux armées. Pour utiliser ces compétences dans des postes militaires réservés à des sénateurs, des chevaliers comme Pertinax (126-193, éphémère empereur en 193) et Valerius Maximianus (mort après 186) sont intégrés au sénat par adlectio, cette procédure discrétionnaire aux mains de l’empereur. En revanche, les trois nouvelles légions créées par Septime Sévère (193-211) sont commandées par des chevaliers, sur le modèle de la légion d'Égypte, la seule jusqu’alors à n’être pas dirigée par un sénateur. Autre nouveauté visible à la fin de la dynastie des Sévères : des procurateurs peuvent désormais être nommés comme faisant fonction à la place des gouverneurs de rang sénatorial (uice legati). Des carrières brillantes cumulent les fonctions, ainsi de Timésithée (190-243) qui atteint finalement la préfecture du prétoire et devient le beau-père de Gordien III (225-244) (ill. 3). Pour autant les deux ordres ne sauraient être opposés : leur proximité sociale est grande, et beaucoup de familles sénatoriales ont des origines équestres. Les chevaliers sont vus comme la pépinière du sénat où ils sont mis au service de l'empereur. À la mort de Caracalla en 217, la prise de pouvoir par le préfet du prétoire Macrin (v. 165-218) porte brièvement le premier non sénateur à la tête de l'empire. Par la suite, Maximin le Thrace et Philippe l'Arabe (244-249) sont deux chevaliers arrivés au trône lors de conflits difficiles aux frontières de l'empire.

Les graves crises du milieu du iiie siècle entraînent des changements importants. De hauts commandements sont progressivement confiés à des chevaliers plutôt qu'à des sénateurs. Vers 258, Cornelius Octavianus est ainsi nommé dux (duc) : il dirige militairement les Maurétanies, la Numidie et l'Afrique avec des compétences supérieures à celles d’un gouverneur ordinaire. Cette évolution est parachevée avec le règne personnel de Gallien (260-268) : les postes sénatoriaux de tribun et de légat, à la tête des légions, disparaissent ; elles sont désormais dirigées par des préfets équestres, et le gouvernement de nombreuses provinces impériales s’ouvre à des chevaliers perfectissimes – rang le plus élevé dans l’ordre – portant le titre de praeses. Contraint à un effort de guerre important, Gallien a affirmé son lien avec les soldats et s'est appuyé sur un entourage de chevaliers expérimentés dans les affaires militaires, comme Marcianus ou Auréolus. Distingué par le service aux côtés du prince, ce groupe issu de l'encadrement subalterne des soldats (centurions et tribuns du prétoire) a connu des carrières accélérées et transformées, ses membres se retrouvant à la tête de corps expéditionnaires et dans le conseil de l'empereur. La structure de l'armée comme la zone du gouvernement effectif de Gallien expliquent que ces hommes aient souvent été originaires de la province de l'Illyricum, dans les Balkans. Avec l'élimination de Gallien et la proclamation de Claude le Gothique (268-270), chevalier issu de ce milieu, c’est moins l'ascension de l'ordre équestre que celle des militaires qui se réalise. En outre, pour les temps à venir, cet avènement ancre fortement le recrutement des empereurs dans les régions balkaniques. Constatant la perte de leur pouvoir, les sénateurs exprimèrent leur ressentiment en stigmatisant, dans l'historiographie, la figure de Gallien. 

Du triomphe à la disparition de l'ordre équestre (IIIe-Ve siècles)

Entre Claude le Gothique et le règne personnel de Constantin (après 324), la quasi-totalité du groupe gouvernant l'empire est issu de l'ordre équestre : l'empereur et sa famille, son conseil, les généraux et presque tous les gouverneurs de province. Les chevaliers sont aussi toujours à la tête de l''administration financière et fiscale ; leur désignation change, et les titres de magister et rationalis s'imposent de plus en plus face à celui de procurator. Sous la tétrarchie (293-313), la transformation des personnels des bureaux centraux et provinciaux ouvre aussi l'ordre à des fonctionnaires de naissance libre. Il est désormais hiérarchisé en quatre rangs : egregius, centenaire, ducénaire et perfectissime. En outre, dans les années précédant la tétrarchie, le poste de préfet du prétoire, plus important que jamais, semble contrôler l'accession à la dignité impériale. Cependant, les choses changent après l'arrivée au pouvoir de Dioclétien en 284, soucieux de construire un pouvoir impérial durable échappant aux ambitions de son second. Les préfets du prétoire cessent alors de pouvoir faire des empereurs, et leur recrutement s'éloigne du profil uniquement militaire. En 298, des vicaires sont créés pour les assister à la tête de diocèses, de nouvelles circonscriptions qui rassemblent plusieurs provinces. En outre, chaque Auguste compte un préfet dans son comitatus – son armée et son appareil bureaucratique – ce qui permet de mieux les contrôler. Entre 326 et 330, c’est Constantin qui transforme fortement la fonction de préfet du prétoire : elle est restreinte au domaine civile et ses titulaires multiples, d'abord au nombre de cinq, sont placés à la tête de vastes régions administratives rassemblant plusieurs diocèses. L'administration centrale et le gouvernement de l'empire en sont profondément transformés ; le commandement des armées revient désormais aux maîtres des milices (magistri militum) et la direction des bureaux palatins au maître des offices qui est un clarissime, donc de dignité sénatoriale. Fonctions civiles et fonctions militaires sont distinguées au plus près du prince. 

