Les écoles de cinéma en Europe au xxe siècle : révolutions politiques et artistiques

Faut-il passer par les bancs d’une école pour travailler dans le cinéma ? La question de l’encadrement pédagogique dépasse le seul cercle des professionnels du cinéma : dès l’entre-deux-guerres, des responsables politiques, conscients de la puissance des images mobiles sur les imaginaires des populations, ont cherché à contrôler les structures de l’industrie du cinéma et à former la future élite cinématographique de leur pays. L’Union soviétique et l’Italie fasciste sont les premiers à s’en préoccuper. En France, c’est également sous un régime autoritaire – le gouvernement de Vichy – que s’esquisse un centre de formation aux différents métiers du cinéma. Enfin, la soif d’images filmées qui s’étend au monde entier conduit après la guerre et avec les débuts de la guerre froide à l’émergence de nombreuses écoles de cinéma nationales.

J.-P.-A. Gronier, « Conservatoire du cinéma », Regards, 17 juin 1945, p. 7-8. © BnF.
J.-P.-A. Gronier, « Conservatoire du cinéma », Regards, 17 juin 1945, p. 7-8. © BnF.
J.-P.-A. Gronier, « Conservatoire du cinéma », <em>Regards</em>, 17 juin 1945, p. 7-8. © BnF.
J.-P.-A. Gronier, « Conservatoire du cinéma », Regards, 17 juin 1945, p. 7-8. © BnF.
J.-P.-A. Gronier, « Conservatoire du cinéma », <em>Regards</em>, 17 juin 1945, p. 7-8. © BnF.
J.-P.-A. Gronier, « Conservatoire du cinéma », Regards, 17 juin 1945, p. 7-8. © BnF.
J.-P.-A. Gronier, « Conservatoire du cinéma », <em>Regards</em>, 17 juin 1945, p. 7-8. © BnF.
J.-P.-A. Gronier, « Conservatoire du cinéma », Regards, 17 juin 1945, p. 7-8. © BnF.
J.-P.-A. Gronier, « Conservatoire du cinéma », <em>Regards</em>, 17 juin 1945, p. 7-8. © BnF.
J.-P.-A. Gronier, « Conservatoire du cinéma », Regards, 17 juin 1945, p. 7-8. © BnF.
Sommaire

Les premières écoles de cinéma dans l’entre-deux-guerres : un cinéma au service du politique

La première école du cinéma au monde voit le jour en Russie soviétique à l’initiative du réalisateur russe Vladimir Gardine en 1919, soit deux ans après la Révolution d’octobre 1917, au moment même où le nouveau gouvernement des Bolcheviks déclare la nationalisation de toutes les infrastructures liées à l’industrie du cinéma. Cette étatisation est dans un premier temps bien plus théorique que réelle. Au début, le Collège de cinéma d’État (en russe Gosudarstvennyj Tehnikum Kinematografii, dit GTK) vit surtout de l’enthousiasme de ses enseignants et de ses étudiants bien plus que de l’aide de l’État, avec au centre des discussions l’art cinématographique et son rapport aux autres arts, l’impact des images sur les spectateurs, ou l’analyse de films russes et étrangers. À partir de 1924, l’État reprend la main sur le GTK qui devient un établissement d’enseignement supérieur renommé Institut d’État de la cinématographie (VGIK). Lors du Grand Tournant (1929-1933) amorcé par Staline, la formation s’élargit à des personnes venues des classes paysannes ou ouvrières et de différentes régions de l’URSS, et impose un modèle de création : le réalisme socialiste. Néanmoins, le VGIK reste un lieu où l’expérimentation artistique reste possible pour les étudiants regroupés au sein d’« ateliers » (masterstvo en russe) dirigé par des cinéastes confirmés tels Sergei Eisenstein, Lev Koulechov ou Vsevolod Poudovkine. On y apprend à être réalisateur, scénariste, décorateur, chef opérateur, etc.

