Le catholicisme dans les campagnes françaises du 19e siècle

Piété et pratiques religieuses

Résumé

Au xixe siècle, la vie dans les campagnes françaises est imprégnée de catholicisme. Celui-ci structure l’existence et le quotidien de la plupart des ruraux. La piété dans les campagnes se caractérise par la vitalité de la religion populaire, qui se nourrit à la fois de l’enseignement dispensé par le clergé et des pratiques culturelles héritées, que leurs opposants jugent parfois superstitieuses. Au cours de la période, cette piété devient plus festive et plus sentimentale, alors que triomphe l’ultramontanisme, un courant dans lequel elle se conjugue avec un soutien affirmé au pape. La communion fréquente, l’intérêt renouvelé pour les saints et pour le Christ, le succès du culte du Sacré-Cœur et l’essor des pèlerinages illustrent ces transformations spirituelles. Elles témoignent d’une certaine vitalité du catholicisme, néanmoins menacé localement par des manifestations d’anticléricalisme ou de désaffection religieuse, surtout à la fin du xixe siècle. 

Illustration 2 : Jules Breton, La bénédiction des blés en Artois (1857), Musée d’Orsay. Le peintre représente ici une procession effectuée lors des jours des Rogations, qui précèdent le jeudi de l’Ascension. Les prières et les bénédictions réalisées à cette occasion sont destinées à favoriser l’abondance des récoltes. Elles associent pratiques chrétiennes et croyances populaires héritées de rites païens associés à la fertilité de la terre.
Illustration 1 : Jean-François Millet, L’Angélus, 1857-1859, Musée d’Orsay. Un couple interrompt sa récolte de pommes de terre pour prier, mettant en évidence la manière dont la religion rythme le quotidien des populations rurales.

Au xixe siècle, les campagnes françaises sont dans leur grande majorité catholiques. Le judaïsme, qui est alors essentiellement urbain, y est pour ainsi dire absent. Le protestantisme, lui, est localement bien implanté, en particulier le long d’un croissant qui part du Poitou et s’étire jusqu’aux Alpes en passant par les Cévennes, mais les religions issues de la Réforme ne représentent guère plus de 2 % de la population à l’échelle française et ce taux tombe même à 1,6 % après la perte de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine en 1871. À l’exception de quelques isolats, le monde rural est donc un monde catholique. La marque de la religion est forte, mais elle apparaît plus ou moins nettement selon la période et les lieux. Elle est surtout perceptible à partir de la Restauration, quand le clergé décimé par la Révolution se reconstitue, et dans les régions où les vocations sont nombreuses, notamment dans l’ouest de la France ou le long d’une diagonale qui prend le territoire français en écharpe et qui passe par le Pays basque, le sud du Massif central et la Franche-Comté. De nombreuses monographies (Boutry, Hilaire, Lagrée, Langlois, par exemple), qui ont fleuri à partir des années 1970 dans le sillage de l’histoire des mentalités, éclairent la vie religieuse des communautés rurales françaises. Celle-ci se caractérise notamment par un écart entre la religion enseignée et la religion vécue, et par l’essor d’une piété sensible, que l’on qualifie d’ultramontaine, car elle se superpose avec un soutien affirmé au pape. 

Religion enseignée et religion vécue dans les campagnes françaises du 19e siècle

Jusqu’au milieu du xxe siècle, la plupart des vies qui se déroulent en milieu rural sont scandées par la religion. L’influence des Églises est perceptible à différentes échelles temporelles. L’existence d’un catholique est balisée par le baptême, la première communion, le mariage et l’extrême-onction, qui donnent de la solennité et une dimension sacrée à la naissance, à la fin de l’enfance, à la perspective de fonder une famille et à la mort. Les sacrements sont perçus comme des passeports pour la vie éternelle. Ils sont de ce fait au fondement du contrôle étroit que l’Église catholique exerce sur les populations, du moins dans les terres ferventes. L’année est ponctuée de fêtes religieuses, qui constituent des repères temporels fondamentaux. Pâques, qui célèbre la résurrection de Jésus-Christ et Noël, qui fête sa naissance, sont les principales. La semaine se structure autour du dimanche, au cours duquel les communautés se rassemblent à l’église ou, pour les protestants, au temple. La journée est elle-même rythmée par la prière, ce qu’illustre le tableau de Jean-François Millet L’Angélus, qui met en scène à la fin des années 1850 un couple interrompant sa récolte de pommes de terre pour se recueillir (ill. 1). De nombreux canaux concourent à la transmission de la foi et des gestes qui l’expriment. En la matière, l’influence des parents est bien sûr déterminante. L’enseignement religieux débute à la maison, sous leur autorité, et se prolonge dans le cadre paroissial, lors des leçons de catéchisme. Les fondements théologiques et moraux sont régulièrement rappelés par les clercs dans la prédication, lors des offices hebdomadaires ou à l’occasion des missions extraordinaires, dont la fonction est de raviver la flamme religieuse. 

