Histoire d’un métier : les puéricultrices en France après 1945

Résumé

En France, l’année 1945 est une année noire pour la mortalité infantile en raison des pénuries, du rationnement et du manque d’accompagnement des mères dans les soins apportés aux nourrissons. Conscient des enjeux sanitaires, le gouvernement fait adopter l’ordonnance du 2 novembre 1945 sur la protection maternelle et infantile (PMI) qui place sous le contrôle du ministère de la Santé publique tous les établissements accueillant les enfants en bas âge. Mais le texte n’a pas prévu de réglementer la formation des puéricultrices qui reste trop théorique selon certains pédiatres comme le professeur Marcel Lelong (1892-1973). La nécessité d’intégrer davantage la pratique des soins en milieu hospitalier sera à l’origine du décret ministériel du 13 août 1947 qui crée le premier diplôme d’État de puéricultrice et le certificat d’auxiliaire en puériculture.

Ill.1. Cours de puériculture centre d’apprentissage d’Halluin (Nord) en 1949/1950. Association à la Recherche du Passé d’Halluin (ARPH).
Ill.1. Cours de puériculture centre d’apprentissage d’Halluin (Nord) en 1949/1950. Association à la Recherche du Passé d’Halluin (ARPH). Source : www.alarecherchedupasse-halluin.net

Mise au point : l’ordonnance sur la protection maternelle et infantile, 2 novembre 1945.

En 1945, la mortalité infantile s’accroit très fortement en France : sur mille naissances, 110 décès de nourrissons de moins d’un an sont enregistrés, soit un taux de mortalité infantile de 11% ; un chiffre en augmentation par rapport aux années 1930 où seulement 70 à 80 décès pour mille naissances étaient enregistrés chaque année. Cette augmentation de la mortalité infantile s’explique par la rudesse de l’hiver 1944-1945, le rationnement d’après-guerre et la précarité des familles en 1945. Les médecins mettent également en cause la mauvaise nutrition des nourrissons, après avoir constaté que la plupart des décès résultaient de troubles gastro-intestinaux. 

Partant du constat que l’alimentation, notamment l’allaitement, constitue le principal levier de lutte contre la mortalité infantile, le ministère de la Santé publique et de la population lance une campagne destinée à promouvoir l’allaitement maternel pendant les quatre premiers mois de l’enfant. Afin d’encourager et d’encadrer l’allaitement, mais également d’augmenter le nombre de naissance au lendemain de la guerre, le gouvernement dirigé par Charles de Gaulle présente une ordonnance qui institue la protection maternelle et infantile (PMI), le 2 novembre 1945. 

Ce texte prévoit le versement d’allocations familiales, l’allongement du congé maternité, des primes à l’allaitement au sein et des consultations de nourrissons, encouragées par des primes d’assiduité versées aux parents. Il place sous le contrôle du ministère de la Santé tous les établissements qui accueillent et soignent les enfants du premier âge (de la naissance à 2 ans) et du deuxième âge (de 3 à 5 ans), c’est-à-dire les crèches, les Gouttes de lait (établissements accueillant les mères et leurs nourrissons), les pouponnières, les garderies, à l’exception des écoles maternelles qui dépendent du ministère de l’Éducation nationale. Les mères font l’objet d’une surveillance sanitaire et sociale, leur état de santé général est évalué pendant la grossesse et après l’accouchement, et les soins donnés à leurs enfants sont contrôlés dans les centre de PMI, parfois à domicile. Cette surveillance sanitaire des nourrissons est matérialisée, entre autres, par le carnet de santé, rendu obligatoire en 1945.

Pour assurer la protection et la surveillance des mères et des enfants du premier et deuxième âge, l’État s’appuie sur les médecins et les assistantes sociales qui doivent exercer dans les centres de PMI. Pourtant, l’ordonnance du 2 novembre 1945 ne se prononce pas sur la qualification professionnelle des puéricultrices qui s’occupent directement des nourrissons. Cette situation inquiète certains médecins qui enseignent à l’Ecole de puériculture, créée en 1919 au sein de la Faculté de Médecine de Paris, comme le montre la lettre adressée par le professeur Marcel Lelong au ministère de la Santé publique, le 8 mai 1946.

