La période des « traités inégaux » avec la Chine n’est pas tant l’apparition des Européens dans la région extrême-orientale que celle de leur diplomatie commerciale agressive. Le formidable essor industriel qui touche les nations d’Europe dans les deux premiers tiers du xixe siècle se traduit par une pression toujours croissante sur ce marché incomparable qu’est l’empire du Milieu. La « diplomatie de la canonnière » l’ouvre au commerce européen et impose ses clauses parfois unilatérales à une Chine qui perd ainsi sa souveraineté sur de multiples portions de son territoire, au profit de la France et de la Grande-Bretagne mais aussi de l’Allemagne, de la Russie, des États-Unis et du Japon.

Bâtiment de la Royal Navy détruisant une flottille chinoise devant Hong Kong, pendant la première guerre de l’opium. Edward Duncan, 1843.
Sommaire

Dans la continuité des expéditions portugaises du début du xvie siècle dans l’océan Indien et vers les mers d’Extrême-Orient, les Européens foulent durablement les côtes chinoises. Dès 1557, les Portugais s’installent à Macao et y pratiquent le commerce. Aux xviie et xviiie siècles s’établit un négoce régulier entre la Chine et les puissances maritimes européennes. Des navires français, anglais, hollandais et espagnols achètent du coton, de la soie et de la porcelaine « bleue et blanche » contre de l’argent, matériau rare en Chine. L’ampleur du commerce « à la Chine » reste cependant limitée, trop réduite pour générer une réaction politique majeure dans l’empire du Milieu.

Avec le xixe siècle, la perception de la Chine en Occident évolue considérablement. L’essor économique et industriel, favorisant la propagation des doctrines libérales, repousse les frontières du Vieux Continent. Le développement des sociétés de géographie, des expéditions d’exploration et des missions religieuses révèle aux Européens de larges horizons.

Dans les années 1839-1840, l’apparition de techniques qui révolutionnent l’industrie navale, à l’instar de l’acier et de la vapeur, entraîne un raccourcissement considérable des voyages par itinéraires marins. Le trafic maritime prend une place majeure et la mise en place de points d’appuis navals apparaît comme une nouvelle priorité stratégique aux amirautés européennes. Enfin, de nouvelles régions se trouvent à la portée du commerce européen et les hommes d’affaires occidentaux ont dorénavant les yeux braqués sur ce gigantesque marché potentiel que représente l’empire du Milieu. Ce sont les Britanniques qui prennent l’initiative d’ouvrir de force le marché chinois, non seulement pour écouler les stocks d’opium produit en Inde, mais aussi pour imposer leur libéralisme économique et laver des affronts répétés contre leur diplomatie.

Les deux guerres de l’opium

En juin 1840, quarante navires britanniques transportant 4 000 habits rouges arrivent au large de Canton. Ils s’emparent de Hong Kong et de Macao qu’ils fortifient et à partir desquels ils inaugurent l’emploi de canonnières, navires fortement armés dont le fond plat permet de remonter les fleuves et de mener des opérations avec une puissance de feu écrasante. C’est à bord de l’une d’elles que, le 29 août 1842, les envoyés du « Fils du Ciel » signent le traité de Nankin. La Chine cède Hong Kong à la Couronne britannique et ouvre au commerce extérieur cinq de ses ports du sud au sein desquels les sujets britanniques auront désormais droit de résidence. La Grande-Bretagne s’accorde alors la clause de la nation la plus favorisée sans obtenir la légalisation de l’opium.