La culture des communautés rurales et les systèmes de pensée sont profondément marqués par le christianisme. L’idée que la mort n’est pas le terme de l’existence et que la vie terrestre détermine ce que sera la vie éternelle prédomine. L’espoir que les injustices seront compensées dans l’au-delà contribue à rendre acceptables les souffrances morales ou physiques. La confession, qui permet la purification de l’âme, est perçue comme un rempart face au péril de la damnation, surtout dans le catholicisme, qui en fait un sacrement. Quand Pâques approche, il n’est pas rare de voir des prêtres passer leur journée au confessionnal pour écouter les aveux de leurs paroissiens. Tel était le cas du curé d’Ars, par exemple, qui acquit une réputation de sainteté et fut canonisé en 1925. L’influence du clergé dépasse la sphère religieuse. Il est le gardien de la morale, qui apparaît aux yeux de ses défenseurs comme le ciment de la communauté. Prêtres et pasteurs relaient les prescriptions des Églises et rappellent la norme comportementale qui prévaut en matière de loisirs, de sexualité ou d’alimentation. Le Carême par exemple est un temps de privation et de jeûne pour les catholiques.  

Deux éléments viennent nuancer l’importance de ce contrôle sur les populations. Le premier est que la fidélité religieuse et la reconnaissance de l’autorité du clergé varient selon les lieux. L’influence des prêtres culmine dans les pays de forte pratique et de tradition blanche, c’est-à-dire dans les terres légitimistes marquées par l’hostilité à la Révolution telles que la Vendée ou la partie orientale du Morbihan, par exemple. Elle est beaucoup plus faible dans les diocèses marqués par la tiédeur religieuse, que l’on rencontre sur une diagonale allant des Ardennes aux Landes. Là, l’emprise de l’Église catholique est plus modeste, surtout sur la population masculine. Dès le Second Empire, le taux de pascalisants y est fréquemment inférieur à 50 % et tombe parfois à moins de 20 %, comme dans le diocèse d’Orléans. Par la suite, les positions de l’Église catholique se fragilisent encore, alors que les charges anticléricales se multiplient. Entre ces deux types de régions au tempérament opposé, figurent les pays « bleus », marqués par une pratique forte mais une indépendance marquée à l’égard de l’aristocratie et du clergé. C’est le cas de la Savoie par exemple, où il n’est pas rare de voir des paroissiens fervents cultiver leur autonomie vis-à-vis de leurs prêtres. Les succès électoraux qu’y rencontrent les républicains à la toute fin du xixe siècle en témoignent. 

Le second facteur qui vient nuancer l’influence des Églises instituées est la distorsion qui existe entre la religion enseignée par le clergé et la religion populaire, c’est-à-dire la religion vécue par les fidèles. Partout, dans les pays fervents comme dans les pays tièdes, il existe une tendance à l’autoconsommation spirituelle. Celle-ci éloigne les fidèles des prescriptions normatives et les mène vers des pratiques que leurs opposants jugent superstitieuses. En effet, les campagnes du xixe siècle sont traversées par une tension entre la volonté des Églises d’affirmer un monopole sur le sacré et cette religiosité populaire. La distorsion ne débouche pas forcément sur un affrontement. Les formes d’accommodement, voire de syncrétisme, sont courantes, comme en Bretagne où les fontaines miraculeuses associées à des saints guérisseurs sont nombreuses. On y mène les malades, en espérant bénéficier des bienfaits de l’eau et du secours de la figure chrétienne tutélaire. Dans certaines régions, comme en Charente, il arrive même que les saints thaumaturges soient invoqués par des personnes qui ne mettent guère les pieds à l’église.