Document : un médecin s’inquiète du manque de formation pratique des puéricultrices (1946)

« L'application de la loi sur la protection maternelle et infantile risque de se heurter à une difficulté importante : l'insuffisance en nombre et en qualité des médecins spécialisés en puériculture, et des infirmières puéricultrices nécessaires à la mise en place et au bon fonctionnement des organismes prévus. Aussi est-il urgent de prévoir les enseignements indispensables. (…)

La puéricultrice est la collaboratrice indispensable du médecin puériculteur - sans elle, le médecin n'a pas d'influence durable, ni sur les organismes publics, ni sur les œuvres privées, ni sur les familles. Alors que l'action du médecin est discontinue celle de la puéricultrice est continue, en prise directe en quelque sorte. Le rôle de la puéricultrice est si prépondérant que certains médecins ne le voient pas sans quelque inquiétude, accusant l'infirmière d'empiéter sur le terrain médical. Cependant cet empiètement n'existe que si le médecin lui-même commence par abandonner le terrain, par négligence ou incompétence. Il ne serait d'ailleurs pas à craindre si l'enseignement des puéricultrices était ce qu'il devrait être, c'est-à-dire s'il cessait d'être autre chose que l'exposé théorique d'éléments de pathologie infantile vulgarisée, et s’il s'orientait nettement vers l'essentiel, c'est-à-dire : la pratique du nursing d'une part, le service social d'autre part. La puéricultrice est à la fois une excellente infirmière et une bonne assistante sociale. (…) Le gros du programme sera consacré à l'étude pratique du nursing, et au Service social.

Le nursing, c'est-à-dire l'ensemble des techniques professionnelles, suppose, non des conférences théoriques (dont on abuse généralement) mais des exercices pratiques dans des salles de démonstrations, et surtout des stages dans les hôpitaux. Pas d'école de puériculture sans un hôpital présentant de sérieuses garanties, tant en ce qui concerne son équipement matériel que son recrutement, son activité fonctionnelle, son personnel d'exécution et de direction. Les stages doivent représenter une participation effective et assidue (7 heures par jour, autant que la durée de travail d'une équipe d'infirmiers) à l'exécution du service. (…) L'étude du service social doit être poussée au maximum. La puéricultrice doit être, en ce qui concerne les problèmes posés par la mère et l'enfant, habilitée officiellement comme assistante sociale autant qu'infirmière. Dans la pratique, elle aura toujours à utiliser cette double compétence, étant selon les milieux, et dans un même milieu, selon les moments, plus infirmière que travailleuse sociale ou inversement. Elle doit, en tout cas, prendre en charge la mère et l'enfant, aux deux points de vue. (…)

La réalisation d'un tel programme nécessiterait, à notre avis trois années d'études spécialisées d'emblée, et la création d'un diplôme d'Etat de puéricultrice autonome, entièrement indépendant des diplômes non spécialisés déjà existant d'infirmière ou d'assistante sociale. »

Lettre de Marcel Lelong, professeur à la Faculté de médecine de Paris, sur l’enseignement de la puériculture, adressée au ministère de la Santé publique, 8 mai 1946

Éclairages : la nécessité d’apprendre les gestes techniques du soin en puériculture (1946)

Dans cette lettre rédigée le 8 mai 1946, le professeur à la Faculté de médecine Marcel Lelong constate « l'insuffisance en nombre et en qualité des médecins spécialisés en puériculture, et des infirmières puéricultrices nécessaires à la mise en place et au bon fonctionnement des organismes prévus [par [l’ordonnance du 2 novembre 1945] ». Le médecin dénonce l’absence de réglementation de la formation de puéricultrices par l'État français. En effet, en 1946, le ministère de la Santé publique n’intervient pas dans la formation des puéricultrices, formées principalement dans des organismes privés (Nouvelle Étoile des Enfants de France, pouponnière de Porchefontaine, pouponnières de la Croix-Rouge française, Maison maternelle de Blâmont…) ou dans l’Institut de puériculture créé en 1919 au sein de la Faculté de Médecine de Paris.

Marcel Lelong dénonce le contenu de l’enseignement délivré à l’Institut de puériculture, qualifié d’« exposé théorique d'éléments de pathologie infantile vulgarisée », qu’il recommande de remplacer par l’apprentissage de gestes techniques du « nursing » (soins aux nourrissons) et du travail social (accompagnement de la mère), deux tâches qui relèvent de professions différentes : celles d’infirmière (reconnue par un diplôme d‘État depuis 1922) et celle d’assistance sociale (reconnue par un diplôme d’État depuis 1932).

Pour le professeur en médecine, les cours théoriques de puériculture ne peuvent pas remplacer l’apprentissage des gestes du soin qui doit être, selon lui, effectué par des stages pratiques dans les hôpitaux. Cette préoccupation est alors celle de nombreux médecins qui s’inquiètent de la hausse de la mortalité infantile en 1945. 

