Jusqu’à l’essor des études transnationales dans les années 1970, les historiens des relations internationales ont souvent privilégié l’étude des relations entre États, à qui le terme de diplomatie était réservé. Depuis, nombre de travaux se sont intéressés aux échanges et aux politiques internationales d’autres types acteurs, dont l’action peut être qualifiée de diplomatique. C’est le cas de l’action internationale des partis politiques, organisations dont l’objectif est d’accéder au pouvoir. Les relations que la diplomatie officielle d’un État et celle d’un parti politique entretiennent dépendent alors beaucoup du système politique considéré (démocratie, régime autoritaire) et de la place qu’y tient le parti (majoritaire, minoritaire, parti unique). Ces diplomaties peuvent entretenir différentes relations : parallèles, complémentaires ou concurrentielles.
Dans l’Europe contemporaine, les partis ont développé leur diplomatie selon trois modalités principales : au sein d’internationales partisanes, au travers des partis transnationaux de la Communauté européenne, mais aussi de manière autonome en fonction de leurs objectifs et moyens.
L’Europe, berceau des internationales partisanes
Les internationales partisanes sont les principaux cadres institutionnels multilatéraux dans lesquels se sont développées les diplomaties partisanes. À l’image de l’AIT, la plupart des internationales de partis ont un ancrage européen et ont joué un rôle important dans la structuration de la vie politique européenne.
Les grandes internationales ouvrières dites rouges sont les plus anciennes et les plus connues, à l’image de la Deuxième Internationale fondée en 1889. Après la Première Guerre mondiale et la révolution russe de 1917, le mouvement ouvrier se divise notamment entre l’Internationale communiste, appelée Komintern (1919), et les partis qui refusent les principes communistes et refondent une Internationale ouvrière socialiste (1923). Après la Seconde Guerre mondiale et durant la Guerre froide, à gauche comme à droite, toutes les familles politiques se structurent en internationales dont le siège et l’épicentre sont européens. Les plus pérennes seront les aïeules des futurs partis européens.
À gauche, la Guerre froide structure durablement la division : le Kominform ou « Bureau d'information des partis communistes », créé en 1947 et dissout en 1956, est le dernier avatar de l’internationalisme communiste piloté par Moscou. Il laisse place à une série de conférences des partis communistes, elles-mêmes contestées au milieu des années 1970 par les partis communistes espagnol, italien et français : ceux-ci cherchent à s’émanciper de la tutelle soviétique et à renouveler la pensée communiste dans le cadre des démocraties ouest-européennes. Ce mouvement « eurocommuniste » peine cependant à se structurer et disparaît à la fin de la décennie 1970. De son côté, le camp socialiste et social-démocrate refonde une Internationale socialiste à Francfort en 1951. Elle joue notamment un rôle important de soutien aux transitions démocratiques de l’Europe du Sud dans les années 1970.
Face à l’approfondissement de la mondialisation économique et politique, et face à la crainte suscitée par le Kominform, les droites se structurent également davantage à l’échelle internationale. En 1947 deux organisations sont créées : l’Union mondiale des partis libéraux (surtout européenne), mais également les « Nouvelles Équipes internationales » (NEI) qui renouvellent la première union démocrate-chrétienne de 1925, et qui deviennent en 1965 l’Union européenne des démocrates-chrétiens (UEDC). Les conservateurs suivent avec une première Union démocratique européenne en 1978, qui devient en 1983 l’Internationale conservatrice, par fusion avec des partis de la zone Pacifique. Enfin, si l’on parle parfois d’Internationale noire pour les droites radicales, une telle organisation pérenne n’existe pas, en dépit de la création en 1951 de deux mouvements néofascistes européens, le Mouvement social européen et le Nouvel Ordre européen.
Construction européenne et partis européens
Au début du xxie siècle, de nombreux partis politiques européens se rattachent ainsi à des organisations internationales desquelles l’Europe a souvent été le berceau historique. Ils sont dans le même temps membres de groupes politiques et partis supranationaux, acteurs centraux de l’histoire communautaire, dont les structures sont très liées à celle des internationales.
S’il n’existe pas dès le départ de partis européens supranationaux, dès les premières assemblées communautaires, les représentants ont eu tendance à se réunir non en groupes nationaux mais en groupes politiques selon des affinités idéologiques, afin d’avoir un débat réellement communautaire. C’est notamment le cas au sein de l’Assemblée commune de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) dès 1953. Le travail de coordination de certains groupes politiques s’accompagne parfois de la création de réels partis supranationaux, dont le rôle est explicitement reconnu par le traité de Maastricht en 1992. La perspective de la première élection du Parlement européen au suffrage direct en 1979 a favorisé l’essor de ces partis.
Les deux principaux partis européens actuellement représentés au Parlement européen sont emblématiques de cette histoire : le Parti populaire européen (PPE) et le Parti socialiste européen (PSE). Le PPE est officiellement fondé en 1976, affilié à l’Internationale démocrate-chrétienne, en parallèle de l’UEDC avec laquelle il fusionne en 1999. De même, le PSE est affilié depuis sa fondation en 1992 à l’Internationale socialiste et est l’héritier des anciennes organisations européennes de celle-ci (ill. 1), notamment de l’Union des Partis socialistes de la Communauté européenne (1974).
L’influence des partis européens sur les décisions européennes est complexe à mesurer et dépend de divers facteurs dont le degré de consensus de leur famille politique, leur poids électoral au sein des instances européennes, ainsi que le poids de certains de leurs partis membres sur leur propre scène nationale.
Une pluralité européenne de modèles de diplomaties partisanes
Hors de ces différentes organisations internationales, les partis politiques mènent aussi des diplomaties autonomes, en entrant en dialogue avec d’autres acteurs, généralement leurs homologues étrangers partout dans le monde. Le panel d’actions concernées est multiple : rencontres bilatérales ou multilatérales, participations à des congrès, aide financière ou militante, déclarations ou groupes de travail communs par exemple. Ce type de diplomatie concerne l’ensemble de l’échiquier politique.
Parmi tous les partis politiques européens, les partis allemands représentés au Bundestag sont ceux dont la diplomatie est considérée comme la plus puissante depuis 1945 grâce à un outil spécifique : leurs fondations politiques. La plus ancienne est la Friedrich-Ebert-Stiftung (1925), adossée au Parti Social-démocrate (SPD). Elles participent toutes de la mise en œuvre de la politique étrangère allemande tout en étant des outils de diplomatie partisane, et sont notamment très actives dans l’aide au développement, la coopération et la promotion de la démocratie.
Les actions diplomatiques des partis politiques européens sont ainsi une clé d’entrée importante pour comprendre l’histoire politique des États européens, celle de l’Europe communautaire ainsi que la présence politique de l’Europe dans le monde.
Anceau Éric, Boudon Jacques-Olivier et Dard Olivier (dir.), Histoire des internationales : Europe, xixe-xxe siècles, Paris, Nouveau monde éditions, 2017.
Delwit Pascal (dir.), Les fédérations européennes de partis : organisation et influence, Bruxelles, Éditions de l'Université de Bruxelles, 2001.
Dakowska Dorota, Le pouvoir des fondations : des acteurs de la politique étrangère allemande, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014.