La paix est de courte durée. Ces traités qui, en réalité, abolissent la souveraineté chinoise en matière commerciale et entament son intégrité territoriale, ne sont pas appliqués par la Chine qui continue de restreindre l’accès des négociants étrangers. Par crainte de tomber sous la coupe de l’influence britannique, le gouvernement impérial accorde deux ans plus tard des privilèges semblables aux États-Unis et à la France. Pour contrer les ravages toujours plus terribles de l’opium dans la population, les fonctionnaires chinois pourchassent les consommateurs de drogue qui se comptent désormais en millions. De leur côté, les Européens et les Américains réclament l’ouverture du commerce vers le nord et l’intérieur de la Chine. En 1856, des soldats chinois saisissent un navire battant pavillon britannique et confisquent sa cargaison de drogue. Des entrepôts européens sont pillés et brûlés, des missionnaires massacrés parmi lesquels l’abbé français Chapdelaine. Londres et Paris décident d’une nouvelle expédition militaire et encerclent Pékin le 13 octobre 1860. Pour venger l’exécution de prisonniers, les troupes britanniques incendient le palais d’Été. Devant la résistance chinoise, et pour représenter leurs intérêts propres, Russes et Américains interviennent à leur tour. L’empereur chinois Xiafeng est contraint d’accorder l’ouverture de onze nouveaux ports principalement dans le golfe de Corée ainsi que l’agrandissement des concessions de Hong Kong et Shanghai. Les Britanniques arrachent l’autorisation du commerce de l’opium, les Français obtiennent la liberté et la sécurité pour leurs missionnaires et les Russes s’agrandissent par la cession de la province maritime où ils entreprennent la construction de Vladivostok.

L’expansion des concessions

À l’issue des deux guerres de l’opium, l’ouverture de la Chine paraît accomplie. Les puissances étrangères ont pérennisé leur implantation dans l’empire du Milieu qui se trouve extrêmement affaibli par des révoltes d’une ampleur considérable. La révolte des Taiping (1851-1864), soulèvement extrêmement sanglant et à caractère révolutionnaire, celle des Nian (1851-1868) cherchant à renverser la dynastie Qing et enfin la guerre des Boxers (1899-1901), menées par des sociétés secrètes opposés aux colons étrangers. Celles-ci, en détournant l’attention du gouvernement chinois des puissances étrangères, favorisent la pénétration occidentale.

Alors que le nombre des concessions continue de croître sur le sol même de la Chine, les puissances étrangères maintiennent leur expansion coloniale dans la région. L’empire du Milieu est désormais attaqué sur ses marges : au nord, par la Russie qui grignote des territoires en Mandchourie et en Asie centrale, au sud, par la France qui s’empare de l’État vassal de l’Annam en 1885, à l’est, par le Japon qui met la main sur la Corée en 1895. Au début du xxe siècle, la pérennité d’une Chine unie paraît bien compromise alors que l’agitation intérieure s’accroît, nourrie par la haine anti-occidentale.

À la veille de la révolution chinoise de 1912, le gouvernement chinois a octroyé aux étrangers une trentaine de concessions dans quinze villes portuaires. Les plus importantes sont, outre Hong Kong, désormais territoire de la Couronne britannique, la concession internationale de Shanghai, régie conjointement par les Britanniques et les Américains, ainsi que celle de Canton qui compte en son sein des quartiers britanniques, français, italiens, allemands, japonais et austro-hongrois. Tientsin (Tianjin), le port de Pékin, voit coexister en son sein les administrations britannique, austro-hongroise, belge, américaine, française, allemande et russe. Au sein même de Pékin, un quartier des légations a été établi dès 1861, organisé selon les normes en vigueur dans les capitales étrangères. L’entrée en guerre de la république de Chine contre l’Allemagne en 1917 lui permet de récupérer une partie de ces portions de territoires perdus. Jusqu’à 1945, la présence proactive du Japon remplace l’influence en déclin des Européens qui rétrocèdent dès l’entre-deux-guerres la plupart de leurs concessions.

Citer cet article

Xavier Lacroix , « Les traités inégaux avec la Chine », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 22/06/20 , consulté le 10/10/2024. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/12502

Bibliographie

Wang, Nora, L’Asie orientale du milieu du xixe siècle à nos jours, Paris, Armand Colin, 1993.

Singaravélou, Pierre, Tianjin cosmopolis. Une autre histoire de la mondialisation, Paris, Le Seuil, 2017.

Malawer, Stuart S., Imposed Treaties and International Law, William S. Hei, 1977.

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