Dans les années 1950-1960, Robert Palmer et Jacques Godechot ont popularisé la thèse de la « révolution atlantique », cette ère des révolutions au xviiie siècle, visant, des deux côtés de l’Atlantique, à mettre en place des démocraties, des républiques, fondées sur les principes communs de liberté, d’égalité, de souveraineté nationale : une communauté idéologique qui permet la mise en place d’un système démocratique de part et d’autre de l’océan Atlantique. Leur hypothèse est présentée lors du Xe congrès international des sciences historiques de 1955, à Rome, sous le nom de « problème de l’Atlantique ». Il est extrêmement important de situer cette thèse dans son contexte : en pleine guerre froide, cette lecture crée du lien entre les deux rives de l’Atlantique. Une histoire commune, porteuse de valeurs communes. Au même moment, d’autres intellectuels interrogent cette « communauté atlantique ». La définition des valeurs atlantiques fait l’objet d’une conférence en décembre 1957 organisée par le collège de l’Europe et l’université de Pennsylvanie. Les participants se mettent d’accord sur plusieurs critères : le respect pour la valeur intrinsèque de la personne comme telle, valeur qui transcende toute conception idolâtrique et absolue de l’État ; l’affirmation que la liberté est inséparable de la responsabilité morale qui suppose la référence à une loi supérieure ; la conviction que la liberté est inséparable de la solidarité humaine et du devoir de faire accéder progressivement tous les hommes aux biens matériels et spirituels. Après cette conférence, la publication d’un livre collectif, sous la direction d’Henry Brugmans, Léo Moulin, Ernst Bieri, Hans Kohn et Milorad Drachkovitch entérine les conclusions des débats (La conférence sur la communauté atlantique. Valeurs de base de la communauté atlantique, 1961). En France, André Malraux élabore lui aussi une théorie de la communauté atlantique : autour de l’Atlantique, comme autour de la Méditerranée dans le monde antique, une civilisation commune s’épanouit. Cette même définition se retrouve chez Raymond Aron : « Si nous définissons communauté une nation ou un ensemble de pays, dont les cultures, au sens des ethnologues, appartiennent à la même famille, Européens et Américains constituent aujourd'hui une communauté. »
Pourtant, on peut se demander malgré ces efforts, ou justement à cause de ces efforts, s’il existe bien une communauté atlantique, ou si le lien transatlantique n’est pas davantage une simple contingence de la guerre (les deux guerres mondiales et surtout la guerre froide). Pourquoi se donner tant de mal à justifier l’existence d’une communauté atlantique si son existence est aussi évidente que ces intellectuels le laissent entendre ? Car les réflexions sur la communauté atlantique correspondent alors à un besoin politique, dans le contexte de guerre froide. Non sans difficulté. Insistant sur la démocratie et la liberté comme valeurs fondamentales de cette communauté, les frontières politiques ou géographiques en sont fluctuantes (le Portugal de Salazar ou la Turquie orientale, membres de l’OTAN, appartiennent-ils à cette communauté ? et l’Espagne de Franco ?).
Surtout, la réflexion menée sur la notion de communauté atlantique diffère d’une rive à l’autre de l’océan. La mention religieuse et chrétienne de la communauté atlantique revient très fréquemment dans les discours américains. L’Alliance atlantique est pour beaucoup d’entre eux l’alliance des chrétiens occidentaux contre l’athéisme communiste. Lors des débats sur l’adhésion de la Turquie en 1951, des voix s’élèvent d’ailleurs contre la participation d’un pays non chrétien à la coalition. Pour un Français, cette conception prend à rebrousse-poil le concept de laïcité. Mais elle n’est pas si incongrue pour un Allemand, ou un Italien. En réalité, les Européens eux-mêmes ne sont pas d’accord sur le sens à donner à la notion. Alors comment les Américains seraient-ils d’accord avec l’ensemble des Européens ? En fait, même s’il est rare qu’une certaine communauté de culture ou de valeurs entre l’Europe et les États-Unis soit niée, les points de vue divergent en fonction de la définition de l’Europe en question, et ensuite sur ce que doivent être les fondements des liens entre les deux rives de l’Atlantique. Communauté stratégique ? C’est peut-être la plus évidente. L’OTAN en est une concrétisation. Même la France est « rentrée au bercail » en 2007 en réintégrant le commandement intégré de l’Alliance, et les candidatures permanentes pour rejoindre l’OTAN sont un signe de son succès. Communauté économique ? C’est moins évident. Le capitalisme sert de trait d’union, bien sûr. Mais justement, il introduit la concurrence. Le plan Marshall a suscité la création de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE), en 1948. La relation se fait alors entre un pays, les États-Unis, et une organisation européenne : relation inégale entre un donateur et des bénéficiaires. La CEE vient en 1957 conforter cette dimension économique, par des liens établis entre la CEE et les États-Unis ou entre la CEE et le Canada, par exemple. Côté « américain », l’Alena et l’UNASUR viennent assurer le pendant « occidental » de l’UE en termes d’économie, et pour l’UNASUR, en termes d’ambition politique. Mais si les partenariats économiques se construisent sur chaque rive, comment les assurer d’une rive à l’autre ? Communauté politique ? La relation politique est davantage cantonnée au niveau des relations entre États. L’absence de politique extérieure commune européenne oblige à un dialogue entre acteurs étatiques. L’hégémonie américaine sur le bloc occidental rend tout dialogue inégal. Bien sûr, la participation à l’OTAN favorise des prises de position communes. La relation militaire s’inscrit dans le cadre de l’OTAN, entre les États-Unis et chacun des pays partenaires. Les tentatives pour mettre en place un « pilier européen » de l’Alliance peinent à se concrétiser.
Surtout, aux États-Unis, cette communauté apparaît généralement comme une vue d’avenir, et non une réalité présente. En Europe, on cherche dans le passé pour justifier la collaboration dans le présent.