La jeunesse du futur empereur des Français, Napoléon III, le prédispose à s’intéresser de près à l’Europe. Né en 1808 dans la capitale d’un grand Empire européen fondé par son oncle, Napoléon, il est le fils de Louis Bonaparte et d’Hortense de Beauharnais qui règnent alors sur la Hollande. À la chute de l’Empire, en 1815, il commence une vie d’exil qui le conduit en Suisse, en Bavière, dans le pays de Bade, à Florence, à Rome et en Angleterre. Doué pour les langues, il s’exprime rapidement en italien, en allemand et en anglais avec la même aisance qu’en français et, après son mariage, en espagnol.
Dès ses premiers écrits, il se penche sur la question européenne. Comme un grand nombre de ses contemporains, il estime que, depuis la Révolution, la France est investie d’une mission vis-à-vis de l’Europe. Elle doit ouvrir la voie à l’émancipation des autres peuples. Il écrit dans le plus pur romantisme idéaliste : « Alors tous les peuples seront frères, et ils s’embrasseront à la face de la tyrannie détrônée, de la terre consolée et de l’humanité satisfaite. » Si le droit des nationalités à disposer d’elles-mêmes n’est pas satisfait, le gouffre des révolutions risque de se rouvrir irrémédiablement. Au passage, il défend la politique de son oncle telle qu’il l’a lue dans le Mémorial de Sainte-Hélène dès sa publication en 1823, et telle qu’il l’a rêvée lui-même. Napoléon Ier n’aurait ainsi livré que des guerres défensives pour protéger les bienfaits de la Révolution et l’intégrité de la France avec la volonté de libérer les peuples asservis, de bâtir une Europe plus juste et de garantir la paix par une large confédération des nations. Le congrès de Vienne aurait anéanti ses projets.
Comme Tocqueville, le jeune prince prophétise l’émergence de deux géants : la Russie et les États-Unis. Pour assurer son indépendance face à de telles puissances, la France doit s’entendre avec les autres nations européennes et en particulier les peuples latins. Il n’a d’ailleurs pas attendu d’être au pouvoir pour essayer de mettre en pratique ses idées. Ému par le soulèvement des Grecs contre la domination ottomane, comme toute la jeunesse romantique de Byron à Delacroix, il a souhaité aller combattre en leur faveur mais, encore mineur, il a cédé à l’autorité paternelle qui lui a opposé un refus formel. La cause italienne ne l’a pas laissé non plus indifférent. En 1831, il a participé avec son frère aîné à l’insurrection de la Romagne contre le pouvoir temporel du pape et contre les Autrichiens, échec au cours duquel son frère est mort et lui a manqué de perdre la vie.
Lorsqu’il devient président de la République, il n’inquiète guère les puissances du congrès de Vienne, car il a les mains liées par la Constitution, mais après son coup d’État la donne change. Ne cache-t-il pas les mêmes ambitions que son oncle ? En annonçant le rétablissement de l’Empire, à Bordeaux, en octobre 1852, il se veut rassurant : « L’Empire, c’est la paix. » Il joue surtout habilement la carte de l’Angleterre où il dispose d’un grand capital de sympathie car il y a longtemps vécu, y compte de nombreux amis dans les milieux dirigeants et y passe pour un homme de progrès. Son geste de se faire représenter aux obsèques du duc de Wellington, le vainqueur de Waterloo, est apprécié. Non seulement la Grande-Bretagne reconnaît Napoléon III, mais elle joue de ses bons offices pour que les autres puissances en fassent autant.
Durant les premières années de son règne, le souverain est attaché à « l’entente cordiale » avec l’Angleterre, meilleur moyen selon lui de briser l’isolement de la France. Les deux pays participent conjointement à la guerre de Crimée contre la Russie. La France n’a pas d’intérêt direct à faire valoir dans ce conflit, mais son engagement et sa victoire lui permettent de reprendre sa place dans le concert européen et d’y jouer un rôle d’arbitre. Un an après la deuxième Exposition universelle de l’histoire qui s’est tenue dans la capitale de l’Empire, le congrès de Paris de 1856 apparaît comme l’éclatante revanche de celui de Vienne. Le souverain français parvient à briser l’alliance qui unissait jusque-là l’Angleterre, la Russie, l’Autriche et la Prusse. C’est aussi grâce à Napoléon III que la question italienne est posée et que la Serbie, le Monténégro et les principautés roumaines obtiennent une large autonomie.
