Les sports qui se développent en Europe dans la seconde moitié du xixe siècle s’organisent pour et par les hommes, dans les premières sociétés sportives comme plus tard dans les fédérations nationales et internationales. Les femmes en sont soigneusement écartées, faisant incidemment du sport une affaire d’hommes.
La création en 1894 des jeux Olympiques et du Comité international olympique (CIO) par Pierre de Coubertin accélère l’institutionnalisation des sports. À la faveur des rencontres internationales, les premières fédérations internationales sont créées dans les vingt premières années du nouveau siècle, essentiellement par des Européens. En 1905, le Congrès international de sport et d’éducation physique de Bruxelles, organisé par le CIO, pose timidement la question des femmes. Deux femmes belges font alors partie de l’assemblée, la journaliste Renée Gange et la doctoresse Kritchevsky. Il faut dire que la pratique féminine est encore balbutiante et qu’on ne réserve au « sexe faible » que les gymnastiques médicales ou esthétiques, à défaut des sports qui requièrent des qualités dites « viriles ».
La présence de soixante-dix doctoresses et professeures d’éducation physique (EP) au Congrès international d’éducation physique de 1913 à Paris laisse entrevoir le développement d’une EP hygiéniste dans les écoles de filles en Europe de l’Ouest, en Scandinavie et, dans une moindre mesure, à l’Est. Ici, il n’est pas encore question de sport pour les femmes. Pourtant, à la faveur de la Grande Guerre et de l’éloignement des hommes, de nombreux clubs féminins émergent. En 1917, la Fédération des sociétés féminines sportives de France est initiée par des hommes. Deux ans plus tard, Alice Milliat (1884-1957), influencée par les idées féministes de son époque, en prend la tête et revendique pour la première fois la direction des sportives par des femmes. Devant la menace de voir des compétitions internationales féminines contrôlées par les fédérations masculines d’athlétisme, elle décide en 1921 de fonder la première fédération internationale de sport féminin avec ses « jeux Olympiques » et réclame, là encore, une direction féminine. Mais en Europe, elle est la seule femme à la tête d’une organisation sportive féminine nationale. Elle réussit toutefois à devenir présidente et à s’entourer pour moitié de femmes dans le comité directeur : mesdames Reymond (Suisse), Bonaretti (Italie), Becker (États-Unis) et Delapierre (France). La Tchécoslovaquie et l’Angleterre sont, quant à elles, représentées par des hommes. Les quatre éditions des jeux mondiaux féminins connaissent un succès croissant et tout à fait honorable compte tenu des contextes globalement hostiles à la compétition féminine : à Paris en 1922, ces jeux rassemblent 80 athlètes de 5 pays, tandis qu’en 1934, elles sont 270 sur le stade de 19 nationalités différentes. Cependant, après quinze ans d’existence et l’adhésion d’une trentaine de pays, la Fédération internationale s’éteint sous l’action des dirigeants du CIO et de l’athlétisme qui souhaitent reprendre le contrôle sur le sport féminin.
Après la Seconde Guerre mondiale, les sportives sont désormais intégrées à des fédérations masculines dirigées par des hommes. Dans un contexte de réconciliation entre pays divisés par la guerre, les sports et leurs dirigeant·e·s sont perçus comme d’efficaces relais diplomatiques, ce qui facilite la création en 1949 de l’International Association of Physical Education and Sport for Girls and Women (IAPESGW). Le congrès fondateur de l’association, organisé à Copenhague par Agnete Bertram (1893-1984), réunit des représentantes de 24 pays alliés des États-Unis, et réserve la parole aux femmes. Après une direction états-unienne, l’IAPESGW passe sous une longue présidence européenne entre 1961 et 2005, avec la Française Marie-Thérèse Eyquem (1913-1978), l’Ouest-Allemande Liselott Diem (1906-1992), l’Autrichienne Helene Tollich (1916-2017), puis les Britanniques Patricia Bowen-West (1926-) et Margaret Talbot (1946-2014). Cette association, portée par des femmes, encourage l’éducation physique et la pratique sportive partout et pour toutes. Sous influence états-unienne, elle promeut une prise en main des activités physiques des femmes par elles-mêmes, et valorise l’émergence de femmes dirigeantes.
Selon Eyquem, il s’agit de suivre l’exemple de la Fédération internationale de gymnastique (FIG), qui a connu des progrès importants après avoir féminisé sa direction, sous présidence suisse : les femmes ont leur place dans l’organisation du sport de compétition et doivent prendre en charge leurs propres activités de manière autonome. Cependant, l’IAPESGW et la FIG restent des exceptions et les organisations sportives internationales font peu de place aux dirigeantes, au moment où le sport de compétition pour les femmes renaît, dans un contexte de « course aux médailles » stimulée par la guerre froide et de renouveau international du féminisme. La tutelle masculine reste néanmoins un frein à son développement, le budget comme les installations étant prioritairement attribués aux hommes.
Grâce à l’initiative des dirigeantes sportives, les fédérations sportives et les politiques publiques commencent à s’intéresser à la présence de femmes dans le monde des sports, tout comme le Conseil de l’Europe à partir de 1963. Puis, à l’initiative du gouvernement suédois et de la dirigeante Inga Löwdin (1917-2008), une conférence « Sport et femmes » est organisée en 1967 à Stockholm dans la perspective d’inclure des femmes dans la réflexion et d’encourager le « sport pour toutes ». Des dirigeantes européennes comme la Grecque Domnitsa Cavounides (1914-2011), la Britannique Mary Duggan (1925-1973) et la Française Yvonne Surrel (1912-2003) y prennent part parmi une quarantaine de représentant·e·s des pays membres.
Malgré ces avancées, parfois suivies de politiques publiques en faveur de la parité (comme en Norvège en 1984), les institutions sportives européennes restent des bastions masculins. En 1980, la Française Monique Berlioux (1923-2015), première femme « directeur général » du Comité international olympique, dénonce la présence infime des femmes au sein du CIO et des fédérations nationales et internationales, qu’elle situe entre 0 et 1 %.
En 1994, la World Conference on Women and Sport donne lieu à la déclaration de Brighton, qui promeut la parité et le sport féminin. Bien que signée par un nombre croissant d’institutions, la réponse au niveau international reste timide. Les dirigeants rechignent à un changement radical des compositions des directions, considérant que la faible présence de femmes serait le fruit de leurs choix individuels et non pas de hiérarchies sociales genrées. D’après un rapport de l’European Institute for Gender Equality en 2015, au sein des fédérations sportives européennes les femmes représentent en moyenne 14 % des comités de direction avec d’importants écarts entre un Nord-Ouest un peu moins inégalitaire (entre 14 et 20 % de l’Autriche aux Pays-Bas, seule la Suède dépasse les 40 %) et le reste de l’Union européenne (moins de 14 %, de la Pologne au Portugal). Quant aux fédérations internationales, les femmes n’y occupent que 17 % des postes de pouvoir.
Pour autant, les rares femmes dans les institutions sportives internationales, si elles témoignent d’une politique d’inclusion, ont surtout un statut symbolique et sont mises en valeur sans que leur présence ne soit le signe d’un véritable changement de politique des organisations sportives internationales en matière de genre.