Au même moment, répétant les mots prêtés à Lénine, Benito Mussolini affirme que le cinéma est « l’art le plus important de tous ». Déjà en 1924, le Duce avait impliqué l’État fasciste dans l’industrie cinématographique, en devenant le principal actionnaire d’une société de production qu’il renomme L’Unione cinematografica Educativa (LUCE). Progressivement l’État s’infiltre dans les différentes branches de cette industrie afin de la redynamiser après que le passage au cinéma parlant l’a fortement ébranlé. La Corporazione dello Spettacolo, organisme encadrant tous les professionnels du spectacle dans l’Italie fasciste, prône la création d’une école officielle du cinéma en Italie. Il y voit la possibilité de former sur le modèle soviétique du VGIK et de l’Institut des ingénieurs du cinéma de Leningrad (Leningradskij Institut kinoinjenierov) une « armée de travailleurs du cinéma qualifiés » capable de redonner au cinéma italien ses lettres de noblesse. C’est ainsi que naît en 1932 la Scuola nationale di Cinematografia à Rome, financée par le ministère de l’Éducation nationale et de l’Industrie, formant tout d’abord des acteurs puis ouvrant des départements de mise en scène, prise de vues et scénario. En 1935, l’école devient la Scola (puis Centro) Sperimentale di Cinematografia où, comme au VGIK, les études alternent entre théorie (histoire du cinéma, organisation de la production, histoire de la musique, etc.) et expériences professionnelles (mise en scène, prise de son, décor, diction, etc.). Les théories du montage de Sergei Eisenstein y sont introduites.

Le régime nazi lui-même n’a pas été insensible à l’idée de former des travailleurs du cinéma au service de sa propagande. Sur la base du projet proposé par les critiques de cinéma Oskar Kalbus et Hans Traub pour organiser un institut allemand d’études cinématographiques, la UFA, se crée en 1936 à Babelsberg la UFA Lehrschau dans le but de former les futurs cinéastes allemands. Joseph Goebbels, ministre de l’Enseignement et de la Propagande du IIIe Reich, la transforme en 1938 en Académie du film allemand (Deutsche Film Akademie) afin de remplacer les forces vives en émigration même si, du fait de la guerre, son activité décline rapidement.

Vichy : un nouvel élan pour les formations aux métiers du cinéma

En France, l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC) est conçu en zone libre en 1943, sous le regard bienveillant du gouvernement de Vichy. Dès 1926, à l’initiative de plusieurs industriels dont Louis Lumière, l’École technique de photographie et de cinématographie avait ouvert ses portes et l’État avait reconnu en 1928 comme nécessaire cette formation des techniciens du cinéma – directeurs de la photographie, réalisateurs, producteurs, parmi lesquels de nombreux étrangers.

La guerre vient bouleverser l’industrie du cinéma : les films américains interdits font place aux films allemands, italiens ou produits par la Continentale, et de nombreux employés et artistes du cinéma sont partis au front, ont pris le maquis, ou ont été arrêtés parce que Juifs. Face aux critiques pétainistes du cinéma français, dont le manque de patriotisme et de professionnalisme sont condamnés, est créé à Nice, en zone libre, le Centre artistique et technique des jeunes du cinéma (CATJC) sous l’égide des institutions de Vichy. Sa mission est entre autres de former des jeunes sélectionnés sur concours, contribuant ainsi à « la rénovation du cinéma français […] et à la restauration nationale entreprise par le maréchal Pétain » (Le Figaro, 5 décembre 1941).

Sous la tutelle de la direction générale de la Cinématographie, l’IDHEC ouvre ses portes à Paris en novembre 1943 : sur les 80 candidats venus passer le concours en réalisation-production, prise de vue, ingénieur du son et décor, trente constitueront la première promotion, dont huit femmes. Comme l’indique la brochure d’admission de 1945, l’objectif de ses fondateurs est « de substituer la méthode au hasard, encourager les vocations, élargir la connaissance cinématographique ». Parmi les premiers diplômés, citons les réalisateurs Alain Resnais et Claude Sautet ou le monteur Henri Colpi.

