Affirmation d’une « diplomatie consulaire » à l’époque contemporaine

Apparus au Moyen Âge, les consulats sont institutionnalisés à l’époque moderne par les différents États européens dans un souci premier d’intermédiation commerciale. À partir du xixe siècle, le statut et le positionnement des consulats et de leurs titulaires connaissent des évolutions majeures, bien que progressives, qui les arriment solidement – mais pas complètement – aux diplomaties européennes. C’est là tout l’enjeu de la « diplomatie consulaire ».

Adolphe Billecoq, consul français de Bucarest, dans les années 1840. Source : Anonyme, Voyage illustré dans les cinq parties du monde en 1846, 1847, 1848, 1849, p. 93
Carte postale représentant les consuls généraux et officiers militaires des Quatre Puissances (France, Italie, Russie, Grande-Bretagne) pendant la période d’autonomie de la Crète (1897-1913). Source : E. A. Cavaliero, La Canée, Crète, 1906, via Wikimedia Commons. https://goo.gl/nGmTUc
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Jusqu’au milieu du xxe siècle, l’action des consulats et de leur personnel n’était pas qualifiée de « diplomatie », terme réservé à l’activité des professionnels des relations extérieures d’un État souverain. Comme en attestent les traités bilatéraux, ordonnances, manuels consulaires et autres textes juridiques, l’institutionnalisation des consulats entre les xviie et xixe siècles avait pour objet premier d’en faire des administrations locales au service des ressortissants « nationaux » à l’étranger. En aucun cas, il n’était prévu qu’ils représentent l’État lui-même ou sa ligne politique. Leurs agents étaient d’abord considérés comme des intermédiaires et des facilitateurs des relations internationales, notamment commerciales. Pourtant, suivant un processus qui s’opère tout au long du xixe siècle de manière informelle et coutumière, les consuls sont progressivement assimilés aux diplomates et leurs fonctions à une véritable diplomatie consulaire. Cette évolution résulte de la fixation de pratiques dont l’initiative provient de tous les acteurs de la sphère diplomatique, quelle que soit l’échelle. L’analyse doit néanmoins prendre en compte la variété des situations locales et il serait donc plus juste de parler de « diplomaties consulaires ».

À partir de la fin du xviiie siècle, les institutions consulaires européennes, originellement affiliées aux secrétariats d’État à la Marine ou aux compagnies de commerce, sont désormais rattachées aux ministères des Affaires étrangères : c’est le cas en 1793 des consulats français, britanniques en 1826, grecs en 1833 ou encore de ceux de l’Italie et de l’Allemagne, respectivement en 1860 et 1871, dans la foulée de leur unification nationale. A contrario, les représentants des territoires dont la souveraineté est contestée ne peuvent pas prétendre au titre de consuls mais uniquement d’attachés commerciaux. C’est notamment le cas des agents nommés par la Bulgarie dans l’Empire ottoman aux lendemains du traité de Berlin (1878).

Outre l’évolution sémantique, ces nouvelles affiliations modifient les relations des consulats avec leur hiérarchie. Le fonctionnement des appareils diplomatiques entraîne une bureaucratisation et une normalisation croissantes du travail consulaire. Les instructions générales données lors de la prise de fonction disparaissent ainsi au profit d’une succession de circulaires et de dépêches, en sus des ordonnances générales. Cette surenchère administrative vise à rationaliser les productions consulaires (modèles à remplir, numérotation des dépêches, traitement unique des sujets) dans un contexte à la fois de réorganisation des administrations centrales (apparition des divisions politique et commerciale notamment) et d’intégration des consulats aux machines diplomatiques, facilitée par les nouveaux moyens de (télé)communications.

Par ailleurs, le travail des consuls se transforme en profondeur à la fin du xixe siècle. Ainsi, la pratique politique des agents apparue dans le sillage des révolutions atlantiques et de leur diffusion, se formalise au gré des événements – révoltes nationales, guerres civiles, conflits régionaux et internationaux – jusqu’à devenir une composante structurelle des attributions consulaires, au même titre que les compétences commerciales. Les consuls participent aussi pleinement aux formes nouvelles d’intervention des impérialismes européens au sein de leurs zones d’influence. Ils les anticipent même parfois. Ils se positionnent ainsi comme précurseurs et fers de lance des diplomaties culturelles. C’est le cas du soutien et de la promotion d’institutions paraétatiques comme l’Alliance française (1884), l’Allgemeiner Deutscher Schulverein (Allemagne, 1881), ou la société Dante Alighieri (Italie, 1889).

