En 1997, au cours d’un débat sur l’Alliance atlantique, Madeleine Albright déclare aux sénateurs américains : « Let us not deceive ourselves. We are a European power. » [« Ne nous leurrons pas. Nous sommes une puissance européenne. »] La secrétaire d’État de Bill Clinton souligne ainsi l’importance de la construction culturelle du lien transatlantique dans la politique européenne des États-Unis. La fin de la guerre froide pose néanmoins la question des fondements et de l’évolution des relations transatlantiques dans un ordre international en pleine mutation.
La guerre froide (1947-1991) a été un élément structurant des relations transatlantiques durant plus de quatre décennies – la constitution de deux blocs autour de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) et du pacte de Varsovie ayant créé deux Europe distinctes et relativement isolées l’une de l’autre. La libéralisation de la Pologne et de la Hongrie ainsi que la chute du mur de Berlin au cours de l’année 1989 remettent en cause cette logique, entraînant le démembrement du bloc de l’Est puis la dissolution d’une URSS déjà fragilisée politiquement et économiquement. La guerre froide se termine donc sans combat majeur par une victoire de l’Occident et de ses valeurs.
La disparition de ce que George Bush qualifie d’« ancienne Némésis » dans la Stratégie de sécurité nationale au début de l’année 1993 provoque alors, auprès d’une partie des conservateurs et des réalistes de l’administration et du Congrès, la tentation d’un désengagement du continent européen après plus d’un demi-siècle d’intervention outre-Atlantique. Alors que le président a déjà signifié sa volonté de rester engagé en Europe – par les mécanismes d’aide politique et économique des SEED Act (1989) et FREEDOM Support Act (1992) notamment –, les affrontements en ex-Yougoslavie témoignent de la nécessité d’une présence américaine pour préserver les récents acquis de la paix. À la faveur du changement d’administration, les États-Unis pérennisent ainsi leur engagement européen et donnent une nouvelle impulsion à l’OTAN.
L’Alliance atlantique a donc un rôle à jouer dans le monde post-guerre froide et ce d’autant plus qu’un certain nombre d’États d’Europe de l’Est affiche le désir de s’en rapprocher après l’élargissement de l’organisation à l’Allemagne de l’Est en 1990. En 1994, l’OTAN lance ainsi un programme de coopération bilatérale avec les États de l’espace euro-atlantique appelé Partenariat pour la paix (PPP). L’adhésion immédiate des anciens membres du pacte de Varsovie soulève la question d’un nouvel élargissement de l’organisation, et ce malgré les inquiétudes de la Russie. Dès 1997, les Alliés y répondent sans ambigüité : l’ensemble des démocraties susceptibles de renforcer la sécurité euro-atlantique peut faire acte de candidature. Cette politique d’ouverture aboutit à trois élargissements successifs en 1999, 2004 et 2009 – l’OTAN comptant désormais 28 États membres.
L’élargissement rend plus évidente encore la nécessité de la définition d’une nouvelle politique pour l’Alliance. Le Nouveau concept stratégique (1991) montre, en effet, rapidement ses limites. Alors que l’OTAN intervient pour la première fois hors de ses frontières dans les Balkans à partir de 1993, la notion de défense collective doit être réévaluée. Le Concept stratégique adopté en 1999 confirme ainsi la nouvelle mission de prévention et de gestion des crises et des conflits. Par la suite, l’invocation de l’article 5 en réaction aux attentats du 11 septembre 2001 entraîne une nouvelle précision de la notion de défense collective et confère à l’Alliance une nouvelle mission : le combat contre le terrorisme. Cette nouvelle phase de définition du rôle de l’OTAN conduit l’organisation à prendre le commandement de la coalition internationale en Afghanistan entre 2003 et 2014.
Cette évolution se fait, dans une certaine mesure, en lien avec le renforcement des structures européennes. Tout d’abord, l’ensemble des États de l’Union européenne (UE) sont membres de l’OTAN ou du PPP. Ensuite, les accords « Berlin plus » mis en place 2003 donnent à l’UE accès à certaines ressources de l’Alliance pour ses propres missions de gestion de crise. Enfin, les tentatives de rapprochement économique entre les États-Unis et la Communauté économique européenne – puis l’UE – doivent consolider les liens transatlantiques par la défense d’intérêts communs. Dès 1990, les États-Unis et l’Europe font une déclaration en ce sens et lancent, en 1998, les travaux pour l’établissement d’un Partenariat économique transatlantique. Après plusieurs années de négociations, le Conseil économique transatlantique voit le jour en 2007 afin de coordonner l’harmonisation des règles et des normes atlantiques et de donner un cadre aux négociations d’intégration économique. C’est sur la base des travaux du Conseil que le président des États-Unis propose en 2013 la création du Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP) toujours en négociation.
Les difficultés à conclure cet accord révèlent les divergences économiques de fond entre les deux rives de l’Atlantique. Alors que les institutions européennes connaissent un renforcement substantiel à partir de la fin des années 1980 avec l’Acte unique européen (1986) puis le traité de Maastricht (1992), la rivalité économique et normative avec les États-Unis s’intensifia. L’agriculture fut un point de divergence récurrent depuis les négociations de l’Uruguay Round (1986-1994) du GATT. Si la situation fut partiellement débloquée en 1992 par une modification de la Politique agricole commune (PAC), et si ce déblocage permit la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1995, les subventions agricoles restent centrales pour les relations atlantiques. Durant le Doha Round (2001-2008) de l’OMC par exemple, les États-Unis et l’Europe ne trouvent que des accords partiels, de nouvelles tensions naissant à propos de l’accès aux marchés latino-américains. Les succès économiques des États-Unis sur le continent depuis la signature de l’Accord de libre-échange nord-américain en 1992 sont, en effet, limités par les rivalités transatlantiques. Le projet de Zone de libre-échange des Amériques proposé par Washington en 1994 est suspendu en 2005 alors que, d’un côté, l’UE maintient sa PAC – obligeant les États-Unis à conserver les subventions agricoles dénoncées par leurs partenaires régionaux – et, de l’autre, multiplie les propositions de partenariats à l’égard de l’Amérique latine.
Cette rivalité devient pourtant progressivement secondaire face à l’évolution des relations économiques internationales et l’émergence de la Chine. Si l’adhésion de cette dernière à l’OMC en 2001 doit permettre son intégration maîtrisée au système économique mondial, la stratégie mise en œuvre ensuite par Pékin – en matières monétaires et douanières notamment – rend plus nécessaire encore la protection des intérêts économiques communs par un rapprochement transatlantique, conférant une dimension globale au TTIP. La prospérité de l’espace atlantique doit, par ailleurs, renforcer sa sécurité. L’affaiblissement économique des États-Unis ou de l’Europe fragilise, en effet, leur capacité à répondre aux menaces de ce nouvel ordre international, dans lequel leur rôle normatif, diplomatique et sécuritaire se trouve contesté. Des attentats du 11 septembre 2001 à la crise ukrainienne débutée en 2013, la communauté atlantique connaît alors – malgré les tensions du dossier irakien en 2003 ou le pivot asiatique souhaité par Barack Obama – un nouveau souffle autour des mécanismes de solidarité de l’Alliance.