Révolution et guerre d’indépendance en Hongrie 1848-1849

Depuis les années 1830, une nouvelle génération libérale s’affirme en Europe. L’agitation créée par les révolutions de Naples, de Paris et enfin de Vienne déclenche en Hongrie la journée insurrectionnelle du 15 mars 1848. La suite de la révolution constitue un des moments les plus riches de son histoire, tant par son déroulement que par son héritage. La première phase (mars-juillet 1848) s’inscrit dans une démarche institutionnelle : le gouvernement reconnu par l’empereur veut une monarchie constitutionnelle. Mais partout en Europe, le mouvement du Printemps des peuples est réprimé. Le gouvernement hongrois démissionne en septembre, laissant le pouvoir à Kossuth qui précipite la Hongrie dans la guerre d’indépendance. Les armées impériales ne doivent leur victoire qu’à l’apport de renforts russes. La défaite hongroise d’août 1849 et la répression menée par le nouveau souverain, François-Joseph, pèsent dans les relations avec l’Autriche. Cet événement traumatique nourrit la mémoire collective et rend la réconciliation difficile qui intervient toutefois en 1867 sous la forme d’un compromis.

« Debout, Hongrois ! » (<em>Talpra, magyar !</em>), László Bellony, sans date.
« Debout, Hongrois ! » (Talpra, magyar !), László Bellony, sans date. Source : Wikimedia Commons.

L’imagerie rassemble les héros de la révolution : les militaires (les généraux : János Damjanich – à cheval –, le Polonais Bem, György Klapka), le chantre Sándor Petőfi, les hommes politiques Batthyány et Kossuth. L’adhésion populaire est représentée à gauche par les soldats, à droite par les volontaires. Au-dessus de la composition flotte le drapeau tricolore.
Mémorial de Kossuth, Parlement, Budapest, inauguré le 6 novembre 1927, détruit puis reconstruit en 1952. Cliché de l’auteur.
Mémorial de Kossuth, Parlement, Budapest, inauguré le 6 novembre 1927, détruit puis reconstruit en 1952. Cliché de l’auteur.
Place Kossuth Ter, près du Parlement, Budapest. Cliché de l’auteur.
Place Kossuth Ter, près du Parlement, Budapest. Cliché de l’auteur.

Dévoilé en 1927, ce monument présente une vision falsifiée de l’histoire puisque Kossuth figure au centre d’un groupe formé des ministres du gouvernement légal. Or il n’a assumé une fonction dirigeante qu’au sein du Comité de salut public que tous les personnages représentés à ses côtés ont alors quitté. Tous baissent la tête et détournent leurs regards de Kossuth, arborant des mines sombres préfigurant la défaite. Cet ensemble a été reconstruit en 2015 pour occuper l’emplacement d’origine entre-temps occupé par le mémorial communiste.
Sommaire

Le Vormärz – chrononyme qui désigne la période antérieure aux révolutions de mars 1848 dans l’empire des Habsbourg – se caractérise par le réveil national qui s’exprime en Hongrie dès 1825 et se traduit à partir de la diète de 1832-1836 par l’arrivée sur la scène d’une nouvelle génération porteuse d’idées réformatrices en termes sociaux, économiques et politiques inspirées par le comte István Széchenyi (1791-1860). La Chambre basse devient un foyer de propositions toujours plus hardies dont certaines finissent même par être soumises à la Chambre haute mais qui se heurtent à la sanction royale. L’effervescence est à son comble lors des sessions de novembre 1847. Les contestataires ne tolèrent plus l’assujettissement dont la Hongrie est l’objet au sein de l’empire des Habsbourg qui administre le royaume depuis le milieu du xvie siècle.