L'action de Constantin ne se limite pas au sommet de l'ordre, bien au contraire. Il nomme à nouveau des sénateurs à des postes importants comme la préfecture du prétoire, faisant disparaître l'idée de postes réservés à l'un ou l'autre des ordres. Surtout, après 325, il ouvre largement l'ordre sénatorial, le portant à 2000 membres. Il réunifie ainsi l'aristocratie romaine, mais ce faisant il organise la disparition de la partie la plus digne de l'ordre équestre. Dans un second temps, le développement du sénat de Constantinople renforce le phénomène. L'inflation du nombre de clarissimes ne fait pas disparaître les chevaliers, mais ceux-ci ne sont plus présents dans les grandes fonctions de gouvernement – à l'exception des perfectissimes dans l'armée, occupant par exemple les rangs de comtes et de ducs comptant parmi les plus élevés, jusque dans les années 360. 

A partir de Constantin, les dignités équestres inférieures au perfectissimat sont largement distribuées. Multiplier les dignités, c'est aussi les dévaluer. Dès lors que les rangs équestres inférieurs au perfectissimat ne désignent plus une véritable élite impériale, le statut cesse d’être recherché par les décurions des cités, notables locaux jusqu’alors vivier de l’ordre. Le titre d'egregius disparaît après 326, et les dignités équestres se retrouvent surtout dans la législation impériale. En 364, une constitution de Valentinien (364-375) montre qu'à Rome le titre de chevalier permet de jouir de privilèges en droit pénal, car il manifeste l'appartenance à l’élite romaine des honestiores. Sous Théodose (379-395) les rangs de centenaire, ducénaire et perfectissime n’apparaissent plus que comme des moyens de hiérarchiser les bureaucrates, parfois très modestes, au service du Comte des largesses sacrées, le gestionnaire des finances impériales. Au début du ve siècle, les dignités équestres sont absentes des lois d'Honorius (395-423) qui énumèrent la hiérarchie : l'ordre a disparu par dévalorisation progressive de ses titres.

Élément essentiel de la hiérarchie sociale et politique du Haut-Empire romain, l'ordre équestre participe à l'intégration des élites locales et à l'administration de l'empire au service du prince. Au iiie siècle, il reflète la place importante prise par les militaires dans le gouvernement de l'empire et le renouvellement des élites impériales. La mise en place d'une nouvelle organisation de ces dernières après Constantin le rendit à terme uniquement honorifique, puis obsolète.

Bibliographie

Álvarez Melero, Anthony, “Matronae equestres” : la parenté féminine des chevaliers romains originaires des provinces occidentales sous le Haut-Empire romain (ier-iiie siècles), Bruxelles, Brepols, 2018.

Demougin, Ségolène, L'ordre équestre sous les Julio-claudiens, Rome, École française de Rome, 1988.

Demougin, Ségolène, Devijver, Hubert, Raepsaet-Charlier, Marie-Thérèse (dir.), L’ordre équestre. Histoire d’une aristocratie (iie siècle av. J.-C. - iiie siècle ap. J.-C.). Actes du colloque international de Bruxelles-Leuven, 5-7 octobre 1995, Rome, École française de Rome, 1999. 

Pflaum, Hans Georg, Abrégé des procurateurs équestres, Paris, De Boccard, 1974.

Porena, Pierfrancesco, « “À l’ombre de la pourpre” : l’évolution de la préfecture du prétoire entre le iiie et le ive siècle », Cahiers du Centre Gustave Glotz, n°18, 2007, p. 237-262.


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