La Convention de Genève de 1979 : une collaboration internationale contre la pollution atmosphérique

Résumé

Au début des années 1970, la menace grandissante que font peser sur le nord de l’Europe les pluies acides anthropiques, c’est-à-dire directement liées à l’activité humaine, incite les pays scandinaves à collaborer dans la lutte contre la pollution atmosphérique. Commence alors une décennie de recherche scientifique au sein des organisations internationales afin de mieux comprendre l’acidification des précipitations et ses conséquences écologiques. En parallèle, la Suède et la Norvège cherchent à dépasser les tensions géopolitiques inhérentes à la guerre froide pour obtenir l’appui du bloc de l’Est dans leur combat contre les pluies acides. En résulte, en 1979, l’adoption de la Convention sur la pollution atmosphérique transfrontalière, texte pionnier en matière de protection de l’environnement.

Illustration 1 : Carte représentant l’emplacement des stations du réseau EMEP. Les points représentent les stations dont les données ont été exploitées afin de construire des modèles de répartition des émissions, les triangles représentent les stations dont les données n’ont pas été exploitées.  Source : ELIASSEN, Anton, SALTBONES, Jørgen, « Modelling of long-range transport of sulphur over Europe: A two-year model run and some model experiments  », Atmospheric Environment, vol. 17, n°8, 1983, p. 1457-1473
Illustration 2 : Carton d’invitation à la fête dansante pour la sensibilisation aux pluies acides organisée par l’association Time’s Up!, 1989.  Source : Time’s Up !
Illustration 3 : Photographie de conifères dépérissants et morts dans le massif du Harz, près de la commune de Clausthal-Zellerfeld en Basse-Saxe (République fédérale d’Allemagne) en août 1983 (picture-alliance/ dpa | Jörg Schmitt).

Le terme de « pluies acides » apparaît en 1872 sous la plume du chimiste écossais Robert Angus Smith (1817-1884) dans son ouvrage Air and Rain : the Beginnings of a Chemical Climatology. Il constate un phénomène d’acidification des précipitations qui trouve son origine dans l’industrialisation croissante du Royaume-Uni au cours du xixe siècle, et plus particulièrement dans la combustion du charbon. Celui-ci contient naturellement des petites quantités de soufre dispersées dans l’air lors de sa combustion et qui participent à la diminution du pH des pluies. Malgré ces premières observations, l’attention portée aux pluies acides ne dépasse par les débats d’experts jusqu’à la moitié du xxe siècle.

La pollution transfrontalière, menace environnementale d’un genre nouveau

La publication en octobre 1967 par le chimiste suédois Svante Odén (1924-1986) d’un article dans le plus grand quotidien de Suède, le Dagens Nyheter, marque le véritable point de départ de la controverse scientifique autour des pluies acides. Établissant un lien direct entre les émissions croissantes de dioxyde de soufre d’origine humaine et l’acidification des précipitations, il cherche à alerter le grand public sur les conséquences néfastes de ces pluies acides sur les cultures et les écosystèmes aquatiques. Surtout, il évoque pour la première fois l’idée d’une pollution transfrontalière, les pays pollués pouvant être victimes des émissions soufrées en provenance d’autres pays pollueurs. Si l’incertitude demeure encore largement quant à l’ampleur et à la dangerosité du phénomène, la perspective d’une disparition des poissons d’eau douce suscite l’inquiétude parmi les populations d’Europe du Nord. Afin de mieux comprendre le phénomène, Brynjulf Ottar (1918-1988), directeur du NILU (Norsk institut for luftforskning, l’institut norvégien dédié à la recherche sur l’air), propose au nom des pays scandinaves un programme de recherche portant sur les causes et conséquences de l’acidification de l’environnement. Ce projet, désormais connu sous le nom de programme LRTAP (Long-Range Transport of Air Pollutants) reçoit l’appui de l’OCDE et débute officiellement au printemps 1972. Il constitue une grande première en matière de coopération internationale dans la lutte contre la pollution atmosphérique – y participent onze pays d’Europe du Nord et de l’Ouest – mais rencontre néanmoins un certain nombre de difficultés. Économiques d’abord, car les principaux pays pollueurs, à l’instar de la France, du Royaume-Uni et de l’Allemagne de l’Ouest, rechignent à investir dans le programmeTechniques ensuite, car les nations participantes manquent d’expérience en matière de mesure de la pollution en dehors des zones urbaines. Méthodologiques enfin, car l’étude demande une harmonisation des pratiques scientifiques. 

La déclaration finale de la Conférence sur l’environnement de Stockholm de 1972, organisée par l’Organisation des Nations Unies, stipule dans son principe 21 que les États ont le devoir de ne pas causer, par leurs propres activités, de nuisances environnementales en dehors de leur juridiction. En d’autres termes, chaque pays peut désormais être tenu responsable des dommages causés par ses émissions polluantes, y compris en dehors de ses propres frontières. 