Une révolution « légale » : mars-juillet 1848

Après l’annonce des événements révolutionnaires d’Italie puis de Paris, la diète est prise de fièvre, et Lajos Kossuth, député de Pest, prononce le 3 mars 1848 un discours qui marque les esprits. Le gouvernement issu de la journée révolutionnaire du 15 mars est placé sous la présidence du comte Lajos Batthyány, qui appelle Kossuth et Széchenyi car, malgré leur opposition, leur entrée au gouvernement lui est nécessaire. Széchenyi est indispensable pour canaliser Kossuth et ses soutiens ; Kossuth est devenu, quant à lui, un personnage incontournable. En outre, la présence de Széchenyi offre une double garantie : par rapport à Vienne, d’une part, et, d’autre part, afin d’éviter qu’il ne se tourne vers la réaction. Le caractère légal de la révolution est confirmé par les lois constitutionnelles sanctionnées le 11 avril par le roi Ferdinand qui paraît, la veille, devant la diète de Presbourg.

Les difficultés se multiplient à partir de juin 1848 et plusieurs événements concourent à la chute du gouvernement en septembre : la rébellion des Slaves du Sud dont les régiments frontaliers prennent les armes contre la Hongrie, le retour progressif à l’ordre dans l’Empire et la reprise en main du gouvernement autrichien par les conservateurs. Le gouvernement hongrois, composé de personnalités très contrastées, est divisé sur la question des finances et sur la réponse à donner à Vienne qui exige que la Hongrie fournisse des troupes pour mater la révolution en Italie. Les tentatives de conciliation avec les Croates échouent d’autant que Vienne n’est pas neutre. Batthyány se démet finalement début septembre. Le 4 septembre, Széchenyi tombe gravement malade, et quitte Pest pour une clinique psychiatrique dans les environs de Vienne. Dès lors, l’ascendant de Kossuth est incontestable : il prend la tête du Comité de salut public. La phase légale de la révolution est terminée et l’on s’achemine vers la guerre d’indépendance contre la domination autrichienne qui dure jusqu’en août 1849.

L’interprétation de la révolution ne peut pas faire l’économie de l’opposition de principe entre ces deux hommes. Le départ de Széchenyi est vu par certains comme une fuite, voire une trahison et une preuve de sa fidélité à l’Autriche. Les autres, suivant en cela Széchenyi, considèrent Kossuth comme l’âme damnée du pays et en font le responsable de la défaite.

La guerre d’indépendance (septembre 1848-août 1849) et sa mémoire

L’intervention russe aux côtés des troupes autrichiennes à partir de mai 1849, la prise de la capitale par les impériaux, la défaite de Világos le 13 août 1849, les derniers combats de l’automne puis l’occupation du pays marquent la mémoire collective. L’expérience de la révolution puis de la guerre contre l’Autriche s’inscrit dans le patrimoine insurrectionnel de la Hongrie.

Les portraits de treize généraux hongrois exécutés par les Autrichiens, les treize martyrs d’Arad, et de Batthyány, exécutés le 6 octobre 1849, et de Kossuth, exilé en Angleterre, sont affichés discrètement dans les foyers, la célèbre Kossuth-nóta, chant patriotique en l’honneur de Kossuth, et d’autres chansons se transmettent. On porte ostensiblement des chapeaux ressemblant à celui de Kossuth, les hommes se font tailler la barbe de la même manière, et l’on se répète des anecdotes sur le grand homme devenu un martyr de la nation. Kossuth est certes un héros vaincu, mais il passe à la postérité comme l’archétype du kuruc (« croisé ») protestant, qui place l’indépendance en valeur suprême, tandis que Széchenyi, partisan de la loyauté envers Vienne et du compromis, incarne la tendance labanc (« collaborateurs ») catholique. Depuis les premières révoltes contre les Habsbourg, cette opposition entre kuruc et labanc dessine une ligne de fracture durable dans l’histoire hongroise.

En effet, la révolution et la guerre d’indépendance ont été un phénomène de masse qui a touché tout le royaume. La diffusion des idées, des images et des symboles de 1848-1849 dépasse largement le nombre d’hommes enrôlés dans l’armée nationale (Honvéd). L’itinérance du parlement et des décideurs au cours des combats a également contribué à porter la lutte contre l’Autriche comme événement national. Contrairement aux insurrections précédentes qui émanaient de la noblesse qui y engageait ses paysans, la guerre d’indépendance de 1848-1849 est fondée sur le volontariat et donc sur la nécessité de convaincre de la justesse de la cause.