Dans cette lettre, Marcel Lelong place au second plan le rôle d’assistante sociale des puéricultrices en insistant davantage sur l’enseignement pratique du nursing. Cette priorité accordée à l’enseignement des soins est réaffirmée dans le rapport que le professeur remet au ministère de la Santé publique le 29 juin 1946, rapport intitulé « L’enseignement de la puériculture et la loi sur la protection maternelle et infantile ». Dans ce rapport, Marcel Lelong recommande la mise en place d’un diplôme spécialement conçu pour les puéricultrices, réservé aux titulaires d’un diplôme d‘État d’infirmières, de sages-femmes ou d’assistante sociale.

Il est entendu par le ministère de la Santé publique qui publie le 13 août 1947 le décret qui institue le diplôme d’État de puéricultrice. Si le diplôme est ouvert aux assistantes sociales, dans les faits, les premières promotions d’écoles de puériculture sont surtout constituées d’infirmières. Le décret comprend aussi la création du certificat d’auxiliaire de puériculture qui ne figure pas dans les projets de Marcel Lelong. Ce certificat est décerné après une formation d’un an, accessible sans condition de diplôme et composée majoritairement de stages. Peu qualifiante, il s’agit de former « les exécutantes des services et les éleveuses de nourrissons », qui travaillent sous les ordres des puéricultrices.  

 Le programme d’enseignement publié dans les mois suivant le décret reprend la définition de la puéricultrice proposée par Marcel Lelong dans son rapport du 29 juin 1946 : celle-ci doit être « la clé de voûte de l’édifice prophylactique bâti par l’ordonnance du 8 novembre 1945 et la meilleure garantie de son efficience ». Pour le professeur en médecine, « la puéricultrice doit être au médecin des enfants et des nourrissons, ce que la sage-femme est à l'accoucheur ». 

Le décret du 13 août 1947 conduit à l’agrément officiel d’établissements délivrant des cours de puériculture et à la création de nouvelles écoles. Dès 1948, une dizaine d’écoles préparant au diplôme d’état (DE) de puéricultrice sont rattachées à des facultés de médecine (Strasbourg, Marseille, Bordeaux…) et reçoivent un agrément. En 1949, la profession de puéricultrice se structure au sein de l’association nationale des puéricultrice diplômées et étudiant (ANPDE). À partir de 1962, elle organise son Congrès annuel et publie une revue, Les cahiers de la puéricultrice. A l’occasion de ce premier congrès, le professeur Marcel Lelong précise que, contrairement aux intentions de 1947, les puéricultrices sont avant tout des infirmières spécialisées et non des assistantes sociales. De fait, l’écrasante majorité des élèves des écoles préparant au DE sont des infirmières, seulement 3 % sont assistantes sociales ou sages-femmes. 

Depuis 1947, la puéricultrice est reconnue comme la professionnelle la plus qualifiée pour s’occuper des enfants. Cette reconnaissance s’exprime par un ensemble de textes réglementaires qui réservent la direction d’établissements aux détentrices du DE de puéricultrice : 1956 pour les pouponnières, 1962 pour les établissements de protection maternelle et infantile. En 1972, la direction des écoles de formation est donnée aux puéricultrices. 

Dans la seconde moitié du vingtième siècle, la profession est marquée par l’évolution de la prise en charge du jeune enfant qui passe d’une approche hygiéniste et sanitaire à une approche psychologique, centrée sur le développement de l’enfant, au tournant des années 1970. 

Bibliographie

Berthiaud Emmanuelle, Léger François, et van Wijland Jérôme (dir.), Prévenir, accueillir, guérir. La médecine des enfants de l’époque moderne à nos jours, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, coll. « Histoire et civilisations », 2021.

Bouve Catherine, « De la garde à l’accueil. Les crèches françaises de 1945 à 1995, au carrefour d’une redéfinition de leurs normes politiques, sociales et pédagogiques », History of Early Education Institutions in Europe From WWII until the Recent Reforms. Bologna : Clueb, p. 23-48, 2022.

Cahen Fabrice, « Le gouvernement des grossesses en France (1920-1970) », Revue d’histoire de la protection sociale, no 1, vol. 7, p. 34‑57, 2014.

Norvez Alain, De la naissance à l’école : santé, modes de garde et préscolarité dans la France contemporaine, thèse de doctorat, Presses universitaires de France, coll. « Travaux et Documents 126 », 1990.

Rollet Catherine, La politique à l’égard de la petite enfance sous la IIIe République, thèse de doctorat, Institut national d’études démographiques, Presses universitaires de France, coll. « Travaux et documents », 1990.


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