Les mouvements pacifistes féministes internationaux

Les mouvements pacifistes féministes internationaux prennent des formes variées : au xixe siècle, les pacifistes féministes qui se soucient de ce qui se passe sur la scène internationale commencent pour la plupart par établir des contacts entre deux ou trois pays. Dans la première partie du xxe siècle, des structures organisationnelles internationales sont constituées. De surcroît, certaines organisations féministes internationales déjà existantes se tournent vers le pacifisme au milieu des années 1920 et 1930. Après 1945, le pacifisme des Européennes est confronté à des constellations politiques et à des perspectives mondiales nouvelles. Leurs campagnes contre la course à l’armement les conduisent vers de nouvelles activités qui, bien qu’organisées de manière moins officielle, influencent le pacifisme féministe dans de nombreux pays. Le discours pacifiste féminin établit systématiquement des liens entre la paix et d’autres sujets déterminants et fondamentaux pour le maintien futur de la paix, tels que les droits des femmes, la démocratie, l’alimentation en lien avec le contexte socioéconomique, l’éducation et l’écologie.

Sommaire

Le phénomène international de conjonction des mouvements féministe et pacifiste est principalement une conséquence de la Première Guerre mondiale – même si des efforts, à l’initiative de femmes, en faveur de la création de mouvements pacifistes féministes d’envergure internationale avaient existé précédemment. Le lien entre les mouvements pacifiste et féministe n’est pas systématique. Au xixe siècle, de nombreuses femmes soutiennent seulement l’une des deux causes sans nécessairement voir de lien entre elles, tandis que d’autres choisissent de participer aux deux mouvements. On pense à cet égard à la pacifiste française Jeanne Mélin (1877-1964), dont le pacifisme et le féminisme se radicalisèrent au cours de la Première Guerre mondiale. Certaines des sociétés pacifistes fondent des organisations féministes affiliées entre elles dans le but de faire progresser le pacifisme au sein de la population féminine (par exemple, The Women’s Auxiliary of the Peace Society en Angleterre en 1882, ou le Frauenbund der Deutschen Friedensgesellschaft en Allemagne en 1914).

Les femmes qui défendent l’internationalisme sont convaincues que ce qui caractérise le rôle d’une mère et les tâches qui lui incombent (nourrir, protéger, éduquer les enfants) unissent les femmes au-delà des frontières nationales. Cet argument s’avère être le principal atout des mouvements pacifistes féministes aux xixe et xxe siècles. Des initiatives précoces de pacifisme féministe transnational apparaissent dès le xixe siècle. Après la guerre franco-prussienne de 1870-1871, l’Américaine Julia Ward Howe (1819-1910) proclame une fête des mères pour la paix, célébrée pour la première fois en 1873 dans plusieurs villes américaines ainsi qu’en Angleterre, en Suisse, en Italie et en France. Deux autres initiatives précoces mais de courte durée qui visent à coordonner la lutte des femmes pour la paix sont lancées par la Suisse Marie Goegg (1826-1899) en 1868, la Française Eugénie Potonié-Pierre (1844-1898) et la Britannique Ellen Robinson (1840-1912), fondatrices de l’Union internationale des femmes pour la paix en 1891. À Paris, Gabrielle Wiesniewska (1836-1903) fonde l’Alliance universelle des femmes pour la paix et pour le désarmement en 1896, à laquelle s’ajoutent dans les années suivantes une branche norvégienne et une branche belge. En 1899, l’Allemande Margarethe Leonore Selenka (1860-1922) est à l’origine de manifestations de femmes pour la paix dans plusieurs pays, à l’occasion de la conférence internationale de la paix à La Haye.

Jusqu’à 1914, œuvrer pour la paix internationale n’est pas une priorité pour les deux organisations féministes internationales les plus importantes, l’International Council of Women (ICW, fondée en 1888) et l’International Woman Suffrage Alliance (IWSA, fondée en 1904), en comparaison avec l’éducation des filles, le droit de travailler ou le droit de vote pour les femmes. Plusieurs de leurs membres sont néanmoins solidaires du mouvement pacifiste et les deux organisations tiennent même des réunions pour la paix. La majorité des membres des deux organisations internationales viennent d’Europe ou d’Amérique du Nord. Bertha von Suttner (1843-1914), membre fondatrice des sociétés pacifistes autrichienne et allemande, vice-présidente du Bureau international de la paix et lauréate du prix Nobel de la paix en 1905, par exemple, intervient au congrès fondateur de l’IWSA à Berlin. Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, la grande majorité des mouvements féministes soutiennent l’effort de guerre de leur pays d’origine tandis qu’une petite division pacifiste commence à voir le jour et à organiser des congrès internationaux de femmes ; plus de 1 100 participantes se réunissent à La Haye en avril 1915. Les participantes viennent non seulement des Pays-Bas (comme les deux figures de proue Aletta Jacobs (1854-1929) et Rosa Manus (1881-1942)), mais également des États-Unis (la présidente du congrès Jane Addams (1860-1935) est aussi lauréate du prix Nobel de la paix en 1931), du Canada, du Danemark, d’Allemagne, de Belgique, de Grande-Bretagne, d’Italie, de Norvège, de Suède, d’Autriche et de Hongrie. Elles exigent un statut politique égal à celui des hommes et la mise en application d’un système politique démocratique, qui sont selon elles prérequis à la paix future. Ces femmes demandent également qu’une conférence de médiation soit organisée par les pays neutres. En mars 1915, un groupe de 25 femmes socialistes originaires d’Allemagne, de Grande-Bretagne, de Russie, de Pologne, des Pays-Bas, d’Italie, de France et de Suisse se rencontrent à Bern pour une conférence internationale de protestation contre la guerre. Elles possèdent des liens avec l’International Socialist Women’s Committee qui avait été organisé par Clara Zetkin (1857-1933) en 1907.