S’il est partisan des nationalités, le souverain français est néanmoins réaliste. Il estime qu’il faut procéder par étapes pour ne pas s’aliéner toutes les puissances. La France doit également y trouver son compte. Les motifs qui l’amènent à soutenir le Piémont face à l’Autriche le montrent bien. Outre une volonté très réelle de libérer l’Italie, il entend aussi que la France obtienne, pour prix de son action, l’accroissement de son influence en Méditerranée, l’annexion de la Savoie et du comté de Nice, ainsi que l’arrêt des menées des révolutionnaires italiens. Victorieuse à l’été 1859, la France s’agrandit de la Savoie et de Nice, six mois plus tard.
L’empereur des Français jouit alors d’un grand prestige et apparaît comme un souverain généreux et pacificateur. Il signe le traité commercial de janvier 1860 avec la Grande-Bretagne libéralisant les échanges entre les deux pays et ouvrant la voie à la signature de nombreux autres traités bilatéraux au cours des années suivantes, voie de l’apaisement des tensions commerciales. Il lance l’Union monétaire latine réunissant en 1865 la France, l’Italie, la Belgique et la Suisse, rejointes trois ans plus tard par la Grèce. Il réclame enfin la création d’un tribunal européen pour vider pacifiquement les querelles entre les États et s’entremet lui-même entre Russes et Polonais au moment de l’insurrection de 1863, sans succès d’ailleurs dans un cas comme dans l’autre. Cependant, il apparaît aussi comme un chef d’État original qui ne respecte pas les usages diplomatiques. Il n’hésite pas à recourir à la diplomatie secrète et aux coups de théâtre. Beaucoup ne lui font pas confiance et voient en lui le principal danger pour l’équilibre européen.
Les années 1860 sont celles où des « points noirs » assombrissent l’horizon, de son propre aveu et il y a sa part. Les malheurs commencent en Italie où, face aux révolutionnaires qui menacent le pouvoir du pape, il envoie un corps expéditionnaire qui les écrase et qui reste sur place pour protéger Rome. Ce faisant, lui qui apparaissait jusque-là comme un héros aux yeux des patriotes est désormais perçu comme le principal obstacle à l’unification finale du pays. Parallèlement, l’expédition du Mexique menée d’abord conjointement avec l’Angleterre et l’Espagne puis seulement par la France tourne au fiasco. L’archiduc autrichien Maximilien placé sur le trône impérial mexicain ne parvient pas à s’imposer, est abandonné, puis fait prisonnier et enfin fusillé par les Mexicains. La nouvelle tombe, en juillet 1867, au beau milieu de l’Exposition universelle de Paris qui fait rayonner la France en Europe et dans le monde et ternit la fête.
Une succession d’erreurs sont surtout commises à l’égard de la Prusse de Bismarck. Elle conduit d’abord à la laisser s’en prendre à l’Autriche au nom du principe des nationalités puis, après sa victoire retentissante de Sadowa qui lui permet de s’imposer en Allemagne, en juillet 1866, à lui réclamer vainement des « pourboires » dont le Luxembourg et la Belgique, et enfin à tomber dans le piège tendu par la succession d’Espagne en lui déclarant la guerre, quatre ans plus tard. Ce faisant la France se retrouve face à tous les États allemands, en perdant le soutien de l’Angleterre et sans avoir mieux que d’hypothétiques promesses de soutien de l’Autriche et de l’Italie. La débâcle de Sedan, le 1er septembre 1870, n’entraîne pas seulement la chute de l’Empire et l’exil de Napoléon III qui y formera le plan d’un code de droit international et d’une cour d’arbitrage chargée d’assurer la paix dans le monde. Elle marque aussi l’avènement de la puissance allemande. Napoléon III a ramené la France au centre du jeu européen. Sa défaite et sa chute en font, pour vingt ans, une puissance plutôt isolée et périphérique de l’Allemagne.