Les prémices : une politique de l’information
En 1958, alors qu’il avait quitté la présidence de la Haute Autorité trois ans auparavant, Jean Monnet crée l’Institut de la communauté européenne pour les études universitaires, une institution privée, sans lien avec les communautés européennes mais visant à leur promotion en encourageant la recherche et l’enseignement sur des problèmes liés à la construction européenne dans les universités européennes. La même année 1958 est créé le Service de presse et d’information des communautés européennes sous la direction de Jacques-René Rabier, un fédéraliste convaincu, proche collaborateur de Monnet. Dès 1960, ce service, qui ambitionne la formation d’un esprit européen au sein de l’opinion publique, se dote d’une unité dédiée à l’information universitaire. Selon Rabier, l’université peut conférer à la construction européenne « une sorte de légitimité de grande importance en en faisant l’objet de recherche, d’enseignement et d’examen ». Un document administratif du Service de presse de 1962 suggère que l’université pourrait avoir pour la construction européenne un rôle identique à celui joué dans les constructions nationales. Du fait de cette approche nettement fédéraliste, les actions du Service de presse sont très vite critiquées par certains États membres, notamment la France de De Gaule. La création de liens entre les institutions européennes, les universitaires et la promotion du projet européen via le savoir académique apparaissent comme un moyen de contourner cette résistance. L’unité Information universitaire qui, à partir de la fusion des exécutifs des communautés européennes en 1967, a intégré la Direction pour l’information (DG X), organise ainsi une série d’actions destinées au monde universitaire, comme la visite des institutions européennes par des étudiants, l’accueil de chercheurs travaillant sur la construction européenne ou encore la création dans diverses universités de centres de documentation sur l’Europe qui servent de matrice aux instituts d’études européennes ouverts dès la seconde moitié des années 1960.
Une université européenne ?
En parallèle de ces initiatives modestes du fait des moyens très limités du Service de presse, un projet intergouvernemental très ambitieux se développe au cours des années 1960 : celui d’une université européenne. Ce n’est finalement pas une université – institution clé que les États membres souhaitent réserver au cadre national – mais un Institut universitaire européen (IUE) qui ouvre ses portes en 1976 à Florence. Cet institut dédié aux sciences humaines et sociales tisse très tôt des liens étroits avec les communautés européennes et certains de ses membres cherchent à donner une dimension politique et pro-européenne à ses activités. Certains professeurs, notamment d’histoire et de sciences politiques, résistent à cette tendance, considérant inacceptable toute influence idéologique sur leur travail. Sur le long terme, on observe ainsi une progressive émancipation de l’agenda académique de l’IUE vis-à-vis des institutions européennes.
Les programmes phares : Erasmus et Jean Monnet
Dans la seconde moitié des années 1980, la DG X conçoit deux programmes d’envergure : Erasmus, lancé en 1987 et visant à la mobilité étudiante, et Jean Monnet, qui débute en 1990 avec l’ambition de promouvoir l’enseignement sur les communautés européennes dans les universités. Comme pour d’autres projets de la DG X par le passé, la bataille est longue pour imposer ces programmes à un conseil des ministres peu enclin à soutenir les politiques dans les domaines de l’information et de l’éducation, considérés comme la chasse gardée des États membres. Dans les bras de fer institutionnels qui ponctuent l’action de la Commission européenne en direction du monde universitaire, la DG X trouve souvent l’appui du Parlement européen qui sait attribuer les fonds nécessaires au lancement de projets pilotes sur la base desquels des programmes durables peuvent émerger. Erasmus devient une des success stories célébrées à l’envi par l’Union européenne, et le programme Jean Monnet se diversifie en finançant des modules d’enseignement, des chairs ad personam de professeurs, et des centres d’excellence dédiés à la recherche sur l’Union européenne. Il est important de souligner que la concrétisation de ces programmes dans un contexte institutionnel et politique souvent hostile doit beaucoup à la pérennité du personnel administratif de la DG X, souvent des fonctionnaires de la « génération Monnet » engagés dès les années 1960 et ayant préservé l’esprit fédéraliste de cette période. Ainsi, Jacqueline Lastenouse qui, en 1987, donne l’impulsion au futur programme Jean Monnet, a débuté dans l’unité Information universitaire du Service de presse en 1962.
Un changement de paradigme
Depuis les années 2000 s’opère une rupture avec l’esprit et les méthodes des pionniers. La réforme de la Commission européenne en 2000 et les élargissements de 2004 et 2007 ont profondément modifié le mode de fonctionnement et le profil des agents de cette institution, l’approche militante ayant progressivement laissé place à une culture managériale plus marquée par le paradigme économique et les stratégies de communication. Une première évolution notable est l’ouverture des deux programmes phares, Erasmus et Jean Monnet, à l’international. Alors qu’à l’origine, l’objectif central était la promotion d’un esprit européen auprès des professeurs et étudiants des États membres, ces programmes développent des actions à l’étranger et pour les étrangers, participant ainsi à une stratégie d’influence de l’Union européenne dans le monde.
La création du European Research Council (ERC) en 2007 constitue aussi une évolution cruciale. Cette puissante institution de financement de la recherche vise toujours une européanisation par le haut, ciblant l’élite académique, mais non plus par la création de liens pérennes entre les institutions communautaires et les acteurs académiques mais en faisant jouer le levier de la compétition. La science promue par l’ERC est évaluée et rétribuée en fonction de son efficacité, de l’utilité sociale et/ou économique de ses résultats. Il s’agit ainsi de légitimer l’Union européenne non plus en en faisant un objet de recherche et d’enseignement mais en la transformant en « économie de la connaissance la plus compétitive et dynamique du monde », comme l’annonçait la stratégie de Lisbonne de 2000.