Les rogations, au cours desquelles les fidèles implorent la protection divine pour avoir des récoltes abondantes, appartiennent aussi, par certains aspects, à cette catégorie de pratiques qui mêlent foi et croyances. Elles sont le produit de l’incorporation dans le catholicisme de rites païens associés à la fertilité de la terre. Dans les jours qui précèdent l’Ascension, les cortèges, emmenés par le desservant de la paroisse, parcourent les chemins ruraux en bénissant les différents types de culture et en faisant halte au pied des croix plantés sur le bord des chemins. Le tableau de Jules Breton La bénédiction des blés en Artois, peint en 1857, en donne une saisissante illustration (ill.2). Parfois, on se rend aux extrémités du territoire paroissial, pour en prendre symboliquement possession et le placer tout entier sous la protection divine. Quand exceptionnellement un prêtre s’y refuse, les réactions peuvent être vives, preuve que les communautés sont attachées à de telles pratiques. Ainsi en 1874, le recteur de Burgnac, en Haute-Vienne, est menacé par ses paroissiens quand il refuse de faire la procession immémoriale pour l’abondance des récoltes. Il faut alors l’intervention des gendarmes pour sortir les manifestants du presbytère, signe que l’émotion est vive. De tels épisodes sont toutefois rares. La plupart des clercs composent avec cette religiosité populaire, dont ils sont parfois eux-mêmes imbibés. 

Vitalité du catholicisme et mutations spirituelles dans les campagnes françaises du 19e siècle 

Si la tension entre religion instituée et religion vécue s’observe à toutes les époques, l’affirmation de la piété ultramontaine est plus spécifique au xixe siècle. Au début de la période, la spiritualité sévère et doloriste, héritée du jansénisme, est encore solidement ancrée dans les campagnes françaises. La prédication porte alors fréquemment sur les fins dernières. Les prêches réalisés dans le cadre des missions intérieures, dont le but est de revivifier la foi dans les paroisses, font une large place au péché, à l’enfer, au Jugement dernier, auquel il convient de se préparer. 

Mais ce courant rigoriste, qui met l’accent sur un Dieu vengeur, s’éclipse progressivement dans la première moitié du xixe siècle. Il est supplanté par une sensibilité nouvelle, qui se répand à partir des années 1830-1840, sous l’impulsion de prêtres ultramontains qui promeuvent la primauté de la papauté et la généralisation de la liturgie romaine, à la différence du camp gallican, désormais minoritaire. Cette piété est aussi un produit du romantisme, qui favorise l’émergence de pratiques religieuses plus sentimentales et plus démonstratives. Le christianisme de la peur s’efface, au profit d’une pastorale qui met l’accent sur la bonté et l’amour de Dieu.

Le renouvellement spirituel est profond. Il se traduit notamment par une redécouverte de Jésus-Christ, qui est mis en lumière par des figures de la Révolution de 1848 comme Philippe Buchez (1796 - 1865). Chez les catholiques, le développement d’une piété christocentrique se traduit par un intérêt accru pour les Évangiles, par le succès de l’Imitation de Jésus-Christ – un livre de piété écrit à la fin du xive siècle et régulièrement réédité au xixe siècle – ou par l’essor du culte du Sacré-Cœur. Les saluts au Saint-Sacrement et les diverses formes d’adoration y participent, tout comme le développement de la communion fréquente. L’absolution est accordée plus facilement et l’eucharistie n’est plus tant considérée comme un privilège réservé à une élite spirituelle que comme un moyen d’« aller à Jésus-Christ tout entier », selon la formule du Père Emmanuel d’Alzon (1810-1880), le fondateur des Assomptionnistes. C’est le triomphe du liguorisme, la doctrine du Napolitain Alphonse de Liguori, qui s’opposa au rigorisme et promut la communion fréquente dès le xviiie siècle.

Chez les catholiques, l’intérêt renouvelé pour les saints entre dans ce cadre. Les fidèles les invoquent au secours d’une cause qui leur est chère ou pour venir en aide à leurs défunts, à une époque où les âmes du purgatoire sont l’objet d’une attention soutenue. Au xixe siècle, quelques figures nouvelles émergent, comme Sainte Philomène, mais le panthéon est dominé par les membres de la Sainte Famille. La figure de Joseph est érigée en modèle, ce dont témoigne l’abondante statuaire sulpicienne qui orne les églises et les choix opérés dans les dénominations des écoles catholiques, à la fin du xixe siècle. Surtout, la Vierge Marie est l’objet d’une ferveur exceptionnelle. La diffusion du Rosaire en est le signe, tout comme l’enthousiasme à célébrer les fêtes qui lui sont dédiées (Annonciation le 25 mars, Visitation le 31 mai, Assomption le 15 août), ou les nombreux exercices de dévotion réalisés au cours du mois de mai, consacré à la mère de Jésus. La multiplication des apparitions mariales, souvent rapportées par des gens simples issus du milieu rural (des jeunes bergers à La Salette en 1846, des enfants à Pontmain en 1871), marque le triomphe du catholicisme populaire. Cette sensibilité est pleinement intégrée par l’Église instituée, comme en témoigne la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception en 1854, selon lequel la Vierge Marie est préservée du péché frappant tous les autres êtres humains. Les sanctuaires érigés sur le lieu des apparitions sont le théâtre d’importants pèlerinages, qui connaissent un succès éclatant dans la seconde moitié du xixe siècle. Lourdes en est l’exemple emblématique. Certains de ces sanctuaires se situent en ville, mais les ruraux s’y pressent aussi, à la faveur du développement du chemin de fer.