Le développement des écoles de cinéma de part et d’autre du rideau de fer

Le 2 mai 1945, la direction de l’IDHEC organise à destination de la presse étrangère une grande conférence « afin de faire connaître ce centre officiel de formation et de culture cinématographique » (AFP). De fait, de nombreux jeunes originaires de pays dans lesquels il n’existe pas de lieux de formation en cinéma ou attirés par la culture cinématographique française viennent étudier à l’IDHEC. Mais, progressivement, conscients de l’importance du cinéma comme outil de communication à l’Est comme à l’Ouest, les gouvernements d’Europe investissent dans la formation des professionnels du cinéma. Dans les États devenus communistes, plusieurs écoles ouvrent leurs portes comme la FAMU en 1946 à Prague en Tchécoslovaquie (Filmovà a televizni fakulta), à Łódź en Pologne en 1948 (Wyższa Szkoła Filmowa), ou celle de la République démocratique allemande à Postdam-Babelsberg en 1954 (Deutsche Hochschule für Filmkunst). L’Ouest n’est pas en reste, qui voit la création sous Franco d’une école de cinéma à Madrid dès 1947 (Escuela Oficial de Cine española) ou, à Londres, avec la London School of Film Technique en 1956. Si l’encadrement idéologique des futurs cinéastes préoccupe les autorités politiques à l’initiative de ces écoles de cinéma, ces lieux de transmission et de création s’autonomisent rapidement.

Ainsi, à l’Est du rideau de fer, les films issus des Nouvelles Vagues polonaise et tchécoslovaque témoignent de l’émancipation des normes tant formelles qu’idéologiques dont se sont affranchies les jeunes diplômés de ces écoles de cinéma. Quant à l’Ouest, en France par exemple, l’opposition entre un cinéma « à la papa » et les nouvelles générations issues de la Nouvelle Vague ou revendiquant un cinéma engagé, conduit à une remise en cause de l’enseignement à l’IDHEC et, de fait, à une crise profonde de l’institution en 1968. C’est à partir de cette fin des années 1960 que l’enseignement du cinéma n’est plus exclusivement du ressort d’écoles nationales dans lesquelles une sélection drastique des candidats s’opérait, et qu’il se démocratise à travers le développement de départements d’enseignement du cinéma à l’université.

Citer cet article

Gabrielle Chomentowski , « Les écoles de cinéma en Europe au xxe siècle : révolutions politiques et artistiques », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 08/06/21 , consulté le 12/10/2024. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/21584

Bibliographie

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Denoyelle, Françoise, « Lumière sur les archives de l’ENS Louis-Lumière », Cahier Louis-Lumière, Mémoires d’école/Audio-visual Archives and Memory in Schools, n° 9, septembre 2015, p. 101-113. https://www.ens-louis-lumiere.fr/sites/default/files/02-Francoise_Denoyelle-FR.pdf

Salazkina, Masha, « (V)GIK and the History of film Education in the Soviet Union 1920s-1930s », dans Birgit Beumers (dir.), A Companion to Russian Cinema, John Wiley & Sons, Inc., 2016, p. 45-64.

Téchené, Marie-Charlotte, « Aux origines de l’Institut des hautes études cinématographiques. De la création du centre artistique et technique des jeunes du cinéma (CATJC) aux conférences de Jean Epstein à l’IDHEC (1941-1945) », dans Hélène Fleckinger, Kira Kitsopanidou et Sébastien Layerle (dir.), Métiers et techniques du cinéma et de l’audiovisuel : sources, terrains, méthodes, Berlin, Peter Lang, 2020.

Westerdale, Joel, « An Accident of Resistance in Nazi Germany : Oskar Kalbus’s Three-Volume History of German Film (1935-1937) », German Studies : Faculty Publications, Smith College, Northampton, MA. https://scholarworks.smith.edu/ger_facpubs/1

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