La mémoire persistante, le conflit entre « résistants » et « collaborateurs »

Après la répression et les années du néo-absolutisme (1849-1860), le Compromis austro-hongrois de 1867 semble donner raison à Széchenyi et à son action en faveur d’une négociation permanente avec l’Autriche. En effet, les termes de l’accord et surtout la nécessité de le renégocier tous les dix ans pèsent sur la vie politique hongroise mais empiètent aussi sur la marge de manœuvre du roi et des gouvernements autrichiens. Les signataires du Compromis récupèrent l’héritage de Széchenyi et vont exalter sa mémoire.

C’est véritablement la mort de Kossuth en 1894 qui parachève la mise en mémoire de 1848. Bien que les autorités aient autorisé le retour de sa dépouille, elles souhaitent que la cérémonie reste sobre et sans éclats. Or c’est tout le contraire qui se produit, car on assiste à un rituel de « ré-enterrement » qui touche l’ensemble de la communauté nationale. Cette cérémonie parvient par ailleurs à créer un consensus dans l’opinion et chez les acteurs politiques, que très peu de polémiques viennent troubler, tous se rassemblent sous une même « religion politique ». Le « retour » de Kossuth donna lieu à la plus grande manifestation de ce type jamais vue dans la capitale. Cette célébration post mortem contribua à sceller le lien entre la mémoire des jours tragiques mais glorieux de la révolution et l’affirmation de la conscience nationale hongroise consécutive au Compromis de 1867. Kossuth est vu comme le double antagoniste de François-Joseph à qui une partie de la population ne pardonne pas la répression de 1848.  Cette mémoire est largement mobilisée par une construction partisane nouvelle, le parti de l’Indépendance et de 1848. La traditionnelle dichotomie entre droite (libéraux) et gauche (indépendantiste) est assez peu pertinente ici mais elle a néanmoins un sens par rapport à aux événements de 1848 et elle est habilement récupérée après 1945. Les deux mémoires coexistent donc avec leurs dimensions politiques respectives.

Citer cet article

Catherine Horel , « Révolution et guerre d’indépendance en Hongrie 1848-1849 », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 07/03/22 , consulté le 14/12/2024. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/21766

Bibliographie

Deák, István, The Lawful Revolution. Louis Kossuth and the Hungarians 1848-1849, New York, Columbia University Press, 1979.

Horel, Catherine, Histoire de la nation hongroise. Des premiers Magyars à Viktor Orbán, Paris, Tallandier, 2021.

Oplatka, Andreas, Graf Stefan Széchenyi. Der Mann, der Ungarnschuf, Vienne, Zsolnay, 2004.

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Gustave Wappers, Épisode des journées de septembre 1830. Musées royaux des beaux-arts de Belgique.
Gustave Wappers, Épisode des journées de septembre 1830. Musées royaux des beaux-arts de Belgique. Source : Wikimedia Commons.
« Berlin, souvenir du combat de libération de la nuit du 18 au 19 mars 1848 », lithographie coloriée, s.d. [après 1848]. © Heinrich-Heine-Institut-Literatur-Museum/Bibliothek/Archiv.
« Berlin, souvenir du combat de libération de la nuit du 18 au 19 mars 1848 », lithographie coloriée, s.d. [après 1848]. © Heinrich-Heine-Institut-Literatur-Museum/Bibliothek/Archiv. Source : Deutsche Digitale Bibliothek.
« Les étudiants au pont de la Concorde » (à Paris le 22 février 1848), dans Daniel Stern, Histoire de la révolution de 1848, illustrée par de Neuville, Gerlier, Lix, Crépon, Gustave Janet, E. Lorsay, etc., Paris, Librairie Internationale, 1869, p. 65.
« Les étudiants au pont de la Concorde » (à Paris le 22 février 1848), dans Daniel Stern, Histoire de la révolution de 1848, illustrée par de Neuville, Gerlier, Lix, Crépon, Gustave Janet, E. Lorsay, etc., Paris, Librairie Internationale, 1869, p. 65. © BnF/Gallica.
Le général Riego (1820), par Hippolyte Lecomte et lithographie de Godefroy Engelmann.Source : British Museum
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