Le congrès de La Haye donne naissance à l’International Committee of Women for Permanent Peace (rebaptisé Women’s International League for Peace and Freedom, WILPF, en 1919). Pendant la Première Guerre mondiale, la WILPF inclut seize sections nationales (dont la section française rassemblée autour de Gabrielle Duchêne, 1878-1954) pour s’élargir à non moins de quarante-deux sections cent ans plus tard. À la suite au second congrès tenu à Zurich en 1919 (qui condamnait le traité de Versailles), la WILPF ouvre un bureau à Genève, où la Société des Nations a son siège. À partir du milieu des années 1920, d’autres organisations internationales de femmes tournent également leur attention vers l’effort de paix et vers la Société des Nations. À l’occasion de la conférence mondiale pour le désarmement en 1932, les mouvements féministes collectent quelque huit millions de signatures dans plus de 50 pays en soutien au désarmement mondial. Dans les années qui suivent, des femmes pacifistes venant de toute l’Europe luttent contre la menace de guerre, et beaucoup luttent pour faire face à la montée du fascisme, du totalitarisme et du communisme jusqu’à ce que le nazisme et la Seconde Guerre mondiale frappent le mouvement, réduisant de nombreuses pacifistes au silence et/ou les forçant à émigrer. À Genève, la WILPF soutient ces réfugiées politiques.

Dans la période qui suivit 1945, les questions internationales font de plus en plus partie du programme pacifiste des Européennes. Jusqu’au début des années 1990, la guerre froide a un impact déterminant. Les guerres entre les États européens et leurs colonies, la guerre du Vietnam et la création de l’Organisation des Nations Unies redistribuent également les cartes du pacifisme international. La WILPF, officiellement reconnue comme ONG, ouvre un second bureau à New York. La Décennie des Nations Unies pour la femme (1975-1985) et les quatre conférences mondiales sur les femmes organisées sous l’égide de l’ONU promeuvent la mise en réseau des organisations pacifistes féministes à l’échelle transnationale. La fracture Est-Ouest est également manifeste dans le mouvement international des femmes pour la paix : les organisations socialistes et communistes sont représentées par la Women’s International Democratic Federation (fondée en 1945, son siège déménage de Paris à Berlin-Est en 1951 puis à Sao Paolo en 1992).

Sous l’influence du mouvement des droits civiques aux États-Unis, les années 1960 voient de nouveaux types d’activités se développer : Women Strike for Peace (fondé aux États-Unis en 1961, une division internationale se développe ensuite) ou Voice of Women (fondé au Canada en 1960, aux États-Unis et en Grande-Bretagne en 1961) sont des mouvements populaires qui sont, aux yeux de nombreuses pacifistes, plus attrayants que les organisations plus anciennes, plus élitistes en comparaison. Les années 1970 et 1980 voient l’essor des marches et des camps de la paix (tel que le camp de femmes pour la paix de Greenham Common, 1981-2000). En 1980, des Danoises fondent Women for Peace, un mouvement sans dirigeantes ni membres officielles qui s’étend rapidement aux autres pays scandinaves pour organiser des campagnes et des pétitions contre les armes nucléaires, ainsi que des marches pour la paix (par exemple, celle de Copenhague à Paris en 1981, ou celle de Stockholm à Minsk en 1982). Dans les années 1980, la WILPF organise une campagne contre la course aux armements (Stop the Arms Race Campaign) et le « Grand voyage vers la paix » (Great Peace Journey).

Enfin, des activités pacifistes féministes transnationales sont observables dans les régions d’Europe où des guerres et conflits militaires ont eu lieu dans la seconde moitié du xxe siècle : en Irlande du Nord, le mouvement Women Together est fondé dans les années 1960, et en 1976, Betty Williams (née en 1943) et Mairead Corrigan-Maguire (née en 1944) reçoivent le prix Nobel de la paix pour avoir lancé Women for Peace (qui devint ensuite Community for Peace People). Dans l’ancienne Yougoslavie, une ramification de Women in Black voit le jour dans les années 1990. Ce mouvement organise des campagnes dans les zones de conflit du monde entier (sa première intervention fut en Israël en 1988). Pour finir, des femmes grecques et turques fondent Winpeace en 1996.

Citer cet article

Annika Wilmers , « Les mouvements pacifistes féministes internationaux », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 26/06/20 , consulté le 02/12/2024. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/21308

Bibliographie

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