Enfin, le xixe siècle est marqué par la diffusion plus large des productions consulaires, comme en témoignent les publications officielles de leurs dépêches, in extenso ou partielles, dans les Livres jaunes (France), bleus (Angleterre), roses (Russie)… Cette médiatisation change à la fois la façon dont les consulats sont perçus et la manière dont leurs titulaires se mettent en scène. Dès lors, les frontières entre commentaires – posture consulaire attendue – et prise de décisions – domaine réservé de la diplomatie – deviennent perméables. Et bien qu’il soit difficile de mesurer sa réelle influence sur le processus décisionnel, l’activité des consuls, par la redondance, l’abondance et le croisement des informations, prend pleinement part à la diplomatie nationale.

Ces mutations dépassent le périmètre des fonctions consulaires et concernent la figure même du consul. Bien que le processus varie dans ses modalités et ses rythmes selon les États, le consul idéal, par sa formation, sa carrière et son positionnement social, devient progressivement un fonctionnaire au service de l’État, s’éloignant du prototype d’« enfant de la balle » qui le caractérisait à l’époque moderne. Ainsi, alors que, jusqu’à la fin du xviiie siècle, les agents faisaient la totalité de leur carrière hors des frontières nationales, gérant parfois un seul et unique poste, ils doivent, à partir de la fin du xixe siècle, changer d’affectation tous les trois ans, ne peuvent cumuler les séjours à l’étranger et ont obligation d’occuper des emplois au sein des administrations centrales. Les consuls s’intègrent alors de fait au corps des hauts fonctionnaires des différents États européens, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des frontières nationales.

Pourtant, la deuxième moitié du xixe siècle est marquée par l’apparition sur la scène internationale de la figure de l’expert, dont les missions entrent en concurrence avec celles des consuls. Se voyant refuser à la fois le titre de diplomate et celui d’expert, ces derniers doivent dès lors réinventer leurs fonctions tout en réaffirmant leurs spécificités.

C’est au cœur des « territoires profonds des relations internationales » que s’inscrit et se déploie véritablement la diplomatie consulaire. Que ce soit dans le cadre de leur circonscription, véritable machine diplomatique en miniature, ou au sein des espaces urbains dans lesquels ils vivent, les consuls rejouent, à leur échelle, les scansions du système international. S’ils ne participent pas à la prise de décisions en matière de politique générale, les consuls les adaptent, les interprètent, les contredisent sans arrêt, à l’exemple des capitulations en terre ottomane. Mise devant le fait accompli, leur hiérarchie ne peut que constater et appuyer officiellement leurs démarches, quitte à les réprimander voire les muter en cas de faute lourde. Le positionnement de la diplomatie centrale est à la fois ambigu et assumé : d’une part, elle refuse aux consuls le statut de diplomate, d’autre part, elle leur en donne les clés de lecture et de représentation tant dans l’apparat – uniforme, hôtel, personnel – que dans le statut, les consuls bénéficiant de facto des immunités diplomatiques. Dès lors, ces acteurs secondaires des États européens à l’étranger appartiennent de fait et de droit, en tant que corps constitué, au panthéon des personnalités locales à l’étranger, au-delà même de parcours individuels plus ou moins remarquables.

Citer cet article

Mathieu Jestin , « Affirmation d’une « diplomatie consulaire » à l’époque contemporaine », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 22/06/20 , consulté le 19/04/2024. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/12184

Bibliographie

Jestin, Mathieu, « Les identités consulaires dans la Salonique ottomane, 1781-1912 », Monde(s), Histoire, espaces, relations, no 4, 2013, p. 189-209.

Marzagalli, Silvia (dir.), Les consuls en Méditerranée, agents d’information, xvie-xxe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2015.

Ulbert, Jörg, PRIAC Lukian (dir.), Consuls et services consulaires au xixe siècle, Hambourg, DOBU Verlag, 2010.

Windler, Christian, La diplomatie comme expérience de l’autre, consuls français au Maghreb (1700-1840), Genève, Droz, 2002.

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