Dans la seconde moitié du xixe siècle, le développement de ces pèlerinages répond aussi au désir de rendre le catholicisme visible, alors que s’affirment l’anticléricalisme et la contestation scientiste. Leur rayonnement est très variable. Tandis que certains sanctuaires drainent des fidèles venus de toute la France, d’autres ont une aire d’influence qui ne s’étend guère au-delà du diocèse, voire d’une cure ou d’une paroisse. En Bretagne, de nombreux pardons, souvent organisés dans des chapelles rurales, appartiennent à cette seconde catégorie. Ils associent la dimension cultuelle et festive et sont à l’échelle locale un temps fort de la vie religieuse et sociale. La religion chrétienne se donne encore à voir à travers les bâtiments qui fleurissent sur le territoire français. Dans plusieurs diocèses, plus d’une église sur deux est reconstruite au cours de la période concordataire. S’il s’agit parfois simplement de rénover un bâtiment délabré ou de se doter d’un lieu de culte adapté à une population en pleine expansion, l’objectif est également de montrer le dynamisme du christianisme à travers la pierre. Dans de nombreuses paroisses rurales, les catholiques unissent ainsi leurs efforts pour se doter d’églises neuves et imposantes. Cette flambée de constructions participe au triomphe de l’architecture néo-gothique, alors particulièrement prisée des fidèles désireux de retrouver la ferveur d’un Moyen Âge idéalisé. 

Même si la pratique religieuse connaît d’importantes variations en fonction des lieux, le xixe siècle est marqué par la vitalité du catholicisme dans les campagnes françaises. Le renouvellement spirituel en témoigne. Il porte la marque d’une double influence, en apparence plutôt paradoxale : celle d’une piété ultramontaine, qui participe à l’uniformisation du catholicisme, à l’échelle nationale voire internationale ; et celle des croyances populaires, caractérisées par la diversité, qui font l’objet d’une attention renouvelée. La religion vécue à la campagne est au point de jonction de ces deux courants. La rencontre entre la religion prescrite et l’autoconsommation spirituelle n’est pas forcément conflictuelle, car la piété ultramontaine se caractérise par sa propension à capter la religiosité populaire. Le dynamisme de l’Église catholique se voit aussi à l’abondance des vocations. Le xixe siècle est le « siècle des curés » (Denis Pelletier), tant du point de vue du nombre que de leur influence sociale. Il est aussi le siècle des congrégations, dont le poids se renforce au fil du siècle. Les frères et surtout les sœurs sont des figures incontournables des campagnes, dans lesquelles elles soignent et enseignent, jusqu’à ce que les lois anticléricales de la IIIe République ne leur portent un coup rude. Leur apport, souvent négligé, est essentiel et témoigne de l’adaptation des Églises chrétiennes aux enjeux posés par la modernité au xixe siècle.

Bibliographie

Boutry, Philippe, Prêtres et paroisses au pays du curé d’Ars, Paris, Cerf, 1986.

Cholvy, Gérard, Hilaire Yves-Marie, Histoire religieuse de la France contemporaine, tome I, 1800-1880, Toulouse, Privat, 1985 ; tome II, 1880-1930, Toulouse, Privat, 1986.

Hilaire, Yves-Marie, Une chrétienté au xixe siècle. La vie religieuse des populations du diocèse d’Arras (1840-1914), Lille, Publications de l’Université de Lille III, 1976.

Lagrée, Michel, Religion et cultures en Bretagne, 1850-1950, Paris, Fayard, 1992.

Lagrée, Michel, Mentalités, religion et histoire en Haute-Bretagne. Le diocèse de Rennes, 1815-1848, Paris, Klincksieck, 1977.

Langlois, Claude, Le diocèse de Vannes au xixe siècle, 1800-1830, Paris, Klincksieck, 1974.

Pelletier, Denis, Les catholiques en France de 1789 à nos jours, Paris, Albin Michel, 2019.


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