Une collaboration scientifique qui enjambe le rideau de fer

Le contexte géopolitique complique cependant cette diplomatie scientifique et environnementale, car la guerre froide conduit à l’exclusion systématique des pays du bloc de l’Est des projets de recherche. Or, les Scandinaves voient dans la possible participation des pays communistes un levier contre la réticence des gros pollueurs occidentaux – France et Royaume-Uni en tête – qui freinent l’avancée des recherches. Par ailleurs, les émissions de dioxyde de soufre ne respectent évidemment pas les frontières entre les deux blocs et Brynjulf Ottar, désormais chef de projet du programme LRTAP, soupçonne les démocraties populaires d’émettre de grandes quantités de polluants. La période de détente entre les deux superpuissances offre justement un nouveau forum de discussion :  la CSCE (Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe), où des contacts informels ont lieu avec les représentants est-allemands et soviétiques. Les sollicitations sont accueillies avec enthousiasme : pour l’URSS, une telle collaboration constituerait un gage de bonne foi de leur volonté d’apaiser les relations entre les deux blocs. Cela pousse Ottar à proposer officiellement un système européen de surveillance des précipitations acides placé sous le patronage de la Commission Économique des Nations Unies pour l'Europe. Ce système de surveillance et de mesure, dit EMEP (European Monitoring and Evaluation Program) voit officiellement le jour en janvier 1977 (ill. 1). Composé de 70 stations installées dans une vingtaine de pays, EMEP s’étend du Portugal à la Grèce en passant par l’Écosse et la Bulgarie. Il bénéficie d’un commandement partagé entre deux centres : l’un à l’Institut Hydrométéorologique de Moscou, et l’autre à l’Institut norvégien de Météorologie à Oslo. Si le programme souffre d’un certain nombre de problèmes techniques liés à la difficulté de faire transiter les données récoltées de part et d’autre du rideau de fer, ainsi que des soupçons mutuels liés au contexte géopolitique de la guerre froide, il apparaît néanmoins comme une incontestable réussite diplomatique qui scelle la coopération entre pays scandinaves et pays communistes. 

La convention de Genève, un succès contrarié ? 

Fortes de ces nouveaux contacts entre Stockholm, Oslo et Moscou, la Norvège et la Suède suggèrent en février 1977 l’organisation d’une conférence internationale sur les pluies acides, en vue de discuter d’un accord visant à stabiliser, puis réduire, les émissions soufrées. Cette proposition particulièrement ambitieuse soulève l’hostilité de certains pays occidentaux – en premier lieu du Royaume-Uni, alors fréquemment accusé par les Scandinaves d’être à l’origine, par ses émissions polluantes, des pluies acides qui touchent le nord de l’Europe. Afin d’empêcher l’adoption d’une convention juridiquement contraignante, les autorités britanniques n’ont de cesse de discréditer les résultats des recherches menées au sein du programme LRTAP. Ils sont soutenus par la France et l’Allemagne de l’Ouest qui s’opposent, eux aussi, au projet scandinave, au nom d’impératifs énergétiques. Cette stratégie du doute conduit les discussions dans l’impasse pendant près d’un an, laissant craindre l’adoption d’un accord vidé de sa substance. Le gouvernement étatsunien redoute une telle issue, qui représenterait à ses yeux un frein potentiel au processus de détente engagé avec l’URSS. 

La pression exercée par les États-Unis sur ses alliés occidentaux est payante : la version finale de la Convention est unanimement approuvée au printemps 1979, et officiellement signée à Genève le 13 novembre 1979. Forte de 32 signataires – soit la quasi-totalité des pays européens, l’URSS, les États-Unis, le Canada et la CEE –, la CLRTAP (Convention on Long-range Transboundary Air Pollution), premier accord international sur la qualité de l’air, est un succès majeur qui entérine l’idée d’une réponse globale à la pollution transnationale. Elle n’en demeure pas moins une source de déceptions pour certains responsables suédois et norvégiens, car le texte final résulte avant tout d’un compromis entre pays volontaires et pays réfractaires. Ainsi, si la Convention engage les parties contractantes à coopérer en matière de surveillance de la qualité de l’air, de collecte des données et de partage des avancées techniques, elle n’oblige à aucun engagement ferme et chiffré en matière de réduction des polluants.

La CLRTAP constitue le point d’orgue de la controverse des pluies acides, mais pas sa conclusion. Son entrée en vigueur en 1983 inaugure un nouveau cycle de négociations entre les États signataires afin de pousser plus loin encore la lutte contre la pollution soufrée. Les inquiétudes du grand public demeurent vives (ill. 2), d’autant plus que les pluies acides sont source de nouveaux problèmes dans les années 1980, tel le dépérissement des forêts en Europe centrale (ill. 3). La Convention n’en demeure pas moins un texte fondateur en matière de diplomatie environnementale. 

Bibliographie

Kaijser, Arne, « Combatting “Acid Rain”: Protecting the Common European Sky », dans Kupper, Patrick, Wöbse, Anna-Katharina (dir.), Greening Europe. Environmental Protection in the Long Twentieth Century – A Handbook, Berlin, Boston, De Gruyter Oldenbourg, 2022, p. 363-387.

Kott, Sandrine, Organiser le monde. Une autre histoire de la guerre froide, Paris, Seuil, 2021.

Rothschild, Rachel, Poisonous Skies: Acid Rain and the Globalization of Pollution, Chicago, University of Chicago Press, 2019. 


Source URL: https://ehne.fr/encyclopedie/thématiques/ecologies-et-environnements/les-risques-environnementaux/la-convention-de-geneve-de-1979-une-collaboration-internationale-contre-la-pollution-atmospherique