Les premiers traités européens sont centrés sur le marché et n’abordent pas les questions environnementales. Cependant, ce sujet est mis sur l’agenda international à la fin des années 1960 et une unité (1973) puis une direction générale (1981) dédiées à l’environnement sont créées au sein de la Commission européenne. Cette administration reprend à son compte l’argumentaire et les modèles d’action publique que l’OCDE a développés dans ce domaine (principe pollueur-payeur, modèle pression-État-impact qui conceptualise les dégradations subies par un environnement et les impacts qui en résultent). Parmi les différents sujets qu’elle aborde, l’eau fait figure de vitrine avec une réglementation qui devient de plus en plus intégrée au niveau européen.
La période d’intégration par débordement (1975-1988)
Dans un contexte marqué par l’absence de compétence environnementale européenne et la montée des idées néolibérales dans plusieurs États membres, l’intervention du niveau européen doit être justifiée par la nécessité d’éviter des distorsions de concurrence au sein du marché commun et de favoriser une plus grande confiance et mobilité des consommateurs. Il s’agit toujours de directives prises à l’unanimité, qui doivent être transcrites en droit national. Certaines fixent des valeurs limites pour des usages applicables dans des zones à définir à la discrétion des États. On retrouve cette approche pour les eaux potabilisables (75/440/CEE) ou encore les eaux de baignade (76/160/CEE). D’autres établissent des valeurs limites de rejet pour des substances à éliminer ou dont il faut progressivement réduire les quantités.
La multiplication de ces directives, malgré un contexte défavorable, est généralement interprétée de manière fonctionnaliste par un certain débordement des problématiques les unes sur les autres. L’interaction des différents compartiments aquatiques au sein du cycle de l’eau venant constamment questionner les limites d’une approche par zone ou par usage, l’harmonisation législative permet de réduire les incertitudes, tant pour les États que les collectivités et les acteurs économiques. De plus, comme la réglementation impose des coûts supportés par quelques-uns pour un bénéfice diffus, il est difficile d’obtenir au niveau national des coalitions partisanes mobilisées sur ces sujets. Les instances européennes en dépit de leur déficit démocratique, voire précisément parce qu’elles sont plus éloignées des clivages idéologiques traditionnels, de la politique des partis et des cycles électoraux, sont plus légitimes pour le faire.
Bien que ces premières directives soient inégalement appliquées, elles produisent des effets indirects. L’obligation de reportage auprès de l’arbitre européen ouvre les données administratives au grand public qui devient une force de pression. L’harmonisation stimule les technologies de mesure et contribue à une meilleure validité scientifique des normes.
Le développement d’une approche combinée (1988-1996)
De 1986 à 1992, plusieurs facteurs affaiblissent la coalition d’États membres rétifs à une politique environnementale européenne ambitieuse. La France rejoint le clan des pays favorables à une réglementation plus sévère des pollutions, avec la montée des votes écologistes. Sous la pression des associations écologistes nationales et internationales, le Royaume-Uni finit par accepter la convention pour la mer du Nord visant à interdire les rejets industriels bruts en mer et à diminuer de 50 % entre 1985 et 1995 les apports en azote, phosphore et substances dangereuses. L’Acte unique en février 1986 dote l’Union de la compétence environnement. La politique de l’eau relève désormais de décisions prises à la majorité qualifiée au sein du Conseil, qui conserve un droit de véto vis-à-vis du Parlement.
Dans une résolution du 28 juin 1988, le Conseil demande à la Commission de soumettre des propositions visant à améliorer la qualité écologique des eaux de surface dans la Communauté en adoptant une approche combinée (réduisant les rejets et améliorant les milieux), tenant compte des enjeux qualitatifs et quantitatifs, et traitant à la fois les rejets ponctuels (eaux urbaines et industrielles) et diffus (engrais et pesticides agricoles).
C’est aussi durant cette période que la DG environnement de la Commission adopte les idées de la modernisation écologique et de la croissance verte qui vont permettre de construire un argumentaire réconciliant ambition écologique et compétitivité européenne. Cette nouvelle doctrine est favorable à une approche combinée qui fixe deux normes, dont la plus sévère doit être appliquée : l’une établit des valeurs limites de rejet et l’autre fixe des objectifs de qualité des milieux. Elle a été utilisée pour la première fois en 1976 dans la directive sur les substances dangereuses (76/464/CE) mais les États membres ont peu appliqué le volet « objectifs de qualité ».
Ces directives déclenchent ou renforcent les actions de suivi environnemental. Cependant, leurs coûts (notamment la directive sur les eaux résiduaires urbaines) alimentent aussi la contestation et sont mobilisés pour justifier des restructurations dans la gestion de l’eau en Italie et au Royaume-Uni et une vague de privatisation des services d’eau.
La nouvelle gouvernance de l’eau (1996-2020)
La Commission européenne présente un projet de directive sur la qualité écologique des eaux en 1994, mais les équilibres politiques ont déjà changé. Le critère de convergence économique est privilégié et le Conseil rejette le projet, jugé trop écologique. Entre 1996 et 1999, il y a peu d’innovation législative, mise à part la mise à jour de directives sur les usages.
La Commission adopte alors une stratégie double. Elle vise, d’une part, à rassurer les États membres sur le fait que la directive-cadre sur l’eau en préparation leur permettra de définir eux-mêmes les objectifs de qualité et que l’échelon européen n’assurera que la comparabilité des résultats (méthode ouverte de coordination). D’autre part, elle tient informées les ONG environnementalistes de l’état des discussions du texte pour favoriser leur réactivité dans les médias afin d’en aiguillonner l’ambition. Elle sera aidée par l’activisme de la commission environnement du Parlement européen qui lance des auditions et rallie une majorité de parlementaires sur un agenda environnemental ambitieux. Le Parlement profite de l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam en juin 1999 pour bénéficier d’une procédure de codécision avec le Conseil. Il réintroduit une clause de non-détérioration et un échéancier plus court. Il en résultera un texte ambigu à la fois très ambitieux pour ce qui est présenté comme le cadre général mais très ouvert à de multiples dérogations et reports de délais.
Pendant quinze ans, ce texte et les directives suivantes sur les eaux souterraines et sur la stratégie milieu marin stimulent énormément la production de connaissances sur les eaux européennes mais voient également s’éloigner la réalisation concrète de leurs objectifs, notamment sur la réduction des pollutions diffuses qui restent un problème majeur dans le nord-ouest de l’Europe et sur la non-dégradation des milieux plus au sud. À partir de 2015, la Commission européenne obtient de la Cour de justice plusieurs condamnation d’États membres pour mise en œuvre insuffisante des directives de l’approche combinée ou de la directive-cadre. Cette jurisprudence reste souvent limitée à un site ou bien une substance polluante mais elle tend néanmoins à durcir des normes jusqu’alors perçues comme très souples.
Finalement, la politique de l’eau qui a toujours été en conçue en réaction à d’autres politiques sectorielles pourrait bénéficier de changement dans ces politiques. Le projet de réforme de la politique agricole commune par exemple vise à davantage aligner les enjeux agricoles, alimentaires, sanitaires et environnementaux par le biais de paiements de services environnementaux aux agriculteurs. Néanmoins les instruments choisis relèvent, comme pour la DCE, d’une méthode ouverte de coordination, qui permet à la fois d’afficher une très forte ambition environnementale et toute